Paul a ricané. "Elle est utile, c'est tout. Ou plutôt, elle l'était. Maintenant, on a mieux."
Il a fait un clin d'œil à Sophie. Mon sang n'a fait qu'un tour. J'ai pensé à Léa, qui m'avait appelée en pleurs ce matin, anéantie d'avoir été renvoyée et accusée d'avoir tenté de voler la propriété intellectuelle de l'entreprise. Son projet.
"Vous êtes des monstres," ai-je dit, ma voix basse et contrôlée.
Sophie s'est approchée, son parfum entêtant m'agressant les narines.
"Des monstres qui vont devenir riches. Et toi, tu ne seras plus rien. Léa non plus, d'ailleurs. Cette petite idiote a cru pouvoir nous doubler. Elle apprendra."
Je n'ai plus réfléchi. Ma main est partie toute seule. Le son de la gifle a résonné dans la pièce.
Sophie a porté la main à sa joue, le visage déformé par la surprise et la fureur.
"Espèce de... !"
Avant qu'elle ne puisse finir, Paul m'a attrapée par le bras, sa poigne était brutale. Il m'a projetée contre le mur. Ma tête a heurté la cloison dans un bruit sourd.
"Touche-la encore une fois et je te jure que tu le regretteras," a-t-il grondé, son visage à quelques centimètres du mien.
Je le regardais, impuissante. Dans ce monde physique, j'étais faible. Mais mon vrai pouvoir n'était pas dans mes poings.
"Vous nous avez tout pris," ai-je craché, le goût du sang dans la bouche. "Trois ans de notre vie. Vous seriez encore en train de coder dans votre garage sans nous."
Paul a éclaté de rire. Un rire laid et sans joie.
"Vous n'étiez que des employées. Bien payées, d'ailleurs. Ne sois pas si dramatique. On vous a donné une chance, vous n'avez pas su la saisir. C'est la loi du business."
"Et Clara ?" ai-je demandé. "Vous vous souciez au moins de ce qu'elle est devenue ?"
"Clara ?" a répété Sophie en haussant un sourcil parfaitement épilé. "Ah oui, l'autre coincée. Paul m'a dit qu'elle avait démissionné. Bon débarras. Elle n'avait aucun sens du style de toute façon."
Paul a acquiescé. "Elle a fait son choix. Maintenant, on a besoin du code final de Prometheus, Jeanne. Le lancement est demain. Arrête tes gamineries et donne-le-nous."
Il me tenait toujours fermement. Sa cruauté était sans limites. Ils ne se souciaient pas de nous. Nous n'avions jamais été que des outils.
C'est à ce moment que Marc est entré.
Il a vu la scène : moi, plaquée contre le mur par son frère, Sophie avec la marque rouge de ma main sur sa joue. Un instant, une fraction de seconde, j'ai cru voir de l'inquiétude dans ses yeux.
Mais elle a disparu aussi vite qu'elle était apparue.
Sophie s'est jetée dans ses bras en sanglotant.
"Marc, chéri... Elle m'a attaquée ! Elle est folle ! Elle ne supporte pas de nous voir heureux et de voir l'entreprise réussir sans elle."
Ses larmes de crocodile étaient parfaitement jouées. Marc l'a serrée contre lui, me lançant un regard noir.
"Jeanne, qu'est-ce qui t'a pris ?"
"Elle a insulté Clara et s'est vantée d'avoir ruiné Léa," ai-je répondu, la voix plate.
Marc a soupiré, comme si j'étais une enfant capricieuse.
"Sophie est sous pression, tu devrais comprendre. Et Léa... c'est une affaire réglée. Maintenant, sois raisonnable. Donne-nous le code."
Son regard était vide de toute émotion, de tout souvenir de ce que nous avions partagé. La trahison n'était pas seulement professionnelle, elle était totale, absolue. Il avait choisi.
Il a fait un signe de tête à Paul, qui a resserré sa prise sur mon bras.
"On ne te le demandera pas une troisième fois, Jeanne."
Dans ses yeux, j'ai vu la confirmation de tout ce que je soupçonnais. Il était le chef d'orchestre de cette mascarade. Paul n'était que le bras armé, et Sophie la marionnette.
Le vrai monstre, c'était lui.