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Point de vue de Ravenna
La forêt était mon monde. Depuis toujours, elle m'entourait, m'abritait et me protégeait. Mon quotidien se déroulait au milieu des arbres anciens, du bruissement des feuilles sous le vent, et du craquement des branches sous mes pas. Mais même si je vivais au cœur de la nature, ma maison n'était pas une cabane en bois rudimentaire comme les humains pourraient l'imaginer. Non.
Notre demeure, bâtie en pierre sombre et en bois massif, se dressait fièrement entre les grands sapins, imposante et majestueuse. Elle ressemblait à un véritable manoir perdu dans la forêt, avec ses grandes fenêtres voilées de rideaux épais, ses portes sculptées et ses vastes pièces remplies de meubles anciens. À l'intérieur, tout était élégant et raffiné, mais jamais tape-à-l'œil. Ici, la richesse se mesurait à la puissance de la meute et non à l'or ou aux bijoux. Pourtant, malgré tout ce luxe, cette maison me paraissait parfois étouffante. Comme une prison déguisée.
Je vivais ici avec ma famille et avec de nombreux autres membres de notre meute. Nous étions nombreux, répartis dans plusieurs bâtiments autour du manoir, chacun avec des fonctions bien précises. Certains étaient des chasseurs, d'autres des guérisseurs, et d'autres encore étaient responsables de la sécurité de notre territoire. Tout autour de notre bastion, il y avait des sentinelles qui patrouillaient sans cesse, garantissant que personne ne s'aventure trop près de notre domaine.
Parfois, je les voyais passer à toute vitesse à travers les ombres des arbres, leurs silhouettes furtives et leurs sens aiguisés qui captaient chaque mouvement. Ils étaient aussi invisibles que des fantômes pour les humains qui s'aventuraient trop près, ignorant ce qui se cachait dans l'ombre. Certains de nos membres, eux, se faisaient passer pour des humains lorsqu'ils se mêlaient à la société. Ils avaient appris à vivre parmi eux, à les manipuler, à les influencer. Grâce à eux, notre meute était toujours au courant de ce qui se passait dans le monde extérieur. Ils étaient devenus une sorte de réseau secret, une force invisible qui tirait les ficelles dans l'ombre de la société humaine.
Mais moi, je n'étais pas comme eux. J'étais une enfant, et la forêt restait mon refuge. Je n'avais pas encore l'autorité de prendre des décisions importantes. Je n'étais pas encore un membre influent de la meute. Pourtant, je savais que tout ça finirait par changer. La place de leader, la gestion de notre territoire, les alliances avec d'autres clans... tout ça, un jour, serait sur mes épaules.
Et puis il y avait lui.
Cela faisait maintenant deux ans que j'avais sauvé ce garçon aux yeux étranges. Deux ans. Mais je n'avais jamais pu l'oublier. Je me souvenais encore du moment où nos regards s'étaient croisés pour la première fois. Il était beau. D'une beauté différente de celle des miens, avec ses cheveux sombres et ses yeux argentés, scintillant comme une lumière froide sous la lune. Jamais je n'avais vu des yeux pareils. Ils avaient cette lueur... un éclat d'émeraude caché au fond de l'argent liquide.
Je repensais souvent à cette journée. À la peur que j'avais ressentie lorsqu'il avait failli être attaqué. À la force avec laquelle j'avais voulu le protéger. Je n'aurais pas dû m'attacher. Il n'était qu'un humain. C'est ce que ma mère disait, ce que mon père pensait. Un simple garçon perdu dans notre forêt, qu'il valait mieux oublier.
Mais je n'y arrivais pas.
Les nuits, quand j'étais seule dans ma chambre aux rideaux de velours, je m'imaginais encore ce qui aurait pu se passer s'il était resté. Si j'avais eu le courage de lui parler plus longtemps. De lui demander son nom. De lui dire qui j'étais vraiment.
Je savais qu'il n'était jamais revenu. Je le sentais. Pourtant, parfois, j'espérais. Je guettais les bruits dans la forêt, le moindre souffle du vent qui aurait pu m'annoncer sa présence. Mais rien. Rien que le silence.
Mon père avait dit que c'était mieux ainsi. Que la meute était tout ce qui comptait. Et puis, en grandissant, j'avais fini par comprendre que des dangers plus grands nous guettaient. Des rumeurs circulaient dans la meute. Mon père se montrait plus vigilant. Les adultes murmuraient sur des conflits avec d'autres clans, sur des chasseurs qui approchaient trop près de notre territoire.
Je savais qu'un jour, je serais obligée de choisir mon camp.
Mais au fond de mon cœur d'enfant, je savais aussi que, peu importe ce que l'avenir me réservait, je n'arrêterais jamais de penser à ce garçon aux yeux d'argent.
Peut-être qu'un jour, nos chemins se croiseraient à nouveau.
Peut-être...