Elle avait cru naïvement qu'on la laisserait partir, qu'une fois rejetée, elle serait enfin libre. Quelle ironie cruelle : sa liberté signait en réalité son arrêt de mort.
Ses cheveux trempés collaient à son visage tandis qu'elle s'enfonçait dans une ruelle étroite. Elle s'y adossa, le dos plaqué contre un mur ruisselant, tâchant de calmer sa respiration saccadée.
- Sors, petite lâche, lança une voix grave, moqueuse, tout près. On ne fera pas durer.
Une seconde voix répondit, hésitante :
- Elle porte un enfant. Ce n'est pas... juste.
Le sang d'Amélie se glaça. Ils savaient. Alex savait.
Ses mains se posèrent instinctivement sur son ventre, comme pour protéger la vie fragile qui y grandissait.
- Les ordres viennent de l'Alpha, répliqua sèchement le premier. On exécute. Mère et enfant.
Un frisson de terreur la traversa tout entière.
Alex voulait effacer jusqu'à la trace de son existence.
Elle n'attendit pas davantage. Son instinct prit le dessus. Elle quitta la ruelle à pas feutrés, puis se mit à courir. La pluie brouillait sa vision, mais elle ne s'arrêta pas.
- Là ! cria quelqu'un derrière elle.
Elle se retourna à temps pour apercevoir la silhouette massive d'un loup surgir de l'obscurité. Les crocs étincelants, les yeux dorés fixés sur sa proie.
Poussée par la peur, elle se lança à corps perdu vers une lueur au bout de la rue : deux hommes, une voiture, un parapluie noir sous le réverbère.
Sans réfléchir, elle fonça.
L'un d'eux venait de descendre du véhicule, grand, vêtu d'un manteau sombre. Elle se jeta contre lui, s'accrochant à ses bras comme une naufragée s'agrippe à une épave.
- Je vous en supplie, aidez-moi...
Sa voix se perdit dans la pluie. L'homme la regarda sans un mot, son expression impassible, presque froide.
Alors, dans un désespoir insensé, les mots s'échappèrent de sa bouche avant même qu'elle ne puisse les retenir :
- Couchez avec moi.
Elle sentit ses joues brûler malgré le froid. C'était absurde, indécent. Mais elle savait ce que cela signifiait dans leur monde : s'unir à un autre homme briserait à jamais tout lien qui la rattachait à Alex.
L'homme ne répondit pas. Sous la pluie battante, il la fixait avec une intensité troublante. Elle pouvait sentir, même à travers le tissu trempé, la chaleur qui émanait de lui. Son parfum - un mélange de pluie et de bois sombre - chassa momentanément sa peur.
- Je vous en prie, murmura-t-elle d'une voix étranglée. Laissez-moi entrer... ou je mourrai ici.
Elle leva enfin les yeux vers lui - et oublia de respirer. Ses prunelles étaient d'un violet presque irréel, profondes comme une nuit sans fin. Une beauté surnaturelle, majestueuse, dangereuse.
Le second homme, celui au parapluie, voulut parler :
- Monsieur, peut-être que...
Mais le regard que lui lança l'inconnu suffit à le faire taire aussitôt. Une simple lueur dans ces yeux violets, et le silence retomba, lourd comme une sentence.
La voix de l'homme résonna alors, grave, calme, d'une assurance souveraine.
- Si tu consens à m'appartenir, à répondre à mon désir quand je le voudrai.
Le ton ne laissait place à aucune ambiguïté. Ce n'était pas une promesse, mais un pacte.
Amélie hocha la tête sans réfléchir.
- Oui. Tout ce que vous voulez. Mais je vous en supplie... aidez-moi.
Un souffle imperceptible passa entre eux, avant qu'il ne murmure :
- Appelle-moi Gabriel.
Et, sans la moindre hésitation, il la souleva dans ses bras. Sa force tranquille fit vaciller le monde autour d'elle. Elle sentit sa joue frôler le col humide de son manteau, l'odeur de pluie et de cendres la rassurant étrangement.
Un hurlement déchira soudain la nuit. Amélie se raidit, ses doigts crispés sur le tissu de son veston. Ils approchaient.
- Vous avez vu une femme courir par ici ? cria l'un des poursuivants. Trempée, les cheveux noirs...
Elle enfouit le visage contre la poitrine de Gabriel, retenant son souffle.
L'homme garda son calme. Sa voix, douce comme une lame bien affûtée, fendit le tumulte :
- Vous faites erreur.
Les loups hésitèrent.
- La femme que je porte est ma compagne.
Amélie releva brusquement la tête, le souffle coupé.
Ses yeux rencontrèrent ceux, impénétrables, de Gabriel.
Pourquoi venait-il de mentir pour elle ?