La voix de mon père, basse et acérée, glissa entre mes côtes comme une lame. Il ne criait pas. Il sifflait la menace, les dents serrées, pour que seuls les nôtres l'entendent.
Je tournai la tête vers lui, figée.
Il me détailla, du haut en bas, le dégoût plaqué sur son visage.
« Du noir ? Vraiment ? Tu veux attirer les moqueries ? »
Sa colère vibrait à peine contenue.
Il se tourna vers ma mère. « Tu l'as laissée sortir comme ça ? »
Ma mère haussa légèrement les épaules.
« Elle fera bien ce qu'elle veut. Tant qu'elle reste loin de nous, ça m'est égal. »
Son regard glissa sur moi sans me toucher, puis elle suivit mon père à l'intérieur, sans un mot de plus.
Mes sœurs, Monique et Mabel, passèrent derrière eux, parées de soie pâle et de rires étouffés.
Elles échangèrent un regard complice avant de ricaner, agitant leurs éventails de plumes blanches.
Rien qu'un souffle de moquerie, mais il me brûla la peau.
Je crus avoir un instant de répit avant que la voix de Gary ne claque derrière moi :
« T'arrêtes pas de puer, sérieux ! On sent tes phéromones jusque sur le parking ! »
Je sursautai, raidie par la peur. Il adorait me humilier. Et il savait qu'aucune sanction ne tomberait.
Je gardai les yeux baissés, le souffle court, priant qu'il se lasse.
Mon frère ricana, satisfait, puis s'éloigna, me laissant trembler de honte.
Quand enfin je pénétrai dans la salle, les effluves se mêlèrent à m'en donner la nausée : fleurs, champagne, désir...
Les couples se cherchaient, guidés par cette force invisible qui liait les âmes choisies.
Une magie que je ne connaîtrais jamais.
Rien en moi ne vibrait.
Aucun appel, aucune chaleur.
Seulement ce vide qui me dévorait depuis la nuit où la marque du croissant s'était imprimée sur mon épaule.
La Malédiction Lunaire.
Elle avait pris mon loup avant même qu'il ne s'éveille.
Et avec lui, toute chance d'être reconnue, aimée, liée.
Mais ce soir, malgré tout, j'espérais encore.
Je voulais croire que le destin m'accorderait une seconde chance.
Parce qu'au fond, je savais qui devait être mon compagnon.
Marc Harris.
Le futur bêta du Moonstone Pack.
Celui que j'avais aimé avant même de comprendre ce qu'était un lien.
Des rumeurs avaient couru, cruelles et insistantes.
On murmurait que la Déesse l'avait désigné pour moi.
Et qu'il me rejetterait dès le premier regard.
Malgré tout, je m'avançai dans la foule, chaque pas pesant comme une prière.
Les conversations se turent un instant quand je traversai la salle.
Les regards suivaient la fille du chef... la maudite.
Autrefois, j'étais leur fierté.
Aujourd'hui, j'étais la tâche qu'on cache sous le tapis.
Et puis je le vis.
Marc se tenait au centre du bal, entouré de lumière.
Son costume noir et argent épousait sa carrure, sa main reposait sur la hanche d'une femme dont la beauté faisait mal à regarder : peau dorée, cheveux blonds, sourire suffisant.
Le genre de femme que le monde adore sans raison.
Une douleur sourde s'éveilla sous ma cage thoracique.
Pas le lien... juste une absence trop lourde à porter.
Comme une corde invisible que la Malédiction avait sectionnée.
Quand nos regards se croisèrent, je crus, un instant, voir quelque chose passer dans les siens.
Un éclat de reconnaissance.
Un sursaut du loup en lui.
Mais cette lumière mourut aussitôt.
Son visage se ferma, et il avança droit vers moi, sa compagne au bras.
Autour, les conversations cessèrent.
Les murmures prirent le relais, acérés comme des lames.
« C'est elle ? La maudite ? »
« Impossible qu'il l'accepte. »
« Pauvre fille... »
Il s'arrêta à un souffle de moi.
Ses yeux bleus, d'un froid tranchant, se plantèrent dans les miens à travers le voile.
Sa voix claqua, forte, publique :
« Jamais je ne m'unirai à une fille comme toi. Ni par serment, ni par sang. »
Le silence tomba sur la salle.
Même l'air sembla se figer.
Je sentis la brûlure monter dans ma gorge, mais je refusai de baisser la tête.
« Marc... »
Sa réponse me coupa net :
« Moi, Marc Harris, futur bêta du Moonstone Pack, rejette Meredith Carter comme compagne. »
Les mots résonnèrent comme une sentence.
Les murmures devinrent des halètements, des chuchotements avides.
Je restai immobile, le souffle arraché.
Le rejet, je le savais, n'aurait pas dû me blesser.
Je n'avais pas de lien à briser.
Mais l'humiliation, elle, s'enfonça profondément, plus cruelle que n'importe quelle douleur.
Et à cet instant, je compris :
La Déesse ne m'avait pas oubliée.
Elle m'avait simplement condamnée.