Chapitre 5 Le sang de Marie

La petite est assise là, au bout du lit, et me dévisage de ses yeux ronds, ce sourire toujours figé aux lèvres. Je ne la quitte pas du regard, sachant pertinemment que si je la perds des yeux ne serait ce qu'une seconde, elle disparaîtra à nouveau. Sa robe noire contraste le mur immaculé de la chambre, petit moment de répit pour mes yeux rougies par la lumière éblouissante qui y règne. Le temps de sortir de mes pensées, je m'aperçois qu'elle a encore disparue. En essayant de me redresser, je ressens une pression qui me maintien allongé, ces abrutis m'ont sanglé au lit une fois de plus.

J'ai encore dû faire une crise, pas étonnant avec cette lumière qui vous ronge les yeux, vous pénétrant jusqu'au cœur pour mieux vous ronger de l'intérieur. Depuis tout ce temps, elle s'est insinuée en moi, me brûlant les rétines même quand je ferme les yeux. Mes phalanges se mettent à trembler, contractant douloureusement les muscles de mes bras entravés, je serre les dents.

«Chut mon petit corbeau. murmure une voix à côté de moi. Si tu es sage, il te sortiront de ta cage et tu pourras voleter à nouveau et picorer les yeux de qui bon te semble.»

Je relève lourdement la tête, peinant à la pivoter pour y découvrir une main s'approcher de mes cheveux. Je fronce les sourcils et montre les dents comme un animal, c'est tout ce qui reste de moi après des mois d'enfermement. La main se plaque soudainement sur ma bouche et je sens un morceau de métal gelé se poser contre ma nuque.

«N'essaie même pas petite raclure.»

Cette voix, c'est celle de la gosse! Je tente de discerner quelque chose du coin de l'œil mais ma vue est trouble, ça me brûle. Des bruits provenant du couloir se rapprochent, elle enlève sa main mais maintien la lame appuyée, je la vois hésiter. La poignée se met à bouger et je jubile. Je ne sais pas comment elle as put entrer mais elle vas se faire pincer. Je la fixe en souriant comme elle le faisait il y a quelques minutes, savourant chaque seconde du doute qui la gagne. Elle colle la lame contre ses lèvres pour faire signe de me taire.

«Alors Mr Je-Vois-Des-Fantômes, on est calmé maintenant?!

-Justement non, elle est là! Je réponds en faisant un petit signe de la tête pour désigner le coin de la pièce. Vous allez pouvoir me détacher maintenant.

-Je vois, c'est mon ombre qui vous fais du tort apparemment...»

Je peine à observer le petit espace que je viens de désigner mais il est bel et bien vide. Mon cœur recommence à s'emballer quand je vois la femme en blouse revenir avec un plateau trop haut pour que je puisse discerner ce qu'il y a dessus. Une fois entrée, elle ferme la porte derrière et la verrouille puis s'approche avec le chariot et le place au bout du lit. En bousculant l'ossature de ma prison de tissus, j'entends des cliquetis métalliques, ça ne présage rien de bon.

D'un coup, la lumière s'éteint. L'obscurité est accompagnée d'un bruit de verre éclaté juste au dessus de moi. Je suis complètement aveugle mais la douleur s'estompe, le rayonnement omniprésent dans mes pupilles s'évanouit lentement, c'est agréable. La lumière revient aussi vite qu'elle avait disparue, une chance que j'avais les yeux fermées. L'infirmière n'a pas l'air aussi optimiste, elle se met à crier avant de tambouriner à la porte. Un gars de la sécurité déboule et l'enfonce, la fait sortir avant de demander du renfort. J'ouvre lentement les yeux pour chercher un sens à cette agitation, essayant de me redresser de quelques centimètres tout en gardant les yeux légèrement ouverts. Il me faut presque une minute pour comprendre ce qui se passe. Entre temps, un médecin et deux autres gars baraqués ont débarquer dans ma chambre. Je n'ai pas le temps de bien apercevoir le tracé sur le mur qu'on me plaque sur le lit et qu'on m'injecte un autre calmant qui me met dans les vapes.

À mon réveil, je suis assis sur une chaise qui me démolis le dos, toujours attaché aux bras et aux jambes. Un bourdonnement résonne dans mon crâne mais ma vision est déjà plus acceptable. Je suis fatigué et mes muscles me répondent difficilement, j'ai du mal à rester droit et mes épaules me font un mal de chien. Assis au bureau devant moi, le médecin remplit des formulaires qu'il tends à l'un des gardiens autour de lui.

«Sortez, je m'occupe de lui.

-Mais, les ordres...

-Je me contrefout de vos ordres, il est mon patient et j'en fais ce que je veux. Amenez ces formulaires à la responsable et, une fois fait, attendez dehors...

-Bien.

-Et que personne n'entre.»

Je suis les gardes des yeux, presque soulagé qu'ils s'en aillent. Le psy est celui qui me fait le moins peur ici. Dans le meilleur des cas, il me file des analgésiques pour calmer la douleur et dans les pires moments, il me bourre de drogues pour me calmer tout court. Cet endroit n'est pas si mal quand on comprends comment il fonctionne. Il me scrute en tapotant le bout de son stylo sur le bois massif de son meuble. Il me juge intérieurement, je le sais. Il se lève en traînant sa chaise et vient s'asseoir sur le bord du bureau, face à moi.

«Tu commence à nous coûter cher, je vais finir par te coller en isolement intensif si ça continue.

-C'est pas moi...

-Je sais, oui. C'est la petite brune qui as fait ça. Elle est rapide dis moi...

-Je vous dit que c'est pas moi...

-Forcément... Tu n'aurai pas pu faire ça. Tu étais solidement attaché et bourré de sédatifs. Quelqu'un t'en veux ici, c'est certains.

-C'était quoi sur le mur?!

-Le sang n'est pas le plus important mon petit gars. Le problème, c'est que quelqu'un parvient à se promener dans les chambres sans se faire voir. Et, encore plus grave, seulement dans la tienne.»

Je le regarde, médusé par ses réponses. C'est quoi cette histoire de sang et de visiteur qui rôde dans ma chambre?! C'est forcément un canular, un plan pour me faire interner définitivement. Ils utilisent cette gamine pur me rendre taré et dissimulent des messages cachés sur le mur pour prétendre que je dois être complètement isolé. Et pourquoi les deux gorilles ne peuvent pas assister à notre petite audience alors qu'ils étaient présents pendant la panique.

«Dis moi, ça signifie quoi «A» pour toi?!!

-«A»?!

-Sur ta main, la cicatrice que tu t'est faite pendant la coupure de courant...

-C'est pas moi... Je sais pas... Je suis crevé...

-Tu connais Marie?! C'est notre pensionnaire qui est logée à quelques chambres de la tienne.

-La dépressive qui as tué son fils. Oui, je l'ai croisé deux ou trois fois, pourquoi?!

-Sur sa nuque, elle porte un tatouage identique à ta cicatrice. Le souci, c'est qu'elle ne se rappelle pas s'être fait tatouer. Elle est du genre très pieuse, c'est pas trop son truc de faire ce genre de choses.

-Coïncidence...

-Comme son sang utilisé pour décorer ton mur, c'est juste une coïncidence. Elle prétends que tu ressemble à son fils disparu il y à des années.

-Elle est complètement folle, vous le savez très bien.

-Oh oui, je le sais petit corbeau.»

            
            

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