Chapitre 3 Chapitre 3

Ekaterina était plongée dans ses pensées, en pleine immersion dans son rôle. Concentrée, elle avançait d'un pas vif à travers la cité sans vraiment faire attention à ce qui l'entourait. Soudain, elle heurta violemment une jeune femme. Cette dernière avait une vingtaine d'années, peut-être un peu plus. Son teint mat et ses longs cheveux blonds qui descendaient jusqu'à sa taille lui donnaient une allure saisissante. Ses yeux noirs lançaient des éclairs.

- Putain ! Hé, pouffiasse, regarde un peu où tu mets les pieds ! lâcha la jeune femme d'un ton sec.

Ekaterina leva un sourcil, croisant les bras.

- Hé, la morveuse, baisse d'un ton quand tu t'adresses à moi. On n'a pas élevé les poules ensemble, que je sache.

- Tu te fous de moi ? Tu crois que t'es qui ? Ici, c'est chez moi. Alors, à ta place, je redescendrais.

- Ah bon ? Parce qu'il y a ton nom écrit quelque part ? J'ai dû le rater. Donc à ce que je sache, c'est chez tout le monde. T'inverses les rôles, là.

Elle ponctua sa remarque d'un sourire moqueur. La tension monta d'un cran.

- Toi, tu me cherches ! cracha l'inconnue.

- Tu ne me fais pas peur, répondit calmement Ekaterina en baillant.

La jeune femme s'approcha, poings serrés, prête à frapper. Ce qu'elle ignorait, c'était qu'Ekaterina pratiquait le ninjutsu depuis l'enfance. Formée à se défendre et à neutraliser rapidement ses adversaires, elle n'était pas du genre à se laisser intimider.

En une seconde, Ekaterina attrapa le bras de son assaillante, le lui tordit, fit une balayette et la fit tomber au sol avec une facilité déconcertante. Sans perdre une seconde, elle enchaîna quelques coups de pied bien placés, assez pour la sonner, mais sans lui causer de blessures graves. La jeune femme au sol semblait dépassée.

- Je voulais m'excuser au départ, mais tu m'as cherchée. Alors ne viens pas te plaindre, lança Ekaterina en secouant la tête.

À sa surprise, l'autre se releva lentement, chancelante mais tenace.

- Bravo, dit Ekaterina en applaudissant avec sarcasme. Je ne pensais pas que tu tiendrais debout.

- Tu ne sais pas sur qui t'es tombée. Tu vas me le payer.

Elle tenta de lui rendre la balayette, mais Ekaterina la para de justesse. Ce fut l'étincelle de trop. Les deux jeunes femmes se jetèrent l'une sur l'autre dans une bagarre féroce, sous les regards curieux et excités des passants. Deux lionnes, deux énergies explosives. Ekaterina savait qu'elle devait marquer le territoire si elle voulait se faire respecter ici.

Essoufflées, elles finirent par s'éloigner d'un pas, sans toutefois baisser leur garde.

- Je dois avouer que tu te bats plutôt bien... pour une blanche, lâcha la jeune femme entre deux souffles.

- Toi aussi... pour une... T'es quoi au juste ? répondit Ekaterina avec un sourire en coin.

- Sérieux ?

- C'est une blague, répondit-elle, amusée.

Un silence. Puis un sourire. Un début de respect naissait.

- Moi c'est Yulia, dit la jeune femme.

- Yulia, répéta Ekaterina. Moi, c'est... personne.

- Eh bien, enchantée, personne.

Elles se serrèrent les poignets avec force, comme un pacte tacite entre deux combattantes.

- T'es nouvelle ici ? Je t'ai jamais vue traîner par ici.

- Oui, je vis à l'hôtel pour l'instant. Je cherche un appart pas trop cher.

- Ok.

- Bon, je dois y aller, il se fait tard.

- Bien sûr.

- On se reverra peut-être. Cette fois, tu pourras tenter de prendre ta revanche.

- T'inquiète, j'y compte bien.

Un sourire en coin. Un clin d'œil. Ekaterina héla un taxi et disparut dans la nuit. Cette rencontre avait été intense, mais révélatrice. Yulia n'était peut-être pas une ennemie. En tout cas, elle pourrait s'avérer utile. Elle connaissait les lieux, elle avait une certaine influence. Gagner sa confiance pourrait ouvrir bien des portes.

Et Ekaterina, pour réussir sa mission, était prête à tout. Même à se servir des autres.

Trois mois plus tard

Cela faisait maintenant trois mois qu'elle avait posé les pieds dans cette cité. Sept mois sans voir son fils, son bébé. Il lui manquait à en crever. Chaque jour loin de lui était un poids supplémentaire sur ses épaules, mais elle tenait bon. Elle se rapprochait du but, lentement, méthodiquement.

Heureusement, elle gardait un contact régulier avec Thomas. Il lui passait souvent son fils au téléphone, même si elle sentait que sa voix tremblait parfois, de fatigue ou d'émotion. Il lui avait récemment annoncé qu'il repartirait bientôt en mer, pour environ trois semaines. Rien d'alarmant, il lui avait promis. Sa sœur et leur mère s'occuperaient du petit. Ce simple détail avait suffi à la rassurer, à lui donner la force de continuer.

Depuis son arrivée, elle s'était bien adaptée au quartier. Elle avait trouvé un petit studio non loin de l'adresse transmise par le commandant. Elle ne s'était pas encore risquée à approcher Yasinkov ou sa bande – c'était trop tôt. Elle ne connaissait ni les lieux, ni les règles implicites qui régnaient ici.

Mais au bout de deux mois, tout avait changé. Elle connaissait désormais presque tous les visages du quartier. Les habitants s'étaient montrés chaleureux, bienveillants même. Ses voisins l'avaient immédiatement adoptée comme une fille du coin, et elle avait trouvé ça presque émouvant. Elle qui venait d'un monde froid, égoïste, sans solidarité... Ici, les gens se soutenaient, malgré la misère, malgré la violence.

Parmi eux, une femme avait pris une place spéciale dans son quotidien : sa voisine, Tanya. Une femme forte, digne, malgré les épreuves. Elle voyait en elle une figure maternelle, un modèle. Tanya avait cette douceur mélangée à une fermeté naturelle. Ses enfants ne venaient même plus la voir, ce qui brisait quelque chose en elle. Et pourtant, elle gardait la tête haute. Cela forçait le respect.

Mais tout n'était pas rose.

Les hommes du quartier ? Des chiens, pour la plupart. Toujours à traîner dehors, à reluquer tout ce qui passait. Il suffisait d'une paire de seins ou d'un fessier bien rempli pour qu'ils se transforment en bêtes en chaleur. Pour eux, une femme servait à baiser, faire le ménage, pondre des gosses. C'était leur vision étriquée du monde.

Lorsqu'elle avait emménagé, plusieurs gars s'étaient proposés pour l'aider à monter ses affaires. Elle avait accepté, par nécessité. Mais très vite, ils avaient cru qu'elle leur devait quelque chose. Ils s'étaient imaginés qu'elle allait leur céder comme tant d'autres. Mauvais calcul. Elle leur avait montré qu'elle n'était pas de celles qu'on manipule ou qu'on possède. Elle en avait même humilié quelques-uns. Une ou deux bagarres avaient éclaté, rien de bien grave... juste de quoi remettre les pendules à l'heure.

Depuis, plus personne ne la calculait vraiment. Les « teneurs de mur » – comme elle les appelait – avaient compris la leçon. Elle parlait comme eux maintenant, se fondait dans la masse. Et ils avaient saisi qu'elle n'était pas une p*te, qu'elle ne leur accorderait ni regard, ni attention.

Leur attitude l'écœurait. À quoi bon traîner là toute la journée, à vendre de la drogue pour deux billets, au lieu de chercher un vrai travail, de se battre pour sortir de là ? Mais elle ne disait rien. Pas encore. Un jour, elle les ferait tomber. Tous.

Son quotidien était réglé comme une horloge. Réveil à l'aube, jogging, puis séance à la salle de sport. L'après-midi, elle marchait longuement dans la ville, mémorisant les rues, les bâtiments, les visages. Elle passait chez Tanya, partageait un café ou une conversation. Ensuite, elle appelait la sœur de Thomas, parlait à son fils. Ce rituel, chaque jour, était ce qui la maintenait en équilibre.

Elle restait aussi en contact avec son commandant. Elle le tenait informé de l'évolution de la situation. Mais elle l'avait prévenu récemment : à partir d'aujourd'hui, elle ne pourrait plus appeler aussi souvent. Trop risqué. Plus elle s'enfonçait dans la mission, plus elle devait se faire discrète.

Pour l'instant, Yasinkov n'avait pas encore montré le bout de son nez.

Deux semaines plus tard

Le grand jour était enfin arrivé. Elle avait décidé de se présenter devant ce fameux Yasinkov et de lui faire part de son désir d'intégrer son trafic. Elle savait que ce ne serait pas une mince affaire. Depuis plusieurs mois, elle avait entendu les teneurs de murs murmurer à propos de Yasinkov et d'un certain Zeleski. Elle ne savait pas encore qui était ce dernier, mais elle comptait bien le découvrir en temps voulu.

Elle avait fini par apprendre que Yasinkov était le grand patron de la cité où elle vivait. Tous ces types postés à chaque coin de rue travaillaient pour lui. Elle espérait simplement ne pas recroiser ceux qu'elle avait déjà rencontrés, histoire d'éviter d'envenimer les choses. Mais après tout, elle était convaincante. Très convaincante, même.

Vêtue d'un jogging, d'un pull, de baskets et d'une paire de lunettes, elle se mit en route. Une pâté de maison avant l'adresse indiquée, elle réalisa qu'elle y était presque. L'endroit n'était rien de plus qu'un entrepôt crasseux. De loin, elle aperçut deux hommes devant l'entrée, vraisemblablement en charge de la sécurité. Elle savait qu'elle devait passer par eux, mais elle comptait bien les convaincre de la laisser entrer.

À l'entrepôt

Les deux hommes la regardèrent de travers, comme si elle avait tué leur chien. Elle n'avait pourtant encore rien fait – pour le moment. Leur impolitesse l'agaçait déjà. Mais elle leur adressa un sourire.

- Hé, toi, qu'est-ce que tu fous ici ? demanda l'un d'eux, le regard noir.

Elle lui rendit son regard avec autant d'intensité, puis répliqua :

- Hé, la girafe, je ne suis pas née de la dernière pluie. Tu crois m'intimider avec ton regard de hyène affamée ? Redescends. T'as une femme en face de toi, alors parle-moi comme telle.

Le deuxième homme éclata de rire.

- Putain, mec ! Elle t'a clashé comme jamais !

- Ta gueule, répondit sèchement le premier. Et toi, que veux-tu ?

- Je veux voir ton boss, Yasinkov.

- Quoi ? Comment tu connais ce nom ? Tu veux quoi à Yasinkov ?

- Sérieux les gars, vous êtes des flics ou quoi ? Trop de questions là.

- Réponds.

- Laissez-moi passer avant que je pète un câble.

Ils échangèrent un regard, puis explosèrent de rire.

- Et tu comptes nous faire quoi avec ton corps de crustacé ? se moqua l'un d'eux.

Elle plissa les yeux.

- Méfiez-vous de l'eau qui dort, dit-elle calmement.

- Hein ?

- Bref. Laissez-moi passer.

- Dégage. Tu nous gonfles. Sinon on te fait bouger nous-mêmes.

- Ah ouais ? Bah venez, alors.

Elle recula volontairement, jouant la fille effrayée. Lorsqu'ils baissèrent leur garde, elle courut en zigzag vers la gauche, les prit de vitesse et se faufila à l'intérieur de l'entrepôt, refermant la porte sur eux. Bien fait pour eux.

Dedans, elle constata qu'il y avait plusieurs entrées. Les deux gardes frappaient toujours à la porte. Elle devait se dépêcher.

Elle suivit des voix, avançant dans ce qui semblait être un labyrinthe. Elle tourna longtemps en rond avant de trouver ce qu'elle cherchait. Les deux hommes avaient réussi à rentrer et étaient à sa poursuite. Elle devait agir vite.

Finalement, elle entendit un homme mentionner « Yasinkov ». Elle n'hésita pas et entra dans la pièce. Un homme la scruta de haut en bas, visiblement surpris par son intrusion. Il était encore plus beau que sur les photos : teint mat, yeux noirs perçants, barbe parfaitement taillée, carrure imposante. Un homme dangereux, sans doute habitué à séduire.

Il l'examina longuement, observant chaque détail de son visage, puis de son corps. Agacée, elle toussota pour briser son regard insistant.

Mais les deux imbéciles revinrent à la charge.

- Putain, cette connasse est là ! cracha l'un.

- Hé, un peu de respect. Je pourrais être votre mère ou votre sœur, bande de guignols !

- Ta gueule, rétorqua l'autre.

- Désolé, patron. Elle est rentrée comme un rat.

- Ce n'est pas un problème, répondit Yasinkov avec un sourire narquois.

Sans prévenir, deux coups de feu retentirent. Les gardes s'effondrèrent, le sol se teinta de rouge. Elle resta figée. Yasinkov était un tireur hors pair. Un homme sans pitié. Elle ne s'attendait pas à ça.

Elle ne montra pourtant aucune peur. Elle en avait vu d'autres.

Yasinkov ordonna à ses hommes de débarrasser les corps. Il se tourna ensuite vers elle, toujours armé, le regard froid.

- Dégage d'ici avant que je te bute.

Ses mots glacèrent l'atmosphère. Mais elle ne recula pas.

- Pas avant que tu ne m'aies embauchée.

Yasinkov arqua un sourcil. Intrigué.

            
            

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