Le poids des derniers jours pesait sur ses épaules. Son arrivée ici n'avait rien d'un conte de fées. Entre l'hostilité de son frère, les regards méprisants des membres de la famille et cette atmosphère lourde de non-dits, elle se sentait comme une intruse dans un monde qui n'était pas le sien.
Elle s'arrêta devant une fenêtre donnant sur les jardins. À cette heure tardive, tout semblait figé, comme si le domaine lui-même retenait son souffle. Pourtant, une sensation étrange la fit frissonner. L'impression d'être observée.
Elle balaya la nuit du regard, plissant les yeux pour distinguer quelque chose au-delà des buissons soigneusement taillés. Une ombre.
Elle recula légèrement. Son cœur battait plus vite.
Puis, le mouvement disparut. Peut-être un simple jeu de lumière, une illusion causée par la fatigue.
Elle secoua la tête et tourna les talons.
Mais à peine eut-elle fait quelques pas qu'elle s'arrêta net.
Un papier.
Glissé sous la porte de sa chambre.
Elle s'accroupit lentement et le ramassa, son souffle suspendu.
Un simple morceau de papier plié en deux.
Ses doigts tremblants le déplièrent.
* »Pars tant qu'il est encore temps. »*
Lily sentit une vague glacée lui parcourir l'échine.
Qui avait laissé ce message ?
Et surtout, qui voulait qu'elle parte ?
Elle jeta un regard nerveux autour d'elle, mais le couloir était désert. L'intendante avait précisé que personne n'était censé errer la nuit dans le manoir. Pourtant, quelqu'un l'avait fait.
Elle serra le papier dans sa main.
Un avertissement ? Une menace ?
Elle n'en savait rien.
Mais ce qui était certain, c'est que son arrivée dérangeait.
Elle replaça le message dans la poche de son peignoir et poussa la porte de sa chambre.
Elle allait devoir être prudente.
***
Le lendemain matin, la tension ne l'avait pas quittée.
Dans la salle à manger, le petit-déjeuner était servi avec l'élégance coutumière du manoir. Des plats raffinés, une vaisselle immaculée, des domestiques silencieux veillant au moindre détail.
Alexander était là, bien sûr, assis en bout de table, un journal à la main. Il ne daigna même pas lever les yeux lorsqu'elle entra.
Isabelle était également présente, savourant lentement son café, comme si chaque gorgée était un rituel millimétré.
D'autres membres de la famille étaient là aussi, des cousins, des oncles, des tantes. Des visages inconnus, mais des regards déjà hostiles.
Lily prit place sans dire un mot.
Une femme brisa le silence.
- Il paraît que tu comptes rester quelques temps, dit-elle en déposant sa cuillère avec précision.
Lily leva les yeux.
La femme en face d'elle était élégante, plus âgée qu'Isabelle, avec un regard acéré.
- Oui, répondit Lily calmement.
La femme esquissa un sourire froid.
- Intéressant.
Un silence.
Puis un autre homme prit la parole.
- J'imagine que ce n'est pas pour prétendre à l'héritage ?
Lily déglutit.
Elle sentit tous les regards converger vers elle.
- Je n'ai jamais dit ça, répondit-elle, mesurant chacun de ses mots.
Un léger rire s'éleva.
Alexander venait enfin de lever les yeux de son journal.
- Allons, Lily, il faut être honnête. Tu es ici parce que tu as découvert tes origines. Et avec elles, les privilèges qui viennent avec.
Lily sentit son cœur s'accélérer.
- Je suis ici pour comprendre.
- Comprendre ? répéta Alexander avec un sourire narquois. Très noble de ta part.
Il se pencha légèrement en avant.
- Mais vois-tu, comprendre ce que signifie être une Richmont, c'est aussi comprendre que rien n'est gratuit.
Lily soutint son regard.
- Je ne demande rien.
- Peut-être pas encore, répliqua-t-il.
Un silence.
Puis Alexander posa son journal et croisa les bras.
- D'ailleurs, nous avons prévu un dîner ce soir. Une occasion parfaite pour t'intégrer à notre monde.
Lily méfia immédiatement.
- Un dîner ?
- Un événement mondain, précisa Isabelle avec un sourire poli. Des associés, des partenaires d'affaires, quelques figures importantes. L'occasion idéale de voir si tu as l'étoffe d'une Richmont.
Lily comprit aussitôt.
C'était un test.
Et surtout, un piège.
Mais elle ne pouvait pas refuser.
- D'accord, répondit-elle simplement.
Alexander eut un sourire satisfait.
- Parfait.
***
Le soir venu, Lily se tenait devant le miroir de sa chambre, ses mains légèrement moites.
Elle portait une robe élégante, sobre mais raffinée. Rien d'extravagant, mais assez pour se fondre dans l'univers des Richmont.
Elle inspira profondément et quitta la chambre.
Dans le grand salon, les invités arrivaient déjà.
Des hommes en costume, des femmes parées de bijoux étincelants. Des discussions feutrées, des éclats de rire maîtrisés.
Lily s'avança, consciente de chaque regard qui se posait sur elle.
Alexander était au centre de tout, parfaitement à l'aise dans cet environnement.
Lorsqu'il la vit arriver, un sourire étira ses lèvres.
- Lily, viens donc.
Elle s'approcha prudemment.
- Permets-moi de te présenter Lord Kensington, l'un de nos plus anciens partenaires.
L'homme qui se tenait devant elle était âgé, le regard perçant.
- Enchantée, dit-elle en tendant la main.
Kensington la scruta un instant avant de serrer sa main avec une lenteur étudiée.
- Ainsi, voici la fille cachée des Richmont.
Son ton n'était pas exactement chaleureux.
- C'est un plaisir de vous rencontrer, répondit Lily avec maîtrise.
Alexander sourit.
- Lily vient à peine d'arriver. Nous essayons de l'initier à notre monde.
- Oh, vraiment ? fit Kensington avec un sourire poli. Eh bien, dans ce cas...
Il prit une coupe de champagne et la tendit à Lily.
- Faites donc un discours.
Lily sentit son estomac se nouer.
Un discours ?
Elle savait.
C'était ça, le piège.
Un test, en pleine lumière.
Elle jeta un bref regard à Alexander.
Il attendait, amusé.
Tous les regards étaient sur elle.
Elle sentit son cœur battre plus vite.
Puis elle prit une inspiration et attrapa la coupe.
Elle leva légèrement son verre.
- Je n'ai pas préparé de discours, alors je vais faire simple.
Elle balaya la salle du regard.
- Je ne sais pas encore si j'ai ma place ici. Mais ce que je sais, c'est que les Richmont sont une famille de force et d'ambition. Et si j'ai hérité de quoi que ce soit d'eux, alors je suppose que je trouverai ma place.
Un silence.
Puis, un murmure d'approbation.
Un sourire discret sur certains visages.
Alexander, lui, gardait son expression figée.
Il n'avait pas prévu qu'elle s'en sorte.
Elle but une gorgée et reposa son verre.
- À la famille, ajouta-t-elle.
Les autres levèrent leurs coupes.
Elle avait gagné cette manche.
Mais elle savait que ce n'était que le début.