« Amélie, maintenant que tu es de retour, cette maison semble un peu à l'étroit pour nous deux. »
Mes parents biologiques, Jean et Sophie Bellier, ainsi que mon frère, Pierre, se tenaient à côté d'elle, leurs visages affichant une gêne évidente mais aucune intention de la contredire.
« Que dirais-tu d'un jeu ? » a poursuivi Chloé, son ton léger contrastant avec la cruauté de ses paroles. « Un pari. Je vais te prendre neuf choses qui te sont chères. Si j'y parviens, tu quitteras cette maison et tu disparaîtras de nos vies pour de bon. Si tu gagnes ne serait-ce qu'une seule fois... je te laisserai la place. »
J'ai regardé mes parents, espérant une intervention, une once de protection. Mais leurs regards fuyaient le mien. Ils aimaient Chloé, la fille enjouée et charmante qu'ils avaient élevée. J'étais une étrangère, un rappel embarrassant de leur erreur passée.
Poussée par un désir naïf de gagner leur affection, de prouver que j'étais digne d'être leur fille, j'ai accepté.
« D'accord, Chloé. J'accepte ton pari. »
Les huit premiers tours ont été une torture. Chloé m'a pris la chambre avec vue sur le jardin que ma mère m'avait initialement attribuée, le bracelet en jade que ma grand-mère m'avait légué, la première robe de haute couture que mon père m'avait offerte. À chaque fois, ma famille restait silencieuse, validant sa victoire par leur inaction.
Le neuvième et dernier pari était le plus cruel.
« Je veux ton petit ami, Marc, » a déclaré Chloé, ses yeux brillant d'une lueur triomphante.
Marc était tout pour moi. Il était un étudiant boursier, comme moi à l'époque, et nous nous étions rencontrés à l'université. Il était doux, attentionné, et son amour était le seul rayon de soleil dans ma vie misérable chez les Bellier.
Le jour de la confrontation, Chloé a sorti un chéquier.
« Marc, je t'offre deux millions d'euros. Épouse-moi, et cet argent est à toi. »
Mon cœur s'est glacé. Je regardais Marc, priant pour qu'il refuse, pour qu'il me choisisse.
Il a souri, un sourire que je connaissais si bien. Il s'est approché de Chloé, a pris le chèque, mais a ensuite secoué la tête.
« L'argent est tentant, Chloé. Mais la personne que je veux épouser, c'est Amélie. »
Il s'est tourné vers moi, s'est agenouillé et a sorti une petite boîte en velours.
« Amélie, veux-tu m'épouser ? »
Les larmes ont brouillé ma vue. J'ai hoché la tête, submergée par le soulagement et la joie. J'avais gagné. J'avais enfin gagné quelque chose.
Chloé, le visage déformé par la rage, a crié : « Très bien ! Je n'ai pas besoin de toi ! Je vais épouser Louis Dubois ! La famille Dubois m'a déjà contactée pour un mariage arrangé ! »
Elle s'est enfuie en courant. Mes parents l'ont suivie, inquiets, sans même un regard pour moi. Seul Marc est resté, me prenant dans ses bras.
« Ne t'inquiète pas, je suis là, » a-t-il murmuré.
Plus tard dans la soirée, alors que je passais devant le bureau de mon père, j'ai entendu la voix de Marc à l'intérieur. Je me suis arrêtée, le cœur battant, pensant qu'il arrangeait les détails de notre mariage.
La porte était entrouverte. J'ai entendu une autre voix, celle d'un homme que je ne connaissais pas.
« Monsieur, Chloé Bellier a accepté l'arrangement avec la famille Dubois. Notre plan a fonctionné. En l'épousant, vous aurez accès aux ressources des Bellier et pourrez enfin vous venger de la famille Dubois qui a causé la faillite de votre père. »
Le silence. Puis la voix de Marc, froide et méconnaissable, a brisé mes illusions.
« Bien. Amélie a été un pion utile. Sa naïveté a parfaitement poussé Chloé dans le piège. Maintenant qu'elle a rempli son rôle, assurez-vous qu'elle ne pose pas de problème. »
Mon souffle s'est coupé. Le monde s'est effondré autour de moi. Marc n'était pas un étudiant boursier. Il était un baron de la pègre, un homme dont le seul but était la vengeance, et je n'étais qu'un outil dans son jeu macabre. Mon amour, ma victoire, tout n'était qu'un mensonge.
Un pion. C'est tout ce que j'étais.
Une rage froide a remplacé le chagrin. Si j'étais un pion, alors je changerais d'échiquier.
J'ai ravalé mes larmes et je suis entrée dans le salon où Chloé se plaignait à mes parents.
« Je ne veux pas épouser ce Louis Dubois ! On dit qu'il est dans le coma, un mort-vivant ! C'est comme épouser un cadavre ! »
Je me suis approchée, ma voix calme et déterminée.
« Je vais prendre ta place. »
Tous les regards se sont tournés vers moi, stupéfaits.
« Je vais épouser Louis Dubois, » ai-je répété, en regardant Chloé droit dans les yeux.
Mon frère, Pierre, a été le premier à réagir.
« Amélie, tu es folle ? Sais-tu ce que tu dis ? »
« Je suis parfaitement saine d'esprit, » ai-je répondu, mon regard balayant ma "famille". « Chloé ne veut pas de ce mariage. Moi, si. C'est une solution parfaite. »
Ma mère, Sophie, a froncé les sourcils.
« Mais... pourquoi ferais-tu ça ? C'est un mariage sans amour, avec un homme... handicapé. »
« Et alors ? » ai-je rétorqué, un sourire amer aux lèvres. « L'amour que je pensais avoir trouvé était un mensonge. Au moins, avec ce mariage, je sais à quoi m'attendre. Pas de faux espoirs, pas de trahison. »
J'ai fixé mon père, Jean.
« J'ai une condition. En échange de ce service que je rends à la famille, en sauvant Chloé d'un mariage qu'elle déteste, je veux une compensation. Je veux les actions de la société familiale qui devaient me revenir de droit. Et je veux que ce soit fait discrètement. Personne, et surtout pas Marc, ne doit savoir que c'est moi qui épouse Louis Dubois jusqu'à ce que ce soit fait. »
Mon père a blêmi.
« Des actions ? Amélie, c'est... c'est de l'extorsion ! »
« Appelez ça comme vous voulez. C'est le prix de mon sacrifice. Vous vouliez que je m'efface, n'est-ce pas ? C'est l'occasion rêvée. Je deviendrai Madame Dubois, et vous n'entendrez plus jamais parler de moi. »
Choqués par ma soudaine fermeté, ils ont fini par accepter. Chloé était ravie, soulagée d'échapper à son sort. Elle s'est jetée dans les bras de Marc dès qu'il est revenu, lui annonçant la "bonne nouvelle".
Le lendemain, alors que je quittais la villa Bellier pour de bon, j'ai reçu une photo sur mon téléphone. C'était un numéro inconnu. La photo montrait la chambre que Marc et moi étions censés partager. Les murs étaient recouverts d'un papier peint que j'avais choisi. Au centre, sur le lit, trônait une immense photo de mariage. Mais ce n'était pas mon visage à côté de celui de Marc.
C'était Chloé.
Elle portait la robe de mariée que Marc m'avait fait essayer, son sourire radieux fixant l'objectif.
Mon cœur, que je croyais déjà en miettes, s'est brisé une dernière fois.
J'ai effacé la photo et bloqué le numéro. En regardant la villa s'éloigner dans le rétroviseur de la voiture qui m'emmenait vers ma nouvelle vie, j'ai fait une promesse. Je ne serais plus jamais le pion de personne.
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