Mon frère, Alan Larson, est devenu ministre de la Culture.
Le jour de sa nomination, il m' a appelée. Sa voix était pleine d' une joie qu' il essayait de contenir.
« Juliette, viens à Paris. J' ai besoin de toi. »
J' ai hésité. Mon domaine à Grasse, c' est toute ma vie, l' héritage de notre famille de parfumeurs.
« C' est pour un parfum, pour un événement diplomatique très important. Seule toi peux le faire. »
Je savais que ce n' était pas la seule raison. Alan ne me ment jamais, mais il cache souvent la vérité derrière des prétextes officiels.
Je connaissais la vraie raison, il me l' avait avouée à demi-mot : sa femme, Cécilia, n' allait pas bien. Ses migraines et son anxiété empiraient. Il espérait que je pourrais créer une fragrance pour l' apaiser, comme celle qui l' avait lui-même sauvé de la dépression des années auparavant.
Alors j' ai accepté. Pour lui.
Il m' a installée dans un appartement privé de l' Hôtel de Matignon, un lieu réservé à ses invités les plus prestigieux. Il m' a dit qu' il s' en était occupé personnellement.
« Personne ne te dérangera ici. Tu pourras travailler en paix. »
Brenda, mon assistante et amie d' enfance, est venue avec moi. Elle a déballé mes flacons, mes essences rares, et les carnets de formules de nos ancêtres. Le petit appartement s' est transformé en un laboratoire miniature.
« C' est incroyable d' être ici, » a-t-elle dit en regardant par la fenêtre. « Le ministre prend vraiment soin de toi. »
Oui, il prenait soin de moi. Peut-être un peu trop.
Le premier soir, Cécilia a appelé Alan alors que nous dînions ensemble dans mon nouvel appartement. Je pouvais entendre sa voix, stridente et pleine de suspicion, à travers le téléphone.
« Tu es où, Alan ? Tu m' avais dit que tu travaillais tard. »
« Je suis à Matignon, chérie, je te l' ai dit. »
« Ne me mens pas ! J' ai appelé ton bureau, tu n' y es pas. Tu es dans cet appartement secret, n' est-ce pas ? Avec elle ? Qui est cette femme ? »
Alan a pâli. Il a essayé de la calmer, mais sa voix à elle est devenue un cri de fureur. Il a fini par raccrocher, le visage fermé.
« Je suis désolé, Juliette. Elle est... sous pression en ce moment. »
Je n' ai rien dit. Je savais que Cécilia me détestait, même sans m' avoir vue depuis des années. Elle était la fille d' un grand industriel, habituée au luxe et au pouvoir. Moi, j' étais la sœur discrète de Grasse, mais j' avais quelque chose qu' elle n' aurait jamais : une place unique dans le cœur de son mari.
Elle ne savait pas que j' étais sa sœur. Alan, pour une raison que j' ignorais, lui avait caché ma venue. Elle s' imaginait une rivale, une maîtresse.
Et elle avait décidé de détruire cette femme.