POINT DE VUE DE JADE :
Dans les jours qui ont suivi, j'ai commencé à m'effacer. J'ai discrètement quitté tous les groupes de réseaux sociaux liés à la Meute de Bois-Noir. J'ai bloqué les numéros que je savais appartenir à des membres de la meute. Je devenais un fantôme.
Quelques jours plus tard, une demande de message est apparue d'un compte que je ne reconnaissais pas. Mon estomac s'est noué. C'était d'un des lèche-bottes d'Héloïse, j'en étais sûre.
Je l'ai ouverte. C'était une seule photo.
Héloïse, portant la bague de la famille Beaumont, se tenait à côté de Côme sur le balcon de la résidence officielle de l'Alpha. Tout le territoire de Bois-Noir s'étendait derrière eux comme un royaume conquis.
Le message en dessous disait : « J'espère que tu peux comprendre, Jade. C'est pour l'avenir de nos deux meutes. »
J'ai regardé la photo, son sourire triomphant et son profil stoïque, et je n'ai ressenti... rien. Pas de douleur. Pas de jalousie. Juste une pitié lointaine et clinique. J'ai fait une capture d'écran, je l'ai enregistrée dans un dossier caché, puis j'ai bloqué le compte.
Cet après-midi-là, Mme Girard, la voisine, est venue avec un gratin. C'était une ancienne retraitée d'une meute voisine, à l'œil vif et à la langue encore plus acérée.
« J'ai vu le Bêta de Côme garé de l'autre côté de la rue hier », a-t-elle dit en posant le plat sur le comptoir. « Il surveillait la maison. Je l'ai envoyé paître avec quelques mots bien choisis. »
Elle m'a regardée, son regard s'adoucissant. « Héloïse Perrin est du poison habillé de soie. Ta mère le savait. Elle disait toujours que tu avais un lion qui sommeille en toi, mon enfant. Elle disait que tu avais juste besoin d'une raison pour le réveiller. »
Cette nuit-là, j'ai rêvé d'une époque avant que tout ne tourne au vinaigre. J'étais de nouveau une adolescente, et Côme aussi. Nous étions assis au bord de la rivière, et il venait de sentir mon odeur pour la première fois. Dans le rêve, ses yeux s'étaient écarquillés d'émerveillement, et son loup intérieur avait murmuré, un son qui résonnait dans mon âme : *Mienne !*
Le rêve ne m'a pas rendue triste. Il m'a mise en colère. Il m'a rappelé la chose pure et sacrée qu'il avait prise et brisée pour le profit.
Je me suis réveillée avec une nouvelle résolution. Je suis allée à la vieille boîte en bois, celle marquée « Lefèvre », et je l'ai rouverte. Nichée sous une liasse de vieilles lettres de ma mère, j'ai trouvé ce que je cherchais. Je me souvenais que ma mère s'en était plainte il y a des mois, une frayeur lors d'un rassemblement de la meute.
C'était une facture d'un vétérinaire spécialiste.
Datée de six mois. Le nom du patient était « Arès », propriétaire Héloïse Perrin. La raison de la visite était indiquée comme « agression non provoquée et morsure ». La recommandation du vétérinaire était sans appel : « Reconditionnement comportemental immédiat conseillé. »
En bas, une note manuscrite : « La propriétaire a refusé le traitement. »
Héloïse n'avait pas seulement été négligente. Elle avait su que son loup était une arme chargée, et elle avait refusé de mettre la sécurité. Elle avait menti. Et Côme l'avait aidée.