Chapitre 4 La non sous scolarisation suite

Les instituteurs étaient scandalisés de constater que Naï continuait à s'instruire clandestinement jusqu'au CM2. De plus c'était elle la plus brave.

Sachant que ses parents lui avaient interdit d'aller à l'école, elle ne voyait pas comment ceux – ci auraient pu l'aider à préparer tout un dossier pour ses examens. Elle répondit :

- Mais je peux faire mon dossier en cachette avec l'aide du maître !

- Non ! Je ne le crois pas. Pour le faire, tu auras besoin de ton acte de naissance qui est sûrement déjà remis à ton futur époux.

Généralement, comme la coutume l'imposait, lorsque le futur gendre versait la dot, on lui remettait l'acte de naissance de sa future épouse, après établissement officiel dudit document bien sûr.

C'est alors que Naï comprit ce que lui disait sa mère, qu'elle ne leur appartenait plus, qu'elle était déjà le patrimoine d'une autre personne. Elle rêvassa, se répéta qu'il y avait un moyen de remédier à ce problème ; mais malheureusement, la triste réalité lui fit comprendre que rien n'était envisageable.

Elle ne pouvait faire état de ce problème de diplôme à sa mère qui serait dans un courroux indescriptible.

Maman Kaliba non plus ne pouvait l'aider. Elle prit son mal en patience et se dit qu'il y avait sûrement quelque chose à faire pour cela.

L'année scolaire touchait à sa fin, la période du C.E.P.E blanc était proche. Naï demanda au maître du CM2 si elle pouvait se présenter. Ce dernier refusa en déclarant que cela n'était pas possible. Il fallait qu'elle obtienne l'approbation du directeur de l'école.

Quand elle alla voir le directeur, ce dernier était surpris et ébahi, ne comprenant rien. Toutes les fois qu'il voyait Naï hors de la classe, elle répétait inlassablement qu'elle attendait ses petits frères. Jamais il n'était à même de deviner qu'elle était une élève clandestine qui de plus apprenait contre le gré de ses parents. Lui, étant un éducateur traditionaliste, n'allait pas contrevenir aux lois établies. Selon lui, elle ne devait pas être instruite et c'est avec la dernière énergie qu'il lui a dit non.

Le jour de l'examen blanc arriva, Naï se présenta. Dès son arrivée à l'école, elle commença à pleurer, mais le maître et le directeur en étaient indifférents. Elle pleurait sans cesse et finalement le directeur eut compassion d'elle. Il lui dit :

- Comprenez Mademoiselle, l'examen blanc ne vous octroiera pas de diplôme ! c'est juste un test qui permet d'évaluer le pourcentage de réussite des élèves à l'examen officiel.

- Oui monsieur le directeur, je suis consciente de cela. Je souhaite juste évaluer mon niveau et savoir si j'ai également bien appris mes leçons comme les autres élèves.

- Ok ! Puisque tu insistes et que tu y tiens vraiment, va t'asseoir. Finalement cela m'intéresse d'examiner le niveau d'une élève clandestine.

Toute joyeuse, elle entra précipitamment dans la salle d'examen, elle essuya rapidement ses larmes qui lui avaient presque mouillé le torse, et, on lui remit l'épreuve et la feuille de composition.

Il faut noter que Naï avait pour crayon à bille son bâton.

Les rares moments où elle avait l'occasion d'utiliser un stylo étaient lorsqu'elle assistait aux révisions de ses petits frères. Quand Kaliba la voyait écrire, elle s'en émerveillait :

- Mais Naï, qui t'a initiée à l'écriture ? De plus tu écris très bien !

- Merci. Surtout ne le dis à personne. Que cela demeure notre secret, autrement papa réduirait maman Sadiatou en pièces.

- Je le sais, c'est la raison pour laquelle je suis inquiète.

- Maman Kaliba, je n'ai pas de crayon, ni de stylo, mais un bâton. Je l'utilise pour écrire sur le sol. De temps à autre je prenais discrètement les crayons de Balisou, et ses stylos, j'écrivais sur des feuilles que mes camarades arrachaient de leurs cahiers pour me les donner. Chacun d'eux m'octroyait trois doubles feuilles et je les rangeais parmi les cahiers et les livres de Balisou.

Elle alla chercher un lot de feuilles dans les affaires de

Balisou qu'elle montra à Kaliba, qui en fut stupéfaite.

Le directeur qui n'imaginait même pas qu'elle sache écrire, vint plus près pour regarder sa main d'écriture. Il était agréablement surpris. Elle avait une très belle main d'écriture.

Durant deux semaines, les élèves ont fait tour à tour des examens. A l'issue de cela, Naï eut de très bons résultats. Elle fut première avec dix - huit et demi de moyenne ! Elle distançait de loin le deuxième qui la suivait avec quinze soixante - quinze de moyenne.

Les enseignants et le directeur ne surent quoi dire. Il y a longtemps qu'il n'y avait eu ce genre de résultats aux examens blancs. La dernière fois qu'on en a entendu parler, c'était dix ans auparavant. C'était la fille du chef de la localité qui avait eu une moyenne similaire à celle de Naï.

D'où provient ce génie, cette fille intelligente à qui l'on n'accorde pas la possibilité de partir à l'école ? C'était la question et la préoccupation des enseignants qui n'étaient pas de la localité. Pour eux, c'était inique, injustifié. Les coutumes de ce village n'avaient plus leur place. Ils s'évertuaient à faire comprendre à leurs collègues, ceux de la localité enracinée dans la tradition que des gens vivent maintenant au vingt - et -unième siècle et que ce genre de loi qui est discriminatoire était déjà surannée. Ce qui était désolant c'est qu'ils parlaient aux oreilles de sourds, ils prêchaient dans le désert. Les traditionalistes n'avaient pas du tout l'intention de la laisser se présenter aux examens officiels.

Naï ne pouvait en parler à sa maman, elle partagea sa joie avec Kaliba qui était silencieuse, elle ne dit aucun mot encourageant à cette fille qui pourtant aidait ses fils à faire leurs devoirs. Son fils aîné était au CM1, le deuxième au CE2 et les trois derniers au CP (Cours Préparatoire).

Puis, en sursaut comme une personne qui sort d'un rêve, Kaliba prit la parole et dit :

- Félicitations Naï ! - Merci !

- Mais malheureusement pour toi, c'est juste l'examen blanc ! Tu ne peux obtenir ton C.E.P.E

- Je l'obtiendrai tôt ou tard ! - Tu en es sûre ?

- Je le sais ; j'ai la ferme conviction qu'un jour je l'aurai.

- Ne te donne pas de faux espoirs, car ton futur époux, je le connais, c'est un tyran. Il ne te laissera jamais continuer tes études, même pas en rêve.

- Qu'il soit un lion ou un éléphant, j'ai dit j'obtiendrai mon C.E.P.E, et je ne m'arrêterai pas au niveau primaire, je ferai les études secondaires et universitaires !

- Hein ! Comment sais-tu qu'après le primaire c'est le secondaire, ensuite le supérieur ?

- Mes camarades qui vont réussir au concours d'entrée en sixième iront au secondaire.

- Tu vois déjà ton avenir tout croquis, alors que ton destin est scellé ailleurs dans un mariage polygynie ! - Polygynie ?

- C'est polygamie qui sonne bien !

- Ah !

- Mais ma grande, ton papa a déjà pris ta dot !

- Oui ! Il en a déjà consommé une partie, mais le reste il le restituera.

- Tu as de l'aplomb !

- Puisque je te le dis !

- Tu ne manques pas d'audace!

- Mon leitmotiv est le suivant: « ne jamais se rompre, inlassablement décréter ses visées. »

- Ok. Apparemment, on ne te rebute pas ! Bon, sois prête pour larmoyer. Dans ce village on épouvante ceux qui osent briser les lois, ceux qui veulent se rebeller contre la tradition. Inéluctablement, tu seras seule dans ton combat !

- Oui, je sais, c'est un problème que je gèrerai toute seule.

- Ce ne sera pas du tout aisé.

- Maman Kaliba, lorsqu'un bébé naît, que fait – il en premier ?

- Il pousse un cri !

- Non maman Kaliba, il ne crie pas, il pleure ! Et, s'il ne le fait pas, la sage - femme fera tout ce qui est en son pouvoir pour qu'il le fasse.

- Oui ! Que veux – tu dire par là ?

- Je veux tout simplement dire que lorsque nous venons dans le monde des mortels, nous pleurons. Si nous ne le faisons pas, la société se chargera de nous amener à le faire. Même le bébé, dès sa naissance, annonce les difficultés que lui réserve la vie à travers les pleurs.

            
            

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