L'Expiation Silencieuse
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Chapitre 1

Amélie Dubois regarda le Dr Luc Moreau, son vieil ami d'université, maintenant son oncologue.

Les mots "cancer du pancréas, phase terminale" résonnaient encore dans le bureau silencieux de l'Hôpital de la Croix-Rousse.

Quelques mois. C'était tout ce qui lui restait.

Étrangement, une sorte de calme l'envahit.

"J'ai déjà signé les papiers pour le don d'organes, Luc."

Sa voix était neutre, presque détachée.

Luc la fixa, son visage empreint d'une profonde tristesse. "Amélie, il y a des traitements agressifs, des protocoles expérimentaux. On peut se battre."

Elle secoua doucement la tête. "Non, Luc. C'est ma décision."

Un sentiment de libération, amer et désespéré, la submergea. C'était une fin. Une expiation.

À peine sortie de l'hôpital, son téléphone vibra. Étienne de Valois.

Son cœur se serra. La voix d'Étienne, toujours tranchante, autoritaire.

"Amélie. Sois prête. Week-end d'affaires en Bourgogne. Château de Gilly. Ce soir."

Pas une question, un ordre.

"Oui, Étienne," répondit-elle, la soumission habituelle dans sa voix.

Elle raccrocha, le poids de sa vie, de sa "dette" envers lui, l'écrasant un peu plus.

La maladie semblait soudain secondaire face à l'emprise qu'il exerçait sur elle.

Le château en Bourgogne était somptueux, les partenaires d'Étienne, bruyants et avinés.

Le dîner se transforma rapidement en cauchemar.

Étienne, un sourire froid aux lèvres, désigna Amélie.

"Ma charmante assistante, Amélie, va nous divertir. Un petit jeu de Chartreuse, n'est-ce pas ?"

Un homme d'affaires ventripotent, Monsieur Dubois-Lacour, la regarda avec lubricité.

"Combien de verres pouvez-vous enchaîner, mademoiselle ?"

Amélie sentit la nausée monter. La Chartreuse, si forte, si sirupeuse.

Étienne la fixait, un éclat dur dans les yeux. C'était un test, une punition. Pour Sophie.

Charlotte Deschênes, la fiancée d'Étienne, gloussa. "Allez, Amélie, ne sois pas timide. Montre-nous ce que tu as dans le ventre."

Un verre, puis deux. Sa gorge brûlait. Trois. Le monde commençait à tanguer.

Quatre. Elle sentit une douleur aiguë lui transpercer l'abdomen.

Les rires gras des hommes d'affaires résonnaient. Étienne ne cillait pas.

Elle continua, vidant verre après verre, son corps hurlant, son esprit s'accrochant à l'idée que chaque gorgée la rapprochait du pardon.

Étonnamment, elle tint bon, vidant une quantité absurde de liqueur.

Les hommes d'affaires étaient impressionnés, presque respectueux.

Dubois-Lacour, un peu éméché mais moins hostile, s'approcha.

"Mademoiselle, vous êtes incroyable. Si jamais vous voulez changer d'air, mon entreprise..."

Amélie secoua la tête, un sourire las sur les lèvres.

"Merci, monsieur, mais j'ai une dette envers Monsieur de Valois. Je dois rester."

Sa voix était faible, mais ferme.

Les hommes échangèrent des regards perplexes. Cette "dette" semblait bien mystérieuse.

Étienne observait la scène, son expression indéchiffrable.

Plus tard dans la soirée, alors qu'elle rangeait des documents dans la bibliothèque du château, Étienne la rejoignit.

Il la plaqua brutalement contre une étagère, son visage à quelques centimètres du sien.

Son haleine sentait l'alcool et la colère.

"Pourquoi ? Pourquoi fais-tu ça, Amélie ? Pourquoi t'infliges-tu ça ?"

Sa voix était un murmure rauque, chargé d'une douleur qu'elle ne comprenait pas.

Ses mains serraient ses bras si fort qu'elle grimaça.

"Je... je le mérite, Étienne. Pour Sophie."

"Sophie..." Il ferma les yeux, une ombre de souffrance traversant son visage. "Tu crois que c'est ce qu'elle aurait voulu ?"

Soudain, la porte s'ouvrit. Charlotte entra, son visage se durcissant en voyant leur proximité.

"Étienne, mon amour ? Je te cherchais."

Étienne lâcha Amélie aussitôt, son masque froid se remettant en place.

"J'arrive, Charlotte." Il jeta un dernier regard à Amélie, un mélange de fureur et de confusion, avant de sortir.

Amélie resta là, tremblante, le cœur battant la chamade.

De retour dans sa petite chambre de service, la douleur dans son ventre devint insupportable.

Elle se plia en deux, haletante.

Puis elle vit le sang. Sur sa robe, sur le sol. Beaucoup de sang.

Le cancer. La Chartreuse. Tout se mélangeait en une agonie pure.

Elle s'évanouit, le nom de Sophie sur les lèvres.

Dans l'inconscience, les souvenirs affluèrent, doux et cruels.

Marseille. L'université. Sophie, sa meilleure amie, sa sœur de cœur.

Leurs rires, leurs secrets partagés.

Et Étienne. Avant. Avant la tragédie.

Étienne, son fiancé, tendre, passionné. Leurs promenades main dans la main sur le Vieux-Port.

Leurs projets d'avenir. Un bonheur si simple, si pur.

Sophie, toujours là, taquine, complice. "Vous êtes tellement mignons tous les deux !"

Un fragment de bonheur volé, brillant intensément dans les ténèbres de son présent.

Puis le rêve vira au cauchemar.

La ruelle sombre. Le concert tardif.

Les silhouettes menaçantes. L'agression.

Les cris. La peur panique.

Sophie, se jetant devant elle. "Cours, Amélie ! Cherche de l'aide, cours !"

Le bruit sourd. Le sang de Sophie sur ses mains.

Les yeux d'Étienne, plus tard, à l'hôpital. Froids, accusateurs.

"C'est de ta faute. Tu l'as laissée mourir."

La culpabilité, ce monstre qui la rongeait depuis des années.

La "dette" qu'elle payait chaque jour.

Amélie se réveilla en sursaut, en sueur, le cœur martelant sa poitrine.

La douleur était toujours là, mais moins vive.

Elle se leva péniblement, se nettoya.

La mort. Oui, c'était la seule issue.

La seule façon d'expier. De rejoindre Sophie.

De se libérer enfin de cette culpabilité insoutenable.

Elle sourit tristement. Bientôt.

            
            

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