Il n'y aura donc pas eu de troisième grande guerre ni d'holocauste ou de virus mortel... Les machines n'auront pas non plus mené de grande révolution contre leurs propres géniteurs. Non, rien de tout cela n'eut raison de nous. Je pense qu'il fut simplement venu l'âge où, la vie était devenue tempête pour tout homme foulant la terre et où, le vent ne s'épuisait guère plus à balayer les frasques de notre passage. Dès son premier feu, l'homme enclencha les rouages si bien huilés de la machine infernale qu'est son évolution. À peine les premières étincelles furent-elles déployées dans l'atmosphère qu'il n'était plus que question de temps avant que ne sonne la fin du frotteur de silex.
Le climat nous a-t-il tués ? Oui et non. Il a fini le travail. Nous étouffant nous-mêmes dans les sueurs de nos efforts hydrocarbures, il est venu nous achever. Fini la bourlingue, place au silence. 6 mois que je vis ici. Confiné dans ma crypte, j'écris ces lignes, pour sortir de l'ennui et pour ne pas m'embourber dans l'oubli. J'attends que quelque chose se passe, miracle, catastrophe, pfff plus m'importe. Ces lignes, je les écris aussi pour laisser une trace, un message à qui saura un jour me lire... D'autres survivants je l'espère, ou probablement l'un de ces nouveaux terriens âne-alpha-bête de dans des milliers d'années.
En cette ère obscure de l'histoire, il me sera difficile de trouver un éditeur, c'est pourquoi cet ouvrage paraîtra en un unique exemplaire à savoir ce journal de bord que vous aurez sans doute retrouvé là et las sur ma dépouille. Mais certainement qu'à ce temps-là, les mots seront déjà tombés dans l'oubli. Tel un alphabet hiéroglyphique... Alors, à quoi bon écrire dans ce cas ? La chance de trouver un lecteur est infime mais pour autant, ce journal est mon compagnon d'infortune, il sera bientôt mon meilleur ami, mon grand confident. Celui qui ne demande que des mots sur du papier pour son bonheur.
Autre semaine de juin 2054, autres réflexions
Si la vie est fugitive de l'univers, la planète terre en est le seul refuge connu des hommes. Là, on nous y donna l'humus, l'air, le soleil, l'eau, les arbres et les pierres. Nous en fîmes du feu puis des lampes, des outils puis des armes, des huttes puis des villes, des peintures puis des livres, du commerce puis des guerres... Sur sa propre échelle d'évolution, l'homme fut d'abord un survivant alors la terre était son cocon. Par la suite, il devint chasseur et cultivateur alors la terre était sa ferme. Lorsqu'il devint artisan, la terre était son atelier. Le temps filant, il muta en mineur, naturaliste, conquérant, scientifique, biochimiste... Alors la terre se mua pour lui en carrière, jardin, champ de bataille, laboratoire, usine... Mais c'est en en changeant trop la fonction première que la terre est maintenant devenue un véritable brasier. Une sphère en fusion dont le fin tapis de cendre m'abrite encore de la totale perdition.
Avant mon temps, l'humanité suivait son cours en laissant vaquer dans son sillage des œuvres somptueuses et une histoire si vaste que je ne peux que m'efforcer de prolonger à travers ces lignes. Néanmoins, il y a des (r)évolutions dont on ne se relève pas. L'homme n'est plus un loup pour l'homme, il est devenu un piège à loup pour l'homme. Il est les crocs d'acier de sa propre extinction.
« Arrêtez-vous ! » nous criaient les scientifiques à coup de langue fourchue. Car oui, la vie sur terre courait un vil péril. Pour nous sauver, il aurait fallu tout réinventer. Mais que faire quand le capitaine du navire n'a d'yeux que pour l'huile des baleines tandis que ses sbires chargent les mutins ? Seuls dirigeants au gouvernail, le cap de la capitainerie était à l'Eldorado et ils nous y perdirent tous sans même trouver trace de nos fins éclaireurs conquistadores.
Quelle belle chevauchée fut celle de l'humanité renégate. Paysagez-la, piétinant allégrement mère Nature au dos de sa fidèle monture – une jument majestueuse que j'appellerai Tornada.
La destination de notre cavalcade n'existe pas encore car elle n'a pas été – et ne sera jamais – vraiment prédéfinie. Depuis notre départ, on galope et on improvise sans trop se soucier du reste. Nous pourrions néanmoins nous accorder à dire que notre quête se dirige obstinément vers le progrès. Horizon vague qui nous échappe toujours plus à mesure que nous nous en approchons. Ce n'est pas grave, il est là, on le voit, il se montre en vapeur de mirage alors on le suit, on l'observe, on le fantasme... L'ultime progrès, un jour je le sais nous t'attraperons et alors enfin nous tirerons sur les rênes de Tornada qui s'arrêtera pour souffler un peu. L'ultime progrès, c'est comme qui dirait notre Graal lorsque nous l'aurons trouvé nous serons devenus de grands dieux, monarques immortels et tout-puissants.
Steppes, sierras, plaines, vallées, montagnes, forêt, plages, déserts... La route est belle, la route est pure. En chemin, la cavalière sème par-ci par-là une petite pousse de village qui fleurira en mégalopole coloniale. En croupe de monture, tout un tas de lourds et encombrants bagages qui s'accumulent d'année en année. Vous cherchez l'humanité ? Suivez notre crottin d'ordures nous nous débarrassons souvent du démodé. Vous cherchez votre azimut ? Notre nuée de poussière toxique vous guidera même dans la nuit. Que Tornada s'épuise et nous lui greffons une nouvelle paire de jambes à propulsion mécanique. Qu'elle ralentisse encore, qu'elle se rebelle ? Un bon coup d'éperons et ça repart pour une traînée de sueurs gazeuses. Il n'y a que son cœur que nous n'ayons pas changé en machine. Son battement demeure inclonable alors tant qu'il tient, nous tenons. Pour le reste de ses membres, il ne fut et ne sera jamais qu'affaire de recherches et d'innovations.
Initialement majestueuses, l'humanité et sa jument ne sont aujourd'hui plus que deux squelettes éperdus traçant leur route vers elles ne savent où. Parjures fuyantes du dieu soleil luisant en leur dos, il a déjà dépecé la peau mais il ira jusqu'à irradier les os. L'ultime progrès s'éloigne, il gagne devant nous, il se dérobe sous nos yeux secs de larmes. On ordonne de redoubler en coups d'éperons mais rien à faire, à bout de souffle, Tornada s'emballe puis s'effondre. Emporté dans son élan, le squelette de l'humanité plane un instant en apesanteur puis s'étale au sol pour ne pas y mordre la poussière mais bel et bien s'y fondre.
Un monde hypoglycémique, une civilisation qui se dissout, un parterre de gruyère, des anges déchus. Plus rien ne sortirait de l'épiderme de la terre désormais, il avait été cyclé qu'elle n'offrirait plus gîte au vivant pour les quelques prochaines années. Moi qui humain, recherche oxygène, eau et nourriture n'a plus qu'à me résoudre à pourrir.
Cela fait donc 6 mois que je vis ici, foré dans les profondeurs du passé sous une ville dont je ne connais même pas le nom. J'ai creusé mon trou dans l'arrière jardin d'une maison de campagne qui n'était pas la mienne alors que le monde moderne cédait au tumulte général.
Ma caverne fait environ 3 mètres de longueur pour 1 m de largeur sur 1,50 m de hauteur. Mon régime alimentaire ne se compose que d'une soupe froide accompagnée d'une cuillérée de haricots ou de lentilles une fois par jour. Un verre d'eau le soir. Avec cette chaleur, il serait mal avisé de faire un feu alors je mange crus mes aliments. Je m'accorde une petite douceur de temps à autre quand le moral redescend (à savoir une poignée de chocolat en poudre, du lait concentré ou une pincée de fruits secs). Je me demande parfois pourquoi je ne transformerais pas toutes ces rations en grand festin d'adieu. Néanmoins, ayant hérité de cette inextricable accroche à la vie si chère aux humains, j'ai opté pour la survie et donc le rationnement dans l'attente de jours meilleurs. Les nuits sont courtes, 4 à 5 heures tout au plus selon les jours, le soleil ne semble jamais se coucher car même si sa lueur faiblit elle ne s'éteint jamais. Quelques exercices physiques pour maintenir mon corps en état de forme. Un pot en guise de litière que je remplis de terre une fois la tâche accomplie et que je n'utilise que très rarement (en cause, mon rationnement drastique). J'aurais aimé ajouter une bibliothèque à ma hutte pour pouvoir m'évader de ce triste quotidien le temps d'un récit d'aventures. Mais mis à part toi cher carnet, il ne me reste que mes souvenirs de l'ancien monde qui puisse me rendre le sourire et dans lesquels je vagabonde continuellement. J'y retrouve ma famille, mes amis chers et ce que nous partagions ensemble. La nostalgie du bon vieux temps est une fièvre foudroyante.
C'est fini pour nous mais la jungle, la savane, la brousse et les forêts repousseront... La nature sait se recroqueviller en silence et se montrer patiente. Alors elle reviendra conquérir nos villes perdues. Sacré spectacle, des lianes... Partout... Envahissant nos murs comme s'ils étaient des temples Maya. J'entends parfois la terre qui craquelle discrètement, et dans ma hutte, les murs s'effritent. Signe d'un nouvel âge qui gronde, il est le son des plaques tectoniques entrant en collision, le son des montagnes émergeant du sol et des continents qui se déchirent. Mais qu'en disent nos satellites toujours en orbite ? À quoi ressemblera la terre nouvelle ? D'autres l'exploreront comme le faisaient jadis nos ancêtres.
À vous futurs terriens, héritiers des premiers hommes, puissiez-vous lire un jour ces lignes et quand reviendra ce temps où les arbres vous feront ombre et oxygène, faites en vos divinités. Méritez votre terre, méritez son eau, son air, sa faune, sa flore, ses vibrations...