Le Monstre sous les Traits du Sauveur
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Chapitre 1

Les cloches de Carillon-sur-Loire ne sonnaient que pour guider les âmes perdues sur le fleuve, une tradition que ma famille honorait depuis des générations. Moi, Juliette Murray, j'étais la dernière de cette lignée.

Un jour de brouillard épais, j'ai sonné les cloches non pas pour un bateau, mais pour deux hommes, deux Parisiens importants dont la voiture avait plongé dans la Loire. L'un était l'héritier d'un empire du luxe, l'autre, son cousin, le vicomte Alan Evans.

Cet acte de bravoure a scellé mon destin. Je suis tombée enceinte de l'héritier.

Le jour de notre mariage arrangé, l'église est restée vide. L'héritier ne s'est jamais présenté. J'ai appris plus tard qu'il avait utilisé l'argent destiné à notre union pour organiser des fiançailles grandioses avec Cécilia Gordon, la fille d'un politicien influent.

C'est Alan qui est venu me trouver, son visage une étrange mixture de pitié et de détermination.

« Juliette, ce n'était pas lui cette nuit-là. C'était moi. »

Sa voix était basse, presque un murmure.

« L'enfant que tu portes est le mien. Épouse-moi. Je prendrai soin de vous deux. »

Acculée, humiliée, j'ai accepté. Je pensais trouver en lui un sauveur, un refuge contre la cruauté du monde.

Nous nous sommes mariés. Un mois plus tard, le cauchemar a commencé.

Des « promoteurs immobiliers » ont surgi de nulle part, leurs intentions aussi sombres que la fumée qui a bientôt englouti mon village. Ils ont mis le feu à Carillon-sur-Loire, maison par maison. Tous les habitants, mes voisins, mes amis, ma famille lointaine, sont morts dans les flammes.

Le choc, la terreur, la douleur... J'ai perdu mon enfant. Une fausse couche, provoquée par l'horreur.

Alan était là. Il m'a tenue dans ses bras pendant que je hurlais, il a essuyé mes larmes, il a partagé mon deuil. Pendant trois ans, il a été mon pilier, mon roc. Il m'a aidée à me reconstruire, morceau par morceau.

Et puis, un miracle. J'étais de nouveau enceinte.

Un soir, le cœur battant d'une joie fragile, je suis allée le chercher pour lui annoncer la nouvelle. Je me suis arrêtée devant la porte de son bureau, ma main levée pour frapper.

C'est là que j'ai entendu sa voix, mêlée à celle d'un ami.

« Tu ne peux pas imaginer le soulagement. Cécilia est enfin enceinte. Mon sacrifice n'aura pas été vain. »

L'ami a ri. « Ton sacrifice ? Tu veux dire épouser cette paysanne ? »

« Ne l'appelle pas comme ça, » a rétorqué Alan, mais sans conviction. « C'était nécessaire. Si son premier bâtard était né, celui de l'héritier, il aurait eu des droits. Cécilia n'aurait jamais pu être la première. Il fallait éliminer le problème à la racine. »

Un silence. Puis la voix de l'ami, glaciale. « La racine... Tu parles de l'incendie ? »

« Tous les témoins devaient disparaître, » a confirmé Alan, sa voix plate, dénuée de toute émotion. « Le village, les gens... tout. C'était le seul moyen de protéger Cécilia. »

Le sol s'est dérobé sous mes pieds. Le monde a basculé.

Mon premier enfant... était bien celui de l'héritier. Mon village... massacré. Mon deuil... une mascarade orchestrée par l'homme qui me tenait la main chaque nuit.

            
            

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