Grand-mère et grand-père...
Le berceau marocain de mes premières années
Ne fut jamais un nid, douillé, enrubanné.
Mais dans mon cœur d'enfance, il s'offre en déhiscence
Pour l'émotion, la joie, de mille réminiscences.
Évoquer Fédala, village où je suis né,
C'est d'abord retrouver, comme émotion première,
De grands bouquets d'images de ma chère grand-mère
Dont la chaleur encore ne saurait se ruiner.
Delphine, c'était surtout la tendresse en partage,
Plus en gestes qu'en mots. Sa blonde chevelure
Captivait les enfants. Pour moi, les craquelures
De ses talons usés attiraient mes mains sages.
Secourable, je l'aidais pour assurer ses soins,
Me faisant infirmier, comme mon père, au besoin.
C'était lors de la sieste qu'auprès d'elle je feignais,
Au jeu du temps béni, de dormir, imprégné
De ce bien-être océanique qui, sans paraître,
Vous laisse toute la vie comme un divin secret.
Le secret d'être aimé. C'est ainsi qu'on se crée.
Plein de ses petits riens où l'amour se fait maître.
L'agacerie, la rogne, la colère, la menace
Agrémentaient aussi les échanges quotidiens.
La course à la savate dont chacun se souvient
N'était pas pour du beurre, foi d'agaceur tenace.
À l'acmé de sa grogne, qui nous dressait le col,
Venaient des mots bizarres, ultimes, en espagnol.
La partie tournait court. Il fallait, par prudence,
Baisser le front afin de retrouver sa chance.
J'ai souvenir d'une gifle que je n'ai pas volée,
Un jour où j'ai voulu me servir de ses mots.
J'avais, innocemment, su tirer le gros lot
Avec un « Maniana ! » lancé à la volée
Contre un ordre impérieux... Mes méninges en sourdine
Se souviendront longtemps de son ire sanguine,
Suivie d'un gros bisou, une tape en complément
Sur mes joues bien rosies... comme une juste maman.
Pour la sieste auprès d'elle on osait se lover,
Imperceptiblement, comme un chat ronronnant.
La chose était sacrée, l'amour éperonnant
Ce bonheur à l'image d'une poule et sa couvée.
Grand-père était discret, réservé, laborieux,
Lucide, jamais en quête de se montrer au mieux.
Travailleur de ses mains à la tête bien faite,
Homme dont les convictions ne battaient pas retraite,
Il marquait sa présence d'un silence accompli.
Je le revois toujours dans la belle acuité
D'un visage contenu, buriné, habité
D'une pesanteur intime, vivante, qui remplit.
Las, j'ai vécu sa perte dans le temps où j'entrais
Dans l'âge de raison, la tête mal accoutrée.
Il mourut, précédé de ses jambes en partance...
Ce deuil fut un ravage dans mon âme d'enfance.
Amputé doublement, veillé à la maison,
Le visage agonique croqué par « Petit-Frère »
Et, jusqu'au bout, l'espoir de ma chère grand-mère
Qui voulait rassurer bien plus que de raison.
« Tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir ! »
Disait-elle, éperdue, d'une voix tout en noir,
S'appuyant sur Joseph, mon père, pour rassurer.
Mais... deux jambes habitaient ma tête pressurée !
Cette année-là, l'école fut d'un cours ravageur.
Chacun vivait sa peine. Les enfants détachés
Du monde des adultes avaient tout à cacher...
Et la mort en secret térébrait nos ardeurs.