J'entrai dans le hall de la Tour Sovrano, le bâtiment un monument d'acier et de verre à la puissance de Dante. L'air vibrait d'une efficacité silencieuse et de peur. Tout le monde savait qui j'étais. J'étais Mme Sovrano, un fantôme qui hantait le penthouse mais descendait rarement au cœur de la bête.
« Mme Sovrano », dit la réceptionniste, ses yeux vacillant entre une déférence étudiée et quelque chose de plus doux. De la pitié. Il y en avait partout. « M. Sovrano est en réunion. »
« Je sais », dis-je, ma voix égale. « Je ne serai pas longue. J'ai juste besoin de sa signature sur un document pour la galerie. »
Je pris l'ascenseur privé jusqu'au dernier étage. Le trajet fut silencieux, une ascension douce et rapide dans le ciel. Cet endroit était conçu pour qu'on se sente petit, pour rappeler l'ampleur de la domination de Dante. Il n'était pas juste un chef de la pègre ; il était un roi dans son château, régnant sur la ville qui s'étendait à ses pieds. Ses soldats étaient des hommes en costumes impeccables qui portaient des armes et des tableurs avec la même aisance.
Son assistante de direction, une femme nommée Maria qui travaillait pour sa famille depuis des décennies, m'accueillit avec un sourire pincé et triste.
« Il est avec Mme Romano », dit-elle à voix basse. « Ils finalisent les routes maritimes côtières. »
Ses mots confirmaient tout. Isabella n'était pas juste une passade. Elle était sa partenaire. En affaires, en pouvoir, et de toutes les manières qui comptaient.
« Ça ne prendra qu'un instant », dis-je, ma résolution se durcissant.
Je l'entendis avant de le voir. Un rire. Le rire de Dante. C'était un son profond et sincère que je ne lui avais pas entendu adresser depuis des années. Il résonnait derrière les imposantes portes en chêne de son bureau, un son désinvolte et heureux qui me fit l'effet d'un coup de poing dans le ventre.
Je ne frappai pas.
Je poussai la porte et j'entrai.
Ils étaient penchés sur une grande carte du littoral de la ville étalée sur son immense bureau. Isabella pointait un endroit, son expression animée. Dante était penché par-dessus son épaule, sa main nonchalamment posée sur le dossier de sa chaise. Ils ressemblaient à un couple de pouvoir. Une équipe.
Le rire mourut sur ses lèvres quand il me vit. Ses yeux, d'habitude d'un gris froid et calculateur, se durcirent comme de la pierre. L'agacement traversa son visage. Pas de la culpabilité. Jamais de culpabilité.
« Elara. Je suis occupé. »
« Je vois ça », dis-je, ma voix d'un ton froid et maîtrisé qui ne trahissait rien du tumulte en moi.
Isabella se redressa, un petit sourire entendu jouant sur ses lèvres.
« Ne sois pas si dur, Dante. Ta femme vient d'avoir sa grande soirée. Je suis sûre qu'elle ne fait que régler les derniers détails. »
Ses mots étaient chargés d'un venin mielleux, un rappel subtil que pendant que je m'occupais de peinture et de toiles, elle était là, dans la salle de guerre, l'aidant à conquérir le monde.
« J'ai juste besoin d'une signature », dis-je, marchant directement vers son bureau et l'ignorant complètement. Je posai le porte-documents et l'ouvris à la page de signature du contrat de cession d'actifs. Le jugement de divorce était la page glissée juste en dessous.
Ses yeux se plissèrent. Une lueur de suspicion. Pendant un instant qui me coupa le souffle, je crus qu'il allait voir clair dans mon jeu. Dante Sovrano n'était pas arrivé là où il était en étant négligent. Tout son empire était bâti sur des fondations de paranoïa et une attention brutale aux détails.
« C'est pour la police d'assurance de la galerie », dis-je, le mensonge ayant un goût de cendre dans ma bouche. « Ils ont besoin que le détenteur principal des actifs signe avant d'assurer la nouvelle collection pour son transport à l'exposition de New York. »
Je croisai son regard, le soutenant fermement. Je canalisai toute la douleur, toute l'humiliation de la veille en un seul point de calme froid et impénétrable. Je ne cillerais pas. Je ne le laisserais pas voir la terreur et le triomphe qui se livraient bataille en moi.
Il soutint mon regard un instant de plus, cherchant quelque chose. Une fissure dans la façade.
« Dante, nous devons appeler notre contact au port avant qu'il ne parte pour la journée », dit Isabella, sa voix un couteau aiguisé et impatient coupant la tension.
Elle venait de me sauver sans le savoir. Elle lui avait rappelé ce qui était vraiment important. Le pouvoir. L'argent. Pas sa femme insignifiante et son petit passe-temps artistique.
Il grogna, son attention se reportant sur la carte. Le moment était passé. J'étais une nuisance, une distraction de son vrai travail.
« Donne ça », dit-il en attrapant un stylo dans un pot sur son bureau.
Il ne lut même pas l'en-tête. Ses yeux cherchèrent la ligne de signature, comme ils le faisaient toujours. Avec un dédain impatient.
Sa signature était un gribouillis noir, sec et rageur. Une accusation. Une marque au fer rouge. Et maintenant, une libération.
Il signa la première page. Puis, sans regarder, il tourna à la page suivante – la vraie page – et signa de nouveau sur la ligne que j'avais marquée d'un petit 'X' net.
Je fis glisser les papiers dans le porte-documents avant qu'il ait pu cligner des yeux. Mes mouvements étaient rapides, précis.
« Merci », dis-je, les mots formels et vides.
Je me tournai pour partir. En atteignant la porte, je jetai un regard en arrière. Isabella souriait, un air suffisant et triomphant dans les yeux. Elle pensait avoir gagné. Elle pensait qu'elle était en train de me remplacer.
Elle n'avait aucune idée que je venais de prendre le roi, et qu'elle pouvait bien garder son château vide.
Je ne regardai plus en arrière. Je sortis du bureau, passai devant le regard apitoyé de Maria, et entrai dans l'ascenseur. Les portes se refermèrent, m'enfermant dans une boîte de miroirs.
Ce n'est qu'à ce moment-là que je me permis de respirer. J'ouvris le porte-documents et fixai sa signature au bas du jugement de divorce.
Il venait de signer la fin de quatre ans de mariage.
Il venait de se débarrasser de sa femme.
Et il n'en avait aucune idée.