Chapitre 7 Seconde marche nocturne

C'est lors d'une soirée douce de juillet que mon sourire me revient d'un long voyage dans les abysses. Les gens arpentaient les rues pavées, profitant de la lumière teintée d'orange et de rose du crépuscule. Le bonheur habitait leurs visages, bien que le regard de certains cachait une certaine mélancolie, sûrement celle des dernières heures passées à profiter de l'instant. Le calme est rare dans cette ville, les rares moments de paix sont donc un bon prétexte au vagabondage des rêveurs cherchant à reconnaître ces couloirs urbains que l'on a tendance à oublier.

La dernière fois que je suis sorti, je n'avais que 5 ans, une petite vingtaine d'années s'est déroulée depuis. Je regarde ma montre au croisement d'une rue, je serai pile à l'heure pour le spectacle.

La place n'est qu'à moitié fréquentée, plutôt surprenant pour un tel événement mais, après tant d'années, on ne peut blâmer les âmes errantes profitant de chaque seconde de liberté. J'en profite pour m'approcher au maximum de l'immense tréteau s'élevant face à moi, un véritable chef d'œuvre. Au milieu de celui-ci, l'encapuchonné prépare son matériel, s'approchant parfois de la foule pour serrer les mains tendues vers lui, fait monter quelques gamins pour leur montrer le fonctionnement de ses outils tandis qu'ils l'écoutent attentivement. J'entends ça et là des louanges qui lui sont lancés comme des pierres à la gueule des pestiférés et des souvenirs racontés par des anciens. Apparemment, il serait le premier homme d'honneur à avoir eu rôle pour la troisième fois, bien qu'il se soit occupé personnellement de celui qui le précédait. Tuez la mort et elle vous offrira son habit, sa mission et sa faux comme on dit.

Quand le char se montra enfin, des torches commençaient à flamboyer afin d'offrir une visibilité satisfaisante aux spectateurs. La première personne à en descendre était si minuscule que l'on ne la distinguait pas derrière les planches. Une fois les marches montées, nous vîmes une petite fille de quelques années à peine s'avancer vers le rebord dans sa longue robe noire qui recouvrait ses pieds et sur laquelle retombait sa chevelure brune ondulante. Ses yeux d'un vert criard scrutait l'intégralité de la foule d'un regard accusateur. L'encagoulée s'approcha d'elle et lui attacha le pendentif sur lequel figurait la Marque autour du cou. Il lui murmura quelques phrases à l'oreille mais sa voix était inaudible bien qu'elle sembla sortir de la bouche d'un monstre. La petite se mordit la lèvre jusqu'à en saigner, semblant chercher un visage familier dans la foule. Au centre du tréteau, un brasier était en train d'être allumé, illuminant ses boucles qui semblait devenir tantôt rousses tantôt couleur charbon. Une cloche se mît à sonner au loin, l'heure était venue.

«Quel est ton nom?!

-Mes amis m'appellent Paradis, Éden ou Enfer. Certains me surnomment la Pleureuse des caniveaux ou même la Voleuse d'âmes. Choisissez celui qui vous correspond le mieux.

-Bien ma jolie, d'après le registre tu porterais le doux prénom d'Ana Francesca, en serais tu honteuse?!

-Non, c'est vous qui ne méritez pas de le prononcer. Seule une personne ici le pourrai en fait.

-Et qui est-ce?!»

Elle montre une plaque d'égout non loin de moi, la fixant comme si elle allait la soulever et la projeter sur la foule.

«Les rats donc..., l'homme se met à rire bruyamment, en voilà du prestige.

-Non, un de ceux que vous n'attraperai jamais. Maintenant bourreau, faîtes votre office.

-Une dernière volonté d'abord?! Une noble dame telle que vous se doit de partir triomphante.

-En effet, elle me fixe d'un regard menaçant, juste une chose...

-Nous vous écoutons...

-Il n'y a pas de centaures à Londres.»

Sur ces mots, une lame lui traverse le thorax de part en part, montrant sa pointe dans le bas de son ventre. L'homme soulève ensuite son corps encore chaud sans même prendre le temps d'en dégager la lame et la dépose dans le brasier.

«Suivant, je n'ai pas que ça à faire.»

Un sentiment de dégoût s'empare de moi. Alors, c'est ça le divertissement ouvrant l'air de paix dans le pays, on exécute les pauvres de tout âges pour embellir la ville. Tu m'étonnes qu'il n'y avait que peu de spectateurs. Je décide de quitter le secteur, caressant le manche en cuir de mon poignard caché dans ma veste pour me calmer. Arrivé aux énormes portes de la place, deux mecs en tenues rapiécées avec du cuir grossier me retiennent. Personne n'est autorisé à sortir pendant la durée des procès.

J'ai comme un doute sur le final de cette pièce macabre, des hommes se rapprochant peu à peu de la foule, emportant certains d'entre eux voir le spectacle de plus près. Les enfants sont amenés à l'écart et on leur offre à manger et à boire derrière une tenture écarlate, l'un deux sort la tête du tissu pour vomir mais une main sur son épaule le ramène vite à l'intérieur. En m'apercevant que l'un des deux gardes s'éloigne, je fais mine d'entamer la discussion avec le second qui as l'air aviné et, une fois à sa hauteur, lui plante ma lame dans le flanc en lui cognant la tête contre le mur en briques. Il n'est pas mort, juste assommé. De quoi me donner le temps de déguerpir et de laisser ses voyeuristes subir le sort qu'on leur réserve.

La nuit a recouvert le ciel. Tant mieux, l'obscurité à toujours été ma meilleure amie, elle et ma lame ne m'ont jamais laissé tomber. Les rues commencent à se vider peu à peu, laissant place au silence entrecoupé de bruits de pas sur les pavés abîmés, rythme plutôt reposant sur lequel je me concentre pour cacher ma culpabilité aux yeux de tous. Au tournant d'une ruelle, j'aperçois une fillette étendue sur le sol, vêtue d'un veste rembourrée n'ayant aucune utilité par ce climat doux et agréable. Je lui secoue légèrement le bras pour la réveiller jusqu'à ce qu'elle ouvre les yeux. Son visage est pale et ses yeux sont d'un bleu angélique, contrastant avec la dorure de ses cheveux. Elle aurait pu être une déesse norvégienne qui s'est perdue dans nos dédales. Elle se lève et s'éloigne après avoir insisté pour que je prenne une de ses petites boites d'allumettes que j'ai fourrée dans ma poche. Qui sait de quel taré j'ai pu la sauver, c'est déjà un enfant que cette ville ne dévorera pas. À quelques mètres de là, une troupe d'oiseaux s'envolent dans un bruit assourdissant suivi d'un coup de feu, c'est la fillette qui tient le revolver à mon arrivée, un corbeau se débat à ses pieds.

«J'ai jamais aimé les corbeaux.»

Elle jette l'arme dans un égout et s'enfuit en courant. Je décide de déserter les lieux aussi et de rentrer à l'appartement mais, une fois devant ma porte, je remarque qu'un homme me suit, une expression de colère habitant son visage.

            
            

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