Damien s'arrêta devant une toile en particulier. Elle était immense, presque oppressante. Une scène nocturne, un paysage dévasté où la lune était éclipsée par des nuages noirs, et au centre de la toile, une silhouette féminine, seule, se tenant sur un pont fragile au-dessus d'un gouffre. Ses bras étaient tendus vers l'abîme, comme si elle tentait de saisir quelque chose d'invisible, quelque chose d'inaltérable.
"Regardez cette toile," dit Damien d'une voix grave. "Elle représente une âme perdue, tout comme vous l'êtes. Elle cherche quelque chose, mais elle ignore encore ce qu'elle doit trouver."
Élise s'approcha lentement de la peinture, attirée par la solitude qu'elle ressentait dans chaque coup de pinceau. Cette femme, cette silhouette fragile, elle la comprenait. Elle se sentait comme elle, suspendue entre deux mondes, cherchant quelque chose qui lui échappait.
"Je... je ne suis pas sûre de comprendre," murmura-t-elle, sa voix hésitante. "Qu'est-ce que vous voulez dire ?"
Damien tourna son regard vers elle, une lueur de compréhension dans ses yeux. "Elle cherche la vérité, mais elle a peur de la découvrir. Elle se sent vulnérable, comme vous vous sentez en ce moment. Il y a des vérités qui sont trop sombres pour être acceptées. Mais parfois, c'est la seule chose qui peut nous libérer."
Élise déglutit difficilement, les mots de Damien lui frappant comme un coup de poing dans le ventre. La vérité. Quelle vérité ? Et pourquoi avait-elle l'impression que cette vérité la concernait plus que n'importe quelle autre personne dans cette galerie ?
Damien s'avança à son tour, ses pas silencieux sur le sol en bois. Il s'arrêta près d'Élise, et pendant un instant, ils restèrent là, ensemble, devant la toile, plongés dans un silence lourd.
"Vous avez des secrets, Élise," dit-il enfin, sa voix plus douce, presque un murmure. "Je peux le voir dans vos yeux. Vous fuyez quelque chose. Quelque chose du passé."
Elle se tendit. Comment osait-il ? Elle ne l'avait jamais autorisé à pénétrer si profondément dans ses pensées. Pourtant, il avait raison. Il y avait des choses, des bribes d'un passé qu'elle avait enfoui au fond d'elle-même, des souvenirs qu'elle n'osait affronter.
"Je n'ai rien à vous dire," dit-elle, presque avec défi, mais sa voix trahissait une certaine fragilité. "Je ne veux pas parler de mon passé."
Damien la regarda sans répondre, un éclat étrange dans ses yeux sombres. "Je ne veux pas vous forcer à parler. Mais le temps viendra où vous devrez faire face à vos démons, Élise. C'est inévitable."
Il s'éloigna doucement de la toile, la laissant seule face à l'œuvre. "Vous voyez, l'art a cette capacité étrange de révéler ce que nous cachons à nous-mêmes. Et parfois, ce n'est pas ce que nous attendions."
Élise resta là un moment, les yeux rivés sur la silhouette de la femme peinte sur la toile. Son corps était tendu, figé dans un instant de suspens, comme si elle hésitait à sauter dans l'obscurité. Élise se demanda si, elle aussi, elle était à ce point suspendue entre deux mondes, incapable de prendre une décision, prise au piège de ses propres peurs.
"Damien," dit-elle enfin, sa voix brisée par une émotion qu'elle ne savait pas identifier. "Pourquoi cette galerie ? Pourquoi toutes ces œuvres... sombres ?"
Il tourna légèrement la tête vers elle, un sourire en coin. "Parce que la beauté réside parfois dans l'obscurité. Et parce que, tout comme moi, vous êtes à la recherche de quelque chose que vous ne comprenez pas encore. Ces œuvres ne sont pas seulement des peintures. Ce sont des reflets. Des reflets de ce que vous êtes, de ce que vous avez été, et de ce que vous pouvez devenir."
Elle déglutit, son cœur battant plus fort. Il y avait quelque chose dans la façon dont il parlait, quelque chose de profond et de menaçant à la fois. Mais il y avait aussi, au fond, une lueur d'espoir qui l'attirait, une promesse que la souffrance avait un sens, que la douleur pouvait mener à quelque chose de plus grand.
"Alors, que dois-je faire ?" demanda-t-elle, sa voix à peine audible. "Que dois-je chercher ici ?"
Damien s'approcha de nouveau, cette fois-ci avec une lenteur calculée. Il se pencha vers elle, comme pour s'assurer qu'elle l'écoutait attentivement. "Vous devez plonger dans l'obscurité. Vous devez accepter de faire face à ce que vous fuyez. C'est seulement ainsi que vous pourrez avancer, seulement ainsi que vous pourrez comprendre ce qui vous hante."
Il s'arrêta juste à côté d'elle, et pour la première fois, son regard sembla plus humain, presque vulnérable. "Parce que vous ne pourrez jamais échapper aux ombres, Élise. Elles font partie de vous. Et si vous ne les acceptez pas, elles vous dévoreront."
Un frisson parcourut la colonne vertébrale d'Élise. Elle n'était pas sûre de ce qu'il voulait dire. Mais en même temps, quelque chose en elle savait qu'il avait raison. Elle ne pouvait pas continuer à fuir éternellement. Ses démons la suivaient, toujours là, toujours prêts à surgir à la moindre ouverture.
"Je vais... je vais essayer," dit-elle finalement, sa voix douce mais pleine de résolution. "Je vais essayer de comprendre."
Damien la regarda un instant sans dire un mot, puis il se tourna vers l'une des autres toiles, comme s'il avait anticipé sa réponse. "Bonne décision. Mais rappelez-vous ceci : comprendre n'est pas la même chose que guérir. Parfois, une vérité doit être acceptée avant d'être guérison. Et parfois, cela fait plus de mal que de bien."
Elle suivit son regard et fixa la toile qu'il lui montrait. Une œuvre encore plus dérangeante que la précédente, où des visages déformés semblaient s'arracher de la toile, se tendant vers l'extérieur comme s'ils voulaient s'échapper. L'un d'eux semblait regarder droit dans ses yeux.
Elle ferma les yeux un instant, son esprit tourbillonnant. Elle savait qu'elle venait de faire un pas qu'elle ne pourrait plus reculer. Les ombres qui l'entouraient étaient plus proches, plus tangibles, mais elle n'avait plus le choix. Elle devait avancer.