Chapitre 4 Chapitre 4

- Quelque chose ne va pas ? demanda Mario, inquiet de la voir perdue dans ses pensées.

- Rien de grave. Je réfléchis simplement... à tout ça, répondit Alessandra en prenant le panier et la cruche qu'il lui tendait. Elle voulait qu'il retourne vite à son poste. Encore trois heures, songea-t-elle, et tout serait terminé.

- Les choses s'arrangeront, tu verras, dit Mario d'un ton rassurant. Les histoires, ton père, ta réputation... tout finira par se calmer.

- Tu veux me faire croire à un conte de fées, c'est ça ?

- Oh non, protesta-t-il vivement, levant les mains. Dis-moi, depuis quand a-t-on vu un arc-en-ciel ici, à Lockwood ? Pas une seule fois depuis que j'y vis. Disons plutôt que la joie viendra avec le prochain tonneau de rhum.

- Mario... soupira-t-elle, secouant la tête. Elle savait très bien que son ami avait sans doute déjà bu un verre ou deux. Le rhum et lui étaient inséparables.

- Quoi ? Tu sais bien que ça m'aide à tenir jusqu'à la fin de la soirée. Je ne gâcherais pas une goutte de rhum pour ces invités, de toute façon. Ils n'ont d'yeux que pour le vin. J'ai ajouté un petit quelque chose dans ta carafe, dit-il en la tapotant avec un clin d'œil. De quoi rendre ta soirée plus agréable.

- Tu oublies que je ne me laisse pas enivrer si facilement, fit-elle remarquer avec un sourire discret. Les nombreuses soirées partagées avec Mario lui avaient prouvé qu'elle supportait remarquablement bien l'alcool.

- Profite sans excès, c'est tout ce que je dis. À demain, d'accord ? lança-t-il avant de s'éclipser, craignant d'avoir déjà trop tardé à quitter la cuisine.

- D'accord, murmura-t-elle.

Elle contempla un instant la nourriture et la boisson, puis jeta un dernier regard vers la porte close avant de repartir d'un pas calme.

Cette courte conversation avait suffi à lui rendre un peu de courage. Elle se surprit à croire que son entrevue avec le Duc, le lendemain, tournerait à son avantage. Bientôt, elle quitterait cette maison, cette famille, cette vie.

- Quelle bande de prétentieux, grommela une voix derrière elle. Incapables de se servir eux-mêmes !

Alessandra reconnut la voix d'une jeune servante, furieuse au point de lever un geste grossier sans regarder devant elle.

- Tu ferais mieux de parler moins fort, conseilla doucement Alessandra.

- A-Alessandra ? balbutia la fille, pâlissant. Pitié, ne me faites pas de mal !

La jeune femme fronça les sourcils, baissant les yeux sur ses mains.

- Te faire du mal ? Pourquoi ferais-je une chose pareille ?

Mais la servante, terrorisée par le masque noir couvrant la majeure partie de son visage, tremblait comme une feuille.

- Je... je ne voulais pas vous offenser. Ne me tuez pas, je vous en supplie !

Alessandra soupira. Les gens semblaient décidés à croire les pires histoires plutôt que de simplement réfléchir.

Sans ajouter un mot, elle reprit sa marche vers sa chambre, laissant la pauvre fille reculer, effrayée.

Elle voulait simplement l'avertir : parler ainsi d'une invitée de Katrina était dangereux. Cette femme semblait dotée d'une ouïe surnaturelle, capable d'entendre la moindre critique à des lieues à la ronde. Alessandra en était presque convaincue.

- Peut-être qu'elle n'est même pas humaine, murmura-t-elle en riant pour elle-même. Peut-être une créature tombée du ciel.

Elle passa par le couloir où elle avait croisé Edgar un peu plus tôt et atteignit une porte dissimulée derrière le cellier. Celle-ci donnait sur une remise pleine d'outils de jardinage, puis sur un passage vide qui menait enfin à sa chambre. Son père détestait que quiconque s'écarte des zones réservées à la réception, craignant les commérages.

La musique montait d'un ton. Alessandra fit quelques pas de danse, tournoyant légèrement. Il ne lui manquait qu'une belle robe et un partenaire.

- Ils jouent enfin quelque chose de correct, souffla-t-elle, amusée.

Le couloir qui menait à sa chambre baignait dans une semi-obscurité, les lanternes vacillant faute d'entretien. Elle posa la cruche à terre pour libérer une main et ouvrit la porte.

Un petit miaulement l'accueillit.

- Ah, te voilà, mon petit voleur de lait, dit-elle en baissant les yeux vers le chaton roux qu'elle avait recueilli. Je t'avais prévenu de ne pas traîner près de la porte. Si quelqu'un te voyait, tu serais déjà dehors. Tu veux vraiment me quitter ?

Elle le repoussa doucement du bout du pied, l'incitant à rentrer dans la pièce. Son père, qui ne jurait que par les chiens, n'aurait pas toléré la présence d'un chat dans la maison.

- C'est plus sûr ici, et regarde, j'ai de quoi te régaler, ajouta-t-elle en déposant un morceau de viande devant lui.

Le chaton, attentif, fixa le repas avec sérieux.

- Tu comprends vite, dit-elle en souriant avant d'aller s'asseoir à son bureau.

Elle posa son assiette et la carafe, puis retira enfin son masque. Seule ici, elle pouvait respirer sans craindre un regard ou un murmure. Aucun miroir ne trahissait son reflet ; c'était un soulagement.

La musique du bal, adoucie par la distance, parvenait encore à ses oreilles tandis qu'elle mangeait en silence. Son esprit vagabonda vers le lendemain, vers Edgar, vers tout ce que cette rencontre pourrait changer.