Mon Souffle Invisible
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Chapitre 1

Mon esprit flottait, léger, détaché de tout.

En bas, dans notre appartement haussmannien, j'entendais Léo.

Mon fils. Il avait sept ans.

Sa petite voix tremblait.

"Maman ! Maman, viens voir Papa !"

Léo agrippait la poignée de la porte de notre chambre.

Il essayait de l'ouvrir, mais elle était fermée à clé de l'intérieur.

Sophie, ma femme, était là, avec Julien.

"Maman, Papa dort très fort, il ne se réveille pas !" criait Léo, sa voix pleine d'angoisse.

J'étais là, dans cette chambre, mais je ne pouvais plus bouger, plus parler. Mort.

La porte s'ouvrit brusquement. Sophie apparut, le visage dur.

"Léo, arrête de crier ! Ton père va bien, il se repose."

"Non, Maman, il est tout froid !"

Elle le repoussa. "Tu mens ! Antoine fait semblant pour attirer mon attention, comme toujours !"

Sa voix était glaciale. Mon cœur, si j'en avais encore un, se serait brisé.

Léo tomba en arrière, ses yeux remplis de larmes et d'incompréhension.

Il se releva péniblement, sa petite main frottant son coude.

"Je ne mens pas, Maman."

Il la suivit, boitillant légèrement, alors qu'elle retournait vers le salon où Julien l'attendait.

Je voulais hurler, la secouer, mais mes cris restaient silencieux, ma colère impuissante.

En essayant de la rejoindre, de la supplier encore, Léo trébucha dans le long couloir.

Il heurta une petite console en marbre.

Un cri de douleur aiguë s'échappa de ses lèvres.

Sa tête avait cogné le coin pointu. Du sang commença à couler sur son front.

Sophie se retourna à peine.

"Arrête tes comédies, Léo ! Tu es insupportable."

Elle accéléra le pas, rejoignant Julien qui l'attendait, un sourire narquois aux lèvres.

Elle quitta l'appartement avec lui, claquant la porte.

Laissant Léo seul, blessé, sanglotant au sol.

Mon Léo. Mon pauvre petit garçon.

Une douleur déchirante, plus vive que celle de ma propre mort, m'envahit.

Je voulais le prendre dans mes bras, le consoler, le soigner.

Mais je n'étais qu'une ombre, un souffle invisible.

Impuissant.

Un flashback. Brutal. La cause de tout.

Quelques jours plus tôt. L'hôpital.

Sophie, le visage fermé, me tenant la main avec une force qui n'était pas de l'amour.

"Tu dois le faire, Antoine. Pour Julien. Il va mourir."

Julien, son amour de jeunesse, son "sauveur" d'un incident trivial de leur enfance.

Il était allongé dans un lit d'hôpital, pâle, mais un éclair de triomphe dans ses yeux que seule moi semblais voir.

Il simulait une leucémie foudroyante. Il avait besoin d'une greffe de moelle osseuse.

Et j'étais, soi-disant, le seul donneur compatible. Une manigance orchestrée par lui, acceptée aveuglément par elle.

J'étais déjà faible. Une anémie sévère, diagnostiquée depuis des mois.

Le médecin avait été clair : "Monsieur Dubois, toute ponction de moelle serait extrêmement risquée dans votre état."

Sophie avait balayé ses objections. "Il est fort, il s'en remettra. Julien a besoin de lui."

Elle avait signé les décharges, usant de son influence.

J'avais cédé, pour elle, pour la paix, espérant stupidement que cela la ramènerait à moi, à nous.

L'opération m'avait vidé. Je n'avais pas survécu.

Et maintenant, elle me traitait de menteur, même dans la mort.

Elle croyait que j'étais "endormi", que je simulais pour la manipuler.

Son aveuglement était total, sa cruauté sans bornes.

Julien avait gagné. Il l'avait entièrement sous son emprise.

Léo, mon pauvre Léo, se redressa difficilement.

Le sang coulait toujours, se mêlant à ses larmes.

Il regarda la porte fermée, puis se tourna vers la chambre où je "dormais".

"Papa," murmura-t-il, "je vais dire à Maman que tu as besoin d'elle. Elle va revenir."

Sa résilience, son amour inconditionnel pour nous deux, me poignardaient.

Il entra doucement dans la chambre.

Mon corps était allongé sur le lit, immobile, froid.

Il prit ma main, si petite dans la sienne.

"Papa, tu as froid ?"

Il tira la couette, essayant de me couvrir mieux.

Sa tendresse naïve était un supplice.

"Ne t'inquiète pas, Papa. Je vais chercher Maman. Elle va te soigner."

Il ne comprenait pas. Comment le pourrait-il ?

Il déposa un baiser maladroit sur mon front glacé.

"Je t'aime, Papa."

Ces mots, purs, innocents, résonnèrent dans le silence de ma mort.

Léo sortit de la chambre, déterminé.

Il attrapa le téléphone fixe du salon. Il connaissait le numéro du bureau de Sophie par cœur.

Il composa, une main tremblante tenant le combiné contre son oreille, l'autre essuyant le sang qui brouillait sa vue.

La sonnerie. Longue. Interminable.

Enfin, la voix de la secrétaire de Sophie. "Maison Leclerc, bonjour."

"Je veux parler à ma maman, Sophie Leclerc," dit Léo, sa voix faible.

"Madame Leclerc est en réunion très importante, elle ne peut pas être dérangée."

"Mais c'est urgent ! C'est pour Papa !"

"Je suis désolée, petit, elle a dit de ne pas la déranger sous aucun prétexte." Clic.

Sophie l'avait encore rejeté.

Léo essaya encore. Et encore.

Chaque appel se heurtait au même mur d'indifférence polie.

Le téléphone finit par ne plus avoir de batterie. L'écran devint noir.

Un symbole de son espoir qui s'éteignait.

Léo regarda autour de lui, perdu. La douleur à sa tête le lançait.

Il devait rejoindre Maman. Lui expliquer. La forcer à écouter.

Il prit une décision. Il irait à son bureau. À la Maison Leclerc.

Ce n'était pas loin, quelques rues à traverser. Mais pour un enfant de sept ans, blessé et seul, c'était un voyage périlleux.

Il enfila son petit manteau, grimaçant de douleur quand il bougeait son bras.

Il prit son courage à deux mains, ouvrit la lourde porte d'entrée de l'appartement.

Le palier était sombre. L'escalier en colimaçon semblait interminable.

Chaque marche était une épreuve. Sa jambe le faisait souffrir. Sa tête tournait.

Mais l'image de mon visage "endormi" le poussait en avant.

Je flottais à ses côtés, mon âme déchirée.

Je voulais le porter, le guider, le protéger.

Mais je ne pouvais que regarder, impuissant, sa petite silhouette courageuse affronter la dureté du monde.

Chaque gémissement de douleur qu'il étouffait était une torture pour moi.

Il arriva enfin en bas, dans le hall froid de l'immeuble.

La lourde porte cochère s'ouvrit sur la rue parisienne, bruyante, indifférente.

Il hésita un instant, puis s'avança sur le trottoir.

Épuisé, en sang, mais déterminé.

Il arriva devant l'imposant bâtiment de la Maison Leclerc.

Le portier, habitué à voir des clients élégants, le regarda avec dédain.

Léo, la tête haute malgré tout, annonça :

"Je suis Léo Dubois. Je viens voir ma mère, Sophie Leclerc."

Juste à ce moment, une voiture de sport rutilante se gara devant l'entrée.

Julien en descendit, souriant, suivi de près par Sophie, radieuse à son bras.

L'espoir de Léo s'effrita instantanément.

            
            

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