Père,
Je sais que ça fait beaucoup de temps que je ne t'ai pas écrit. Trois mois pour être plus exacte. J'avais sombré dans l'alcool, essayant de noyer la douleur des informations apprises. Un proverbe atteste que le savoir est une arme et bien, j'ai été tiré dessus par une arme bien subtile.
Là où les médecins prétendent guérir les blessures à l'aide de l'alcool, les miennes persistent. Peut-être sont-elles diabétiques, peut-être, moi aussi, la maladie de l'âme m'emportera.
Un soir, j'étais à la maison, près de la fenêtre, dans le bureau, lorsque le vent entrant, agita ta lettre posée sur la table. Cela me poussait donc à la relire, puis un sentiment de tristesse me donna envie de retourner vers le Père André. D'y retourner jusqu'à ce que je découvre où se cache le noyau de la malédiction, qui avait mené nos vies à s'éterniser sur un ton aussi tragique, et que je le détruise.
Tandis que je lisais de ce fait pour une énième fois tes mots empreints de regrets, il commençait à pleuvoir. Les gouttes de pluie glissant lentement le long des vitres attirèrent mon attention. Ces perles liquides semblaient refléter la complexité de nos vies, chaque trajet sinueux évoquant une histoire, une émotion.
La pluie me rappelait ce jour particulier où avec maman, nous avions partagé un parapluie trop petit, et nos rires avait percé le brouillard de nos préoccupations. Des moments simples, mais chargés d'une douceur qui, à l'époque, me semblait inaltérable.
Au fil des années, j'ai souvent ressenti l'absence de ces petits instants de joie, comme si chaque goutte de pluie qui tombait me murmurait les échos d'un bonheur éphémère.
Tu disais ne m'avoir vu réellement sourire que très peu de fois, mais moi aussi, je dirai la même de vous. Au fond, un enfant a pour première école d'apprendre de ses parents. Il n'y a personne d'autre autour pendant ses premières années de vie, que celle qui allaite l'enfant et celui qui veille à ce que pendant que la mère soit occupé à nourrir l'enfant, les habits de ce dernier soit prêt. Un habit qui le tient au chaud.
Les parents se décollent très souvent des actes outrageux d'un enfant. Or, leurs caractères trahis d'où ce dernier les a cultivés.
Tu insinues m'avoir aimé dans ta lettre, mais je n'ai jamais vraiment vu aucune preuve de cet amour. Oui, tu as été à l'image de la société. Un homme fort qui ne frémi pas devant les émotions. Seulement, ce Dieu vers qui tu m'as envoyé, lui qui est pourtant le plus fort des soldats de guerre qu'une armée pourrait avoir, n'hésite pas à proclamer son amour. Possiblement est-ce pour cela que maman a couru dans ses bras se réfugier.
Tu dis m'avoir aimé, et je ne le crois pas. Cependant, je t'accorderai encore une fois le bénéfice du doute. Je me dis, je pensais aussi qu'il n'aimait pas maman, néanmoins, un homme, m'en a révélé le contraire. Père André prétend que l'orgueil a été le mur qui t'empêchait d'agir comme une âme amoureuse. L'orgueil et une émotion que tu cachais, que tu protégeais des yeux du monde.
J'aimerais te dire, et je pense que tu le sais déjà. Car, la mort te l'a sûrement fait constater. L'orgueil, ça ne sert à rien.
Je veux donc que la vie me prouve que j'ai tort, je veux avoir une preuve et une assurance d'avoir été aimé par vous. Parce que ce doute emprisonne mon bonheur. Je peine à remettre les clefs de mon cœur à un homme. Le seul qui ait eu le courage d'essayer de les voler, j'ai rendu sa vie tant misérable, qu'il a pris ses distances et a disparu.
La bible parle de malédiction générationnelle. Maintenant, j'en ai l'assurance, les blessures d'un parent peuvent infecter le corps de son enfant.
Les pensées mauvaises d'une mère peuvent tuer son enfant et les actes démesurés d'un père peuvent faire penser à son enfant que l'enfer est un endroit paisible. Pourtant, c'est encore pire que la canicule en été qui nous fait perdre connaissance, faute de déshydratation. C'est comme être brulé vif, mais ne jamais trouver la mort.
J'ai acheté une boîte à lettre et je l'ai fait placer près de ta tombe. Tu l'as surement vu, je n'en sais rien. J'y ai mis ma précédente lettre et surement, j'y laisserai aussi celle-ci.
Je commence à peine à connaitre un peu les paroles de ce Dieu dont maman raffolait et Il donne assurance en la vie après la mort. Seulement, si vous découvrez quelque chose de plus grand et de plus beau là-bas, aurez-vous même le temps de passer par cette boite aux lettres et de lire mes messages ? Que dis-je, je ne sais même pas encore quel genre d'hommes, tu as été, alors comment pourrais-je être sûr d'où tu résides en ce moment même ? Si ça se trouve, maman est près de Dieu et toi, tu es perdu parmi des cris de regrets.
Pour être honnête, en dehors même d'avoir relu ta lettre, une autre raison a nourri en moi l'idée de retourner voir le Père André. Je me suis senti perdu.
Avant, il n'y avait que la solitude dans ma vie. Mais, le fait de savoir maintenant que tout ce que je connaissais de ma famille n'était qu'une mise en scène m'a rendu folle.
Sans frère, ni sœur pour m'aider à gérer les émotions et les biens que tu as laissés, j'ai voulu suivre la voie qu'avait prise maman. Je n'ai juste pas été aussi forte qu'elle ou aussi faible, tout dépend de ta vision de la vie. Certains pensent que décider soi-même de son sort est une faiblesse lorsque d'autres y voient du courage.
La première fois que j'avais vu cet homme après ton départ, Monsieur Robert, ton avocat, je lui avais dit de faire ce qu'il voulait de tes biens. Mais après son insistance, l'entendre répéter qu'il ne pouvait pas aller à l'encontre du testament de son plus fidèle client, qui était de tout léguer à sa fille unique, j'avais trouvé autre chose. Je lui avais affirmé que j'allais accepter ta fortune, mais comptais plus tard la donner et même nos photos de famille, à des associations. Je voulais tout partager. Pourquoi garder une trace de personnes qui avaient agi comme des fantômes de leurs vivants dans ma vie ?
Cependant, le Père André au téléphone, qui est devenue mon confident, m'a aidé à y repenser. Il m'a expliqué que le don était une belle chose, mais m'a fait voir l'égoïsme derrière le mien. Je n'aurais pas donné d'un cœur honnête et compatissant. Je voulais donner pour me venger de vous et vous prouver que je pouvais me débrouiller dans la vie sans votre héritage.
Père André n'adulait pas l'idée qu'au lieu d'aller à Jésus avec mon fardeau, j'essayais de le mettre sur le dos des autres.
"On donne avec amour et compassion." Disait-il, "On ne donne pas pour essayer de se débarrasser de ce que l'on considère comme un poison qui, pourtant, est le cadeau que nous a offert quelqu'un en signe de sa désolation. Le Christ nous commande, dans le livre de Luc 17 verset 4, de pardonner. Tu pourras offrir des biens de ton père, lorsque tu auras pardonné. Lorsque tu auras appris à aimer."
Et je me demandais si ça se voyait tant, que je manquais d'amour dans ma vie ?
Il m'a lu une autre parole qui toucha mon cœur. Celle qui dit que Dieu a tant aimé le monde, qu'il donna son fils unique, afin que quiconque croit en lui soit sauvé.
Je me suis émerveillée - alors qu'il était à l'autre bout du fil, et disait, "Christ est mort pour moi ? Pour mon père ? Pour ma mère ?" Et un sentiment de... comment dire... une peine douloureuse m'étranglait les tripes. J'avais honte à cet instant de constater que je traitais quelqu'un qui m'aime réellement, comme vous m'aviez traité lorsque j'étais enfant.
Bien que je ne sois pas moins en colère qu'hier, je me suis posé la question de savoir pourquoi est-ce que je devais abandonner, gâcher ma vie à cause de toi ? À quoi cela servait-il même encore de te détester ?
J'ai donc décidé de ne pas te railler de ma vie. De me réconcilier avec mon passé, et de faire de cela, ma force, au lieu d'accepter que le diable continue de frapper sur des blessures ouvertes. Pour ce faire, il me faut me défamiliariser de toi, ne plus forcer à mon âme de te voir comme un père. Te voir comme une créature ordinaire de Dieu me permettra plus facilement d'éprouver de la compassion envers toi et d'avoir une analyse plus large, un plan plus symétrique de tout ce qui s'est passé.
Certainement en dernier ressort es-tu un enfant mal compris, je ne sais pas. J'irai à la recherche de l'histoire de ta famille, celle que tu ne nous as jamais racontée.
Si tu veux savoir la vérité, peut-être, tu t'en réjouiras, il n'y a pas que toi que j'ai détesté dans ma vie. En effet, je me suis détestée aussi pendant mon adolescence. J'ai détesté le fait d'être une femme. Savoir que j'avais un avenir dicté et pas le droit de rêver trop grand me rendait malade.
J'irai de nouveau voir le Père André dans quelques jours. Les paroles qu'il me récite, de temps à autre, émettent en moi une curiosité et excitation si belles que je finis par avoir envie de courir dans un champ de fleurs.
J'ai l'impression de découvrir en lui quelque chose de surnaturel comme dans les films de science-fiction.
À bientôt,
Elizabeth.