Delphine, la vie en partage et puis l’exil… Tome  II
img img Delphine, la vie en partage et puis l'exil... Tome II img Chapitre 2 À Fédala, la vie en partage...
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Chapitre 4 Des cabanes aux guitounes img
Chapitre 5 Le ciné c'était fête img
Chapitre 6 La cuisine opulente img
Chapitre 7 Quand les objets bruissent de souvenirs... img
Chapitre 8 D'autres présences habitent mon village d'enfance... img
Chapitre 9 L'exil vers l'amère patrie img
Chapitre 10 Déni et confusion... img
Chapitre 11 L'été de notre déshérence... img
Chapitre 12 On fait la malle ! img
Chapitre 13 Sur les quais... img
Chapitre 14 Errance... img
Chapitre 15 Le ciel plombait nos jours img
Chapitre 16 Épilogue img
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Chapitre 2 À Fédala, la vie en partage...

Grand-mère et grand-père...

Le berceau marocain de mes premières années

Ne fut jamais un nid, douillé, enrubanné.

Mais dans mon cœur d'enfance, il s'offre en déhiscence

Pour l'émotion, la joie, de mille réminiscences.

Évoquer Fédala, village où je suis né,

C'est d'abord retrouver, comme émotion première,

De grands bouquets d'images de ma chère grand-mère

Dont la chaleur encore ne saurait se ruiner.

Delphine, c'était surtout la tendresse en partage,

Plus en gestes qu'en mots. Sa blonde chevelure

Captivait les enfants. Pour moi, les craquelures

De ses talons usés attiraient mes mains sages.

Secourable, je l'aidais pour assurer ses soins,

Me faisant infirmier, comme mon père, au besoin.

C'était lors de la sieste qu'auprès d'elle je feignais,

Au jeu du temps béni, de dormir, imprégné

De ce bien-être océanique qui, sans paraître,

Vous laisse toute la vie comme un divin secret.

Le secret d'être aimé. C'est ainsi qu'on se crée.

Plein de ses petits riens où l'amour se fait maître.

L'agacerie, la rogne, la colère, la menace

Agrémentaient aussi les échanges quotidiens.

La course à la savate dont chacun se souvient

N'était pas pour du beurre, foi d'agaceur tenace.

À l'acmé de sa grogne, qui nous dressait le col,

Venaient des mots bizarres, ultimes, en espagnol.

La partie tournait court. Il fallait, par prudence,

Baisser le front afin de retrouver sa chance.

J'ai souvenir d'une gifle que je n'ai pas volée,

Un jour où j'ai voulu me servir de ses mots.

J'avais, innocemment, su tirer le gros lot

Avec un « Maniana ! » lancé à la volée

Contre un ordre impérieux... Mes méninges en sourdine

Se souviendront longtemps de son ire sanguine,

Suivie d'un gros bisou, une tape en complément

Sur mes joues bien rosies... comme une juste maman.

Pour la sieste auprès d'elle on osait se lover,

Imperceptiblement, comme un chat ronronnant.

La chose était sacrée, l'amour éperonnant

Ce bonheur à l'image d'une poule et sa couvée.

Grand-père était discret, réservé, laborieux,

Lucide, jamais en quête de se montrer au mieux.

Travailleur de ses mains à la tête bien faite,

Homme dont les convictions ne battaient pas retraite,

Il marquait sa présence d'un silence accompli.

Je le revois toujours dans la belle acuité

D'un visage contenu, buriné, habité

D'une pesanteur intime, vivante, qui remplit.

Las, j'ai vécu sa perte dans le temps où j'entrais

Dans l'âge de raison, la tête mal accoutrée.

Il mourut, précédé de ses jambes en partance...

Ce deuil fut un ravage dans mon âme d'enfance.

Amputé doublement, veillé à la maison,

Le visage agonique croqué par « Petit-Frère »

Et, jusqu'au bout, l'espoir de ma chère grand-mère

Qui voulait rassurer bien plus que de raison.

« Tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir ! »

Disait-elle, éperdue, d'une voix tout en noir,

S'appuyant sur Joseph, mon père, pour rassurer.

Mais... deux jambes habitaient ma tête pressurée !

Cette année-là, l'école fut d'un cours ravageur.

Chacun vivait sa peine. Les enfants détachés

Du monde des adultes avaient tout à cacher...

Et la mort en secret térébrait nos ardeurs.

            
            

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