Chapitre 5 Chapitre 5

Gwendolyn n'avait pas prévu de tout dire à Felicia, mais Juliette, bavarde comme toujours, l'avait devancée. Avant qu'elle n'ait eu le temps d'intervenir, sa fille avait déjà tout révélé. Le visage de Felicia se figea, visiblement choquée par ce qu'elle venait d'apprendre.

- Des triplés ? Tu es sérieuse ? Attends... Non, je devrais plutôt être impressionnée par ce vieux type. Pas étonnant que tu sois habillée comme ça. Élever trois gamins, ça doit coûter un bras, j'imagine ?

Elle afficha un sourire moqueur, l'air de dire que rien ne l'inquiétait. Tant pis si Gwendolyn était encore en vie, elle n'en avait pas peur. Juliette, quant à elle, remarqua le regard méprisant que Felicia lançait à sa mère. Intriguée, elle regarda Gwendolyn.

- Gwen... C'est ton amie, elle ? Pourquoi elle te regarde comme si elle te détestait ?

Gwendolyn posa un regard ferme sur sa fille. Elle ne voulait pas que Juliette assiste à cette scène. Aussi exécrables soient Felicia et sa mère, elle ne voulait pas transmettre cette haine à ses enfants. Elle voulait qu'ils grandissent dans la paix.

- Mange, Juliette. Ce n'est pas une amie. Ne parle pas aux étrangers.

Juliette hocha la tête. Obéissante, elle retourna à son repas, en silence.

Felicia, elle, était de bonne humeur avant de croiser Gwendolyn. Elle ne s'attendait pas à la revoir vivante, et cette vision avait semé le doute dans son esprit. Mais très vite, elle se rassura. À voir l'état de Gwendolyn, cette dernière peinait déjà à survivre. Impossible qu'elle ait l'énergie ou les moyens de se venger. Elle n'était plus la fille fière de la famille Ashton, seulement une femme fatiguée qui luttait pour s'en sortir.

Pensant à l'arrivée imminente de Patrick, Felicia jugea qu'il valait mieux écourter la discussion. Elle ne voulait pas qu'il la voie en train de discuter avec quelqu'un d'aussi insignifiant. Elle lissa ses cheveux du bout des doigts, puis afficha son plus beau sourire.

- Bon appétit, Gwendolyn. Je t'enverrai une invitation pour mon mariage. N'oublie pas d'amener tes trois enfants. Il y aura encore de la bonne nourriture ce jour-là.

Elle prit un ton aigu et triomphant.

- J'épouse Patrick Lowen, l'héritier de la plus puissante famille d'Avenport. Franchement, ma vie n'est-elle pas mille fois meilleure que la tienne ? Hahaha !

Puis elle tourna les talons, le menton haut.

Gwendolyn, elle, sentit un poids immense s'abattre sur ses épaules. Felicia et sa mère l'avaient piégée alors qu'elle n'avait que dix-huit ans, la forçant à porter des enfants qu'elle n'avait pas eu le cœur d'abandonner. Elle avait mis sa vie de côté, renoncé à l'université, tout sacrifié pour élever ses enfants. Pendant six longues années, elle avait trimé sans relâche. Son envie de vengeance était intacte, mais elle n'avait rien, pas même la force d'agir. Et pendant ce temps, Felicia s'apprêtait à épouser le futur homme le plus influent de la ville.

La colère, le ressentiment et l'impuissance l'étouffaient.

Soudain, une voix masculine retentit derrière elle.

- Vous êtes toujours là, Mme Ashton !

C'était Liam. Il s'adressait à l'homme assis près de lui.

- Monsieur Lowen, voici Mme Ashton. C'est elle qui vous a rendu votre manteau tout à l'heure.

Il tendit un sac à Patrick.

Ce dernier se tourna enfin vers la table de Gwendolyn. Elle portait un pull beige et un jean bleu. Une tenue simple, mais loin de l'état misérable dans lequel elle se trouvait la dernière fois à l'hôpital. Patrick la trouva belle. Ce qui l'attira le plus, c'étaient ses yeux brillants. On aurait dit des étoiles dans la nuit.

Juliette leva la tête, une bouchée en bouche, curieuse.

- Oh, c'est vous, Monsieur Beau. Vous connaissez Gwen ?

Patrick hocha la tête.

- On s'est croisés à l'hôpital, quand tu étais malade.

Gwendolyn, en entendant cela, sentit son estomac se tordre. C'était donc lui, l'homme que Felicia allait épouser.

- Merci pour le manteau, Monsieur Lowen, dit-elle d'un ton froid, sans aucune chaleur.

Elle paraissait presque impolie dans sa manière de le remercier. Patrick ne s'était pas attendu à ça. Il avait cru bien faire en lui prêtant ce vêtement. Il comprit alors qu'il s'était peut-être montré trop familier.

- De toute façon, je ne porte jamais de vêtements déjà portés, alors vous auriez pu vous éviter la peine de me le rendre, Mme Ashton.

Son ton était glacial, encore plus que celui de Gwendolyn. Il tourna les talons sans un mot de plus, les laissant plantés là.

Liam, mal à l'aise, lança :

- On va y aller, alors, Mme Ashton.

Gwendolyn suivit Patrick des yeux, furieuse. Elle aurait voulu l'insulter, mais elle ravala sa colère. Elle pensa, amère : Quel homme arrogant ! Si tu ne voulais plus du manteau, tu pouvais le jeter. Quel prétentieux ! Tu mérites Felicia. Vous êtes faits pour vous entendre, tous les deux.

Juliette sentit la colère de sa mère et rigola en voyant ses joues gonflées.

- T'énerve pas, Gwen. Tu ne trouves pas qu'il a du style, Monsieur Beau ? Il est super canon, non ?

Elle avait toujours eu un faible pour les beaux mecs. Gwendolyn, choquée, ne sut quoi répondre. Elle tient ça de qui, au juste ? Moi ou son père ?

Après le repas, elles rentrèrent. Les deux garçons de Gwendolyn les attendaient à la porte. L'un apporta des chaussons pour Juliette, l'autre pour leur mère.

Justin observa Gwendolyn avec un sérieux inhabituel pour son âge.

- Maman, la propriétaire est venue. Elle a dit qu'on devait payer le loyer avant lundi. Sinon, elle mettra la maison en location pour d'autres. Et elle a augmenté le prix de cinq cents dollars.

Il fronça les sourcils en observant la réaction de sa mère. A-t-elle vu l'argent qu'on lui a envoyé ? Elle aurait pu s'en servir.

Pendant ce temps, Juliette avait tiré Julian dans la chambre. Elle referma la porte et sortit une carte de visite.

- Julian, regarde ! J'ai rencontré un monsieur très beau, il vous ressemble, à toi et Justin. Je veux qu'il devienne notre papa.

Julian haussa un sourcil curieux et lui ébouriffa les cheveux.

- Fais voir ça.

En voyant la photo, il secoua la tête. C'était Patrick Lowen, PDG du groupe Lowen.

- Il est trop malin. Gwen ne pourra jamais le gérer.

Il connaissait trop bien sa mère. Elle était trop douce, pas assez rusée. Il avait peur qu'un homme comme ça la piétine.

Juliette tira la manche de son frère, les yeux brillants.

- Mais toi et Justin, vous êtes super intelligents. Si je l'aime, on peut l'avoir, pas vrai ?

Julian et Justin aimaient leur sœur plus que tout. Julian soupira et céda.

- Très bien. Si tu l'aimes tant, on aidera maman à l'avoir.

De retour dans le salon, Justin interrogea doucement sa mère.

- Maman... On a encore de l'argent, non ?

Il voulait savoir si elle avait vu le virement qu'ils avaient fait.

Gwendolyn posa la main sur sa joue, tendre.

- Ne t'en fais pas. Je vais payer le loyer demain. Personne ne nous mettra dehors.

Justin resta silencieux. Il s'était habitué à cette vie incertaine. Ils avaient déjà été jetés dehors une fois, forcés de marcher dans les rues avec leurs affaires. Lui et Julian voulaient grandir vite pour alléger le fardeau de leur mère.

Plus tard, seule dans sa chambre, Gwendolyn regarda les factures. Le loyer : deux mille dollars par mois, soit douze mille pour six mois. Les cours particuliers des garçons et les leçons de piano de Juliette coûtaient chacun vingt mille. Soixante mille au total. Elle sentait sa gorge se nouer. La seule solution, c'était de retourner danser à Night City.

Elle avait été la meilleure de son école. C'était ce travail qui lui avait permis de survivre jusqu'ici. Elle pensait avoir définitivement tourné la page. Mais la réalité l'avait rattrapée.

Elle allait devoir y retourner. Travailler encore. Jusqu'à ce qu'une autre opportunité se présente.