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Chloé a plissé les yeux, essayant de déceler une faille dans mon calme.
« Tu acceptes si facilement ? »
« Pourquoi pas ? Ce n'est qu'un appartement. »
Son expression s'est détendue, remplacée par un mépris suffisant.
« Bien. Je savais que tu ne pouvais pas vivre sans moi. Fais vite. Je t'enverrai l'adresse. »
Elle est partie, le pas léger, persuadée d'avoir gagné.
Je suis resté immobile un instant. Le fait qu'elle se soit aussi réincarnée changeait la donne. Cela expliquait son audace. Elle pensait connaître toutes les cartes. Elle pensait que j'allais répéter mes erreurs, fou d'amour pour elle.
Elle se trompait lourdement.
Je suis retourné dans mon bureau et j'ai passé un appel.
« Allô, Pierre ? J'ai besoin d'un service. Achète l'appartement au nom de Lucas Moreau à l'adresse que je vais te donner. Et fais installer des caméras. Partout. Discrètement. »
Le piège était en place. Maintenant, je devais m'occuper d'Éléonore.
J'ai essayé de l'appeler. Sa messagerie. J'ai laissé un message.
« Tata Éléonore, c'est Adrien. J'ai besoin de te parler. C'est urgent. Rappelle-moi. »
Les heures ont passé. Pas de réponse.
L'angoisse a commencé à monter. Et si, dans cette vie aussi, elle avait déjà décidé de s'éloigner ?
Je suis monté dans sa chambre d'amis, celle qu'elle occupait quand elle venait au château. Tout était rangé, impersonnel. Sauf un livre sur sa table de chevet. Un recueil de poèmes de Baudelaire.
Je l'ai ouvert. Un marque-page est tombé. C'était une vieille photo de moi, adolescent. Au dos, son écriture fine et élégante.
« Mon Adrien. Si seulement tu savais. Si seulement tu pouvais voir au-delà de l'amitié. Mais ton cœur appartient à une autre. Alors je me tairai, et je t'aimerai en silence. »
La date correspondait à la semaine où j'avais déclaré mon amour à Chloé pour la première fois.
Mon cœur s'est serré. La preuve était là. La preuve de son amour silencieux, de son sacrifice. Dans ma vie précédente, j'avais été aveugle. J'avais piétiné ce cœur pur pour courir après un serpent.
Plus jamais.
J'ai serré la photo dans ma main. Je la trouverais. Et cette fois, je la chérirais.
Le lendemain matin, l'agitation du festival des vendanges a envahi le château. Invités prestigieux, journalistes, tout le gratin de Bordeaux était là.
J'ai aperçu Lucas. Il se tenait près des cuves, l'air important, expliquant le processus de vinification à un groupe d'admirateurs. Il utilisait mes mots, mes idées. Celles que je lui avais confiées dans ma vie passée, pensant qu'il était mon ami.
Il a fait semblant de trébucher près d'une flaque de vin.
« Oh, pardonnez-moi, je suis si maladroit. J'ai passé la nuit à travailler sur une nouvelle technique de fermentation pour Adrien. Je suis épuisé. »
Il a souri humblement. Les invités le regardaient avec sympathie.
Puis Chloé est arrivée, se précipitant à ses côtés.
« Lucas, mon pauvre Lucas ! Tu travailles trop dur pour les autres ! »
Elle m'a lancé un regard accusateur, comme si j'étais un tyran qui exploitait son pauvre amant.
« Adrien, tu ne vois pas qu'il est fatigué ? Tu devrais le laisser se reposer. »
La comédie était parfaite. Ils jouaient leur rôle à merveille, le génie exploité et sa protectrice dévouée.
Je n'ai rien dit. J'ai juste observé, mon visage impassible.
Ils ont pris mon silence pour de la faiblesse.
Chloé s'est approchée de moi, un sourire narquois sur les lèvres.
« Ne t'inquiète pas, mon amour. Bientôt, tu n'auras plus à te soucier de tout ça. Lucas s'occupera du domaine, et nous pourrons enfin être heureux. »
Elle a continué son jeu, croyant que je n'attendais qu'elle.
« Tiens, » dit-elle en me tendant une petite boîte. « C'est pour toi. Pour me faire pardonner d'avoir été un peu dure hier. »
J'ai ouvert la boîte. À l'intérieur, une cravate. Une cravate bon marché, criarde.
« C'est Lucas qui l'a choisie. Il a bon goût, n'est-ce pas ? »
J'ai refermé la boîte et la lui ai rendue.
« Garde-la. Elle ira mieux à ton futur mari. »
Son visage s'est durci.
« Adrien, arrête ce jeu stupide. Tu sais très bien que c'est toi que j'épouserai. D'ailleurs, il y a autre chose. »
Elle a pointé mon poignet.
« La Patek Philippe de ton père. Elle ne devrait pas être sur ton poignet. Elle devrait être sur celui du véritable futur maître de ce domaine. Donne-la à Lucas. »