« Grégoire », dis-je, ma voix devenant plus tranchante, plus concentrée. La directrice générale était de retour aux commandes. « Le contrat de Damien avec l'hôpital doit être renouvelé le mois prochain, n'est-ce pas ? Celui avec la clause de performance que nous avons structurée ? »
« Oui », dit-il, sa voix prudente. « Alix, ça va ? Tu ne penses pas à faire quelque chose d'irréfléchi, n'est-ce pas ? »
Est-ce que ça va ? La question était risible. J'avais l'impression d'être écorchée vive, couche par couche. Mais ma voix resta stable. « Non. Je suis parfaitement rationnelle. J'ai besoin du meilleur avocat en divorce que tu puisses trouver. Quelqu'un d'impitoyable. Je veux qu'il parte sans rien. Pas un seul centime. »
J'avais été une idiote. Quand nous nous sommes mariés, j'avais obstinément refusé l'insistance de mon père pour un contrat de mariage. J'avais été si sûre, si naïvement certaine, que l'amour de Damien était pur, qu'il n'en avait pas après la fortune des Varenne. Je croyais qu'il ne me trahirait jamais.
Mon téléphone vibra. Un message de Damien.
*Alix, ce que j'ai dit tout à l'heure, c'était juste sous le coup de la colère. Le fils de Jessica est malade, il a une forte fièvre. Je ne pouvais pas la laisser gérer ça toute seule.*
*Je suis médecin. C'est mon devoir d'aider.*
Il essayait toujours de jouer les héros.
Je tapai une réponse, mes doigts volant sur l'écran.
*Je m'en fiche.*
*Fais tes valises. Je te veux hors de ma maison d'ici demain.*
Sa réponse fut un simple point d'interrogation, suivi d'une série de messages furieux et accusateurs.
*Tu me mets à la porte ? Après tout ça ? Tu me pousses dans les bras d'une autre femme !*
*Très bien ! Tu veux que ça arrive ? Alors tu l'as ! Tu as réussi !*
Je ne pris pas la peine de répondre. À la place, je lui envoyai un dernier message.
*Tu te souviens de ce que tu as dit à notre mariage ? "Pour le meilleur et pour le pire, dans la maladie comme dans la santé, je t'honorerai et te chérirai, renonçant à tous les autres, tant que nous vivrons tous les deux."*
L'écran montra qu'il était en train d'écrire, puis s'arrêta. Un instant plus tard, un point d'exclamation rouge apparut à côté de mon message. Il m'avait bloquée.
Mon cœur, que je pensais ne plus pouvoir se briser, se fragmenta en un million de morceaux supplémentaires.
Une nouvelle demande d'ami apparut sur mes réseaux sociaux. Jessica Morales.
J'acceptai.
Presque immédiatement, une vidéo apparut dans ma boîte de réception. Elle était tournée dans une chambre d'hôpital. Damien était assis sur le bord d'un lit, persuadant un petit garçon de prendre un médicament. Il souriait, son visage plus doux et plus authentiquement heureux que je ne l'avais vu depuis des années. Le garçon lui ressemblait de manière frappante.
Le message de Jessica suivit. *Il est si doué avec les enfants, n'est-ce pas ? Un père né.*
Ma réponse fut rapide et froide. *Je me fiche de tes petites mises en scène. La seule chose en laquelle j'ai confiance, c'est ce que ma propre enquête révélera.*
Le lendemain, j'entrai dans la réunion annuelle du conseil d'administration de l'hôpital la tête haute. Grégoire m'accueillit à la porte, le visage sombre. Il me tendit un épais dossier manille.
« C'est pire que ce que tu penses », dit-il à voix basse.
Je l'ouvris, mes mains tremblant si fort que je pouvais à peine tourner les pages.
Jessica Morales. Pas une pauvre mère célibataire en difficulté. Elle avait un passé de cosplayeuse dans les conventions d'anime, spécialisée dans les tenues de « soubrette sexy ». C'est là qu'elle avait rencontré Damien, il y a huit ans, avant même qu'il ne me connaisse.
Pendant des années, elle lui avait envoyé des photos suggestives. Il avait parfois répondu. Le flirt avait été long, patient et calculé. Elle avait constamment mentionné sa « fertilité », sa capacité à avoir des fils.
Il y avait des registres d'hôtel. De la semaine précédant notre mariage.
Il y avait des relevés bancaires. Des virements mensuels depuis un compte privé que Damien détenait, totalisant des centaines de milliers d'euros au fil des ans.
Il l'avait fait entrer dans notre maison comme nounou il y a deux semaines, le lendemain de mon départ pour la Suisse pour rencontrer le spécialiste de la fertilité.
Mon esprit se vida, un maelström de rage et de douleur. Mais ma voix, quand je parlai, était étrangement calme.
« Il prend la parole à la conférence aujourd'hui ? » demandai-je à Grégoire, en référence au grand symposium médical qui se tenait dans l'auditorium principal.
« Oui. C'est lui l'orateur principal. »
« C'est retransmis en direct ? À d'autres hôpitaux ? Des revues médicales ? »
Grégoire hocha la tête, me regardant avec une alarme croissante. « Alix, qu'est-ce que tu vas faire ? »
Je lui adressai un sourire mince et cassant. « Je vais gâcher la fête. »
Et sur ce, je me tournai et me dirigeai vers l'auditorium, le dossier serré dans ma main comme une arme.