Elle s'aspergea le visage d'eau froide, essayant de calmer la nausée qui montait dans sa gorge. La douleur dans sa poitrine était un poids physique, une pression écrasante qui rendait la respiration difficile. C'était comme si son cœur se brisait littéralement.
Alors qu'elle se séchait le visage, elle entendit un bruit doux provenant du petit salon attenant, une pièce rarement utilisée lors des fêtes. Un gloussement, suivi d'un faible murmure.
Son cœur s'arrêta. Elle connaissait ce murmure.
Elle poussa la porte entrouverte. Le salon était faiblement éclairé, mais elle pouvait les voir clairement. Benoît avait pressé Clara contre une bibliothèque, sa bouche dévorant la sienne. Ce n'était pas un baiser doux ; il était affamé, possessif.
Les doux gémissements de Clara remplissaient le petit espace. « Benoît », souffla-t-elle, ses mains emmêlées dans ses cheveux. « Quelqu'un va nous voir. »
« Qu'ils voient », gronda-t-il contre ses lèvres, sa main glissant le long de son dos, lui empoignant les fesses à travers la soie rouge de sa robe. « Je veux t'exhiber. » Il se recula légèrement, ses yeux sombres d'un désir qu'il n'avait pas dirigé vers elle depuis des années. « Avec Camille, tout est dans l'esprit, l'âme. Avec toi... c'est ça. » Il désigna leurs corps, pressés l'un contre l'autre. « C'est ça qui est réel. »
Les mots transpercèrent Camille, une confirmation finale et brutale de sa peur la plus profonde. Elle n'était pas seulement remplacée ; elle était dévalorisée, son amour et sa compagnie rejetés comme quelque chose de cérébral et sans passion.
« Sois une gentille fille pour moi ce soir », chuchota Benoît, ses lèvres traçant sa mâchoire. « Et je t'achèterai ce petit bracelet Cartier que tu voulais. »
« Oui, Benoît », ronronna Clara, la tête renversée en soumission.
Il lui donna un dernier baiser dur, puis ils se dirigèrent vers la porte. Camille se précipita de nouveau dans les toilettes, son cœur martelant contre ses côtes. Elle les regarda partir, son bras possessivement autour de la taille de Clara, et une vague d'agonie, si profonde qu'elle était physique, la submergea.
Elle se souvint de leur propre intimité, comment elle avait toujours été prudente, retenue, presque révérencieuse. Il avait toujours prétendu que c'était parce qu'il avait si peur de la blesser, d'une passion qui pourrait mener à une grossesse qui pourrait la tuer. C'était un mensonge. Il n'avait pas peur de la passion. Il ne la ressentait tout simplement pas pour elle. Il l'avait gardée pour quelqu'un d'autre. Pour la jeune fille docile qui lui ressemblait juste assez pour être un fantasme, mais assez différente pour être une évasion.
Elle sentit une vague de compréhension froide et amère. Bien sûr qu'il était obsédé par Clara. Elle était la seule chose que Camille ne pouvait pas être : jeune, sans fardeau, et, dans son esprit, fertile. Une page blanche sur laquelle il pouvait écrire son propre avenir, libre du traumatisme de la famille de Villiers.
La douleur était une chose vivante en elle, une bête qui lui griffait les entrailles. Elle parvint d'une manière ou d'une autre à se ressaisir, à retourner dans la fête scintillante, le masque de l'hôtesse parfaite se remettant en place.
Elle vit Clara de l'autre côté de la pièce, une rougeur triomphante sur les joues. Une petite marque sombre, un suçon, était visible juste au-dessus du col de sa robe. La vue de cela était un nouveau tourment.
Clara croisa son regard et, au grand choc de Camille, se dirigea vers elle. Elle avait l'air nerveuse, serrant une coupe de champagne.
« Madame de Villiers », commença-t-elle, la voix un peu tremblante. « Le champagne... il est un peu trop fort pour moi. Pourriez-vous... pourriez-vous m'apporter de l'eau ? »
L'audace était à couper le souffle. La maîtresse, fraîche d'un rendez-vous secret avec son mari, demandant à l'épouse de lui chercher un verre.
Les entrailles de Camille se nouèrent en un nœud serré et furieux. Sa main, celle avec le bras foulé, tremblait.
Et puis, la catastrophe.
Clara, sentant peut-être le changement d'humeur de Camille, fit un pas nerveux en arrière. Elle heurta une haute pyramide de flûtes de champagne, une pièce maîtresse de la fête. La tour vacilla dangereusement. Pendant une seconde horrible, elle sembla suspendue dans les airs, puis elle s'effondra dans une cascade assourdissante de verre brisé et de champagne moussant.
Camille était directement sur sa trajectoire. Elle leva son bras valide pour protéger son visage, mais c'était inutile. Des éclats de verre tranchants s'abattirent sur elle, lui coupant les bras et les épaules. Un gros morceau lui frappa le front, et un flot chaud de sang coula sur son visage. Elle poussa un cri, trébucha en arrière et tomba lourdement sur le sol en marbre.
À travers le bourdonnement dans ses oreilles, elle vit Benoît. Il courait, son visage un masque de terreur. Pendant un instant fugace et insensé, elle pensa qu'il courait vers elle.
Mais il passa juste à côté d'elle.
Il alla vers Clara, qui avait été éclaboussée de champagne mais était autrement indemne. Il la prit dans ses bras, la protégeant de son corps comme si elle était celle en danger.
« Clara ! Ça va ? Tu t'es fait mal ? Le bébé ! » s'écria-t-il, ses mains la vérifiant frénétiquement.
Il ignora complètement Camille. Elle gisait sur le sol, saignante et brisée, invisible pour lui. Il la regarda une fois, ses yeux froids et agacés, comme si elle n'était qu'un inconvénient, un désordre à nettoyer. Puis il lui tourna le dos, toute son attention portée sur Clara, murmurant de douces paroles rassurantes dans ses cheveux.
Camille gisait sur le marbre froid et imbibé de champagne, les éclats de verre s'enfonçant dans sa peau. Elle regarda les débris de la tour de champagne, une métaphore parfaite de sa vie brisée. La douleur de ses coupures était vive, mais ce n'était rien comparé à l'agonie d'être si totalement et complètement abandonnée.
Elle réussit à se relever, sa robe noire maintenant tachée de sang. Elle sortit de la fête, laissant une traînée d'empreintes sanglantes sur le marbre blanc immaculé. Personne ne l'arrêta. Personne ne sembla même remarquer qu'elle était partie.
Elle prit un taxi pour les urgences les plus proches, les mêmes où elle s'était rendue une semaine auparavant.
« Vous êtes seule, madame ? » demanda l'infirmière de triage, ses yeux pleins d'une pitié professionnelle en regardant la coupure sur le front de Camille.
« Oui », dit Camille, sa voix un murmure creux. « Je me débrouille seule. »
Depuis son box rideau, elle pouvait les voir. Benoît avait amené Clara au même hôpital, dans une chambre privée au bout du couloir. Il s'agitait autour d'elle, bordant une couverture sur ses épaules, son visage une image de tendre sollicitude.
Il caressa la joue de Clara, son pouce essuyant doucement une larme inexistante. « Ne t'inquiète de rien », murmura-t-il, sa voix portant dans le couloir silencieux. « Je m'occupe de tout. »
C'était un écho douloureux des mots qu'il lui avait autrefois dits. Les infirmières de l'étage chuchotaient, commentant à quel point il était dévoué, quel partenaire aimant il semblait être.
Camille les regardait, spectatrice de la vie qui aurait dû être la sienne. Elle le voyait tel qu'il était vraiment maintenant : un homme qui ne voulait pas seulement un remplacement, il l'avait déjà remplacée. Dans son cœur, dans sa vie, elle était déjà partie.
Et dans cette chambre d'hôpital froide et stérile, Camille sut qu'elle devait le rendre officiel. Elle devait disparaître. Pour de bon.