Chapitre 5 Chapitre 5

La villa Delcourt était plongée dans un calme oppressant. Depuis plusieurs jours, Élise se sentait comme une ombre dans cette maison immense, un fantôme errant dans des couloirs où elle n'avait jamais trouvé sa place. Gabriel l'évitait avec une habileté presque cruelle, disparaissant tôt le matin et rentrant tard le soir. Mais ce soir-là, quelque chose était différent.

Alors qu'elle descendait l'escalier menant au salon, elle entendit des éclats de voix étouffés.

- Gabriel... tu sais que tu ne pourras pas te passer de moi.

Morgane.

Son ton était mielleux, suffisant. Élise s'arrêta net, le cœur battant à tout rompre. Cachée derrière le mur, elle aperçut la silhouette élancée de la femme, son corps moulé dans une robe aussi parfaite qu'elle.

Gabriel, lui, était appuyé contre le bar, un verre à la main.

- Morgane, je t'ai déjà dit que cette conversation était inutile.

- Vraiment ? fit-elle en s'approchant dangereusement. Alors pourquoi me regardes-tu encore comme ça ?

Élise sentit une vague de froid l'envahir.

Il y eut un silence. Trop long. Trop pesant.

- Tu es insupportable, finit par dire Gabriel d'un ton las.

Mais Morgane se rapprocha encore, effleurant sa chemise du bout des doigts.

- Peut-être... mais c'est aussi ce que tu aimais chez moi, non ?

Élise sentit son estomac se nouer.

Elle savait que Morgane n'était pas n'importe qui. Elle avait été une partie de la vie de Gabriel, une femme qu'il avait aimée... et peut-être qu'il aimait encore.

- Et ta chère épouse... poursuivit Morgane avec un sourire sarcastique. Tu comptes lui mentir encore longtemps ?

Gabriel ne répondit pas immédiatement.

- Ce mariage n'aurait jamais dû arriver, finit-il par lâcher. Tu le sais aussi bien que moi.

Le monde d'Élise s'écroula en une seconde.

Un souffle court s'échappa de ses lèvres. Elle recula, sentant un vide sous ses pieds.

Elle aurait dû partir, mais ses jambes refusaient de bouger.

- Gabriel, insista Morgane. Lâche-la. Tu n'as jamais voulu de cette femme. Tout le monde le sait.

Élise serra les poings.

Pourquoi espérait-elle encore quelque chose ?

Elle n'était rien d'autre qu'un poids. Une erreur.

Les larmes lui montèrent aux yeux, brûlantes et amères.

Elle tourna les talons, s'éloignant à pas précipités.

Elle ne voulait pas entendre la suite.

Elle ne voulait pas voir Gabriel choisir Morgane sous ses yeux.

Dans sa chambre, elle se laissa tomber sur le lit, le regard vide fixé au plafond.

Elle n'arrivait plus à respirer.

Le poids de cette humiliation, de ce rejet, de cet amour qu'elle portait à un homme qui ne l'avait jamais désirée... tout s'effondrait.

Elle pensa à son père, à cet avenir qu'il avait voulu sécuriser en la mariant à Gabriel.

Avait-il pensé une seule seconde à son bonheur ?

Avait-elle, elle-même, cru une seule fois qu'elle trouverait l'amour dans ce mariage forcé ?

Elle ferma les yeux, essayant de contenir les sanglots qui secouaient son corps.

Mais c'était trop tard.

Les jours suivants, Élise ne vit presque plus Gabriel.

Il était toujours absent lorsqu'elle se levait et ne revenait que bien après qu'elle se soit enfermée dans sa chambre.

Elle s'enfonça dans le travail, s'occupant l'esprit pour ne pas sombrer.

Traductions après traductions, réunions après réunions, elle laissait les heures passer sans penser à lui.

Mais les nuits étaient plus dures.

Le souvenir de cette nuit entre eux, de la chaleur de ses mains sur sa peau, revenait en boucle, cruel et impitoyable.

Elle se détestait de s'accrocher encore à cette illusion.

Elle devait changer.

- Élise ?

Elle leva la tête.

Julien se tenait devant son bureau, une expression inquiète sur le visage.

- Tu travailles comme une forcenée. Depuis combien d'heures es-tu ici ?

Elle haussa les épaules.

- Je n'ai pas compté.

Julien poussa un soupir avant de s'asseoir en face d'elle.

- Tu vas me dire ce qu'il se passe ?

Elle baissa les yeux.

- Tout va bien.

Il la fixa, sceptique.

- Élise.

Elle sentit sa gorge se serrer.

Puis, à son grand étonnement, elle sentit une larme couler sur sa joue.

Julien ne dit rien.

Il attrapa un mouchoir et le lui tendit.

- C'est Gabriel, n'est-ce pas ?

Elle hocha la tête, incapable de parler.

- Ce type ne te mérite pas.

Elle esquissa un sourire triste.

- C'est facile à dire.

Julien posa une main sur la sienne.

- Tu sais ce que tu devrais faire ?

Elle releva la tête, intriguée.

- Quoi ?

Un sourire malicieux étira ses lèvres.

- Le laisser se mordre les doigts.

Elle haussa un sourcil.

- Comment ça ?

- Élise, tu es intelligente, belle, indépendante. Tu n'as pas besoin d'attendre qu'il se rende compte de ta valeur. Fais-le regretter.

Un éclat de défi s'alluma dans ses yeux.

Et pour la première fois depuis des semaines, elle se sentit différente.

Peut-être qu'il était temps d'arrêter d'espérer.

Peut-être qu'il était temps de se détacher.

Définitivement.