Le jour de ma mort, il pleuvait sur Bordeaux.
Je me souviens du froid qui s'infiltrait à travers les murs de pierre du Château Delacroix, un froid qui n'avait rien à voir avec la météo.
Julien, mon mari depuis quarante ans, se tenait près de la fenêtre. Son dos était raide, une silhouette sombre contre le gris du ciel.
« C'est Chloé qui aurait dû être ici », a-t-il dit, sa voix plate. « C'est elle qui aurait dû être la maîtresse de ce domaine. »
Chloé. Sa cousine éloignée, morte jeune dans un accident de voiture des années auparavant. Un fantôme qu'il a chéri toute sa vie.
J'avais consacré chaque seconde de mon existence à ce domaine, à lui. Mon talent pour l'œnologie, hérité de mon père, avait transformé le Château Delacroix en une légende mondiale. J'avais porté son nom plus haut que ses ancêtres n'auraient jamais pu l'imaginer.
Mes enfants, nos enfants, se tenaient derrière moi. Ils ont essayé de protester, de défendre leur mère.
Il ne les a pas écoutés.
« Tu n'as jamais été qu'un substitut, Amélie. Maintenant, tu peux partir. »
Il m'a déshéritée. Il m'a chassée.
Mon cœur s'est brisé. Littéralement. La douleur dans ma poitrine était si intense que j'ai suffoqué. Je suis tombée sur le sol en chêne que j'avais fait polir pendant des décennies.
La dernière chose que j'ai vue, c'est le regard vide de Julien.
Puis, l'obscurité.
Une lumière crue m'a aveuglée.
J'ai cligné des yeux, confuse. L'odeur de la cire d'abeille et des fleurs fraîches a remplacé celle de la poussière et du désespoir.
Je me suis assise brusquement. J'étais dans ma chambre, au château. La chambre de ma jeunesse.
Mes mains... elles étaient lisses, sans les taches de vieillesse et les cicatrices du travail de la vigne.
J'ai couru vers le grand miroir. Le visage qui me fixait était celui d'une jeune femme. Mes cheveux noirs étaient longs, ma peau était sans rides.
Mes yeux se sont posés sur le calendrier posé sur ma coiffeuse.
Le 15 juin. Mon vingt-cinquième anniversaire.
Le jour fatidique. Le jour où la famille Delacroix devait annoncer qui, de moi ou de Chloé, deviendrait la future épouse de Julien.
Mon cœur a martelé ma poitrine. J'étais revenue.
J'ai touché mon propre visage, sentant les larmes chaudes couler sur mes joues. Ce n'était pas un rêve.
J'avais une seconde chance.
Et cette fois, je n'allais pas la gaspiller.