Milan me rappelle de nouveau car je n'ai pas eu le temps de répondre la première fois. Cette fois ci je décroche dès la première sonnerie, mettant le haut-parleur, tout en déboutonnant la chemise ajustée que je portais encore.
- Que se passe-t-il Milan ? Pourquoi m'appelles-tu aussi tard la nuit ? Il est minuit déjà, au cas où tu ne l'aurais pas remarqué.
- Vient au bar. Il s'est passé quelque chose de grave. Le genre qui peut faire que les flics nous collent au basque pendant un bon moment. Dépêche-toi d'être sur place.
Je n'avais plus ma veste. Je boutonne à nouveau ma chemise et récupère mes clés de voiture.
- J'arrive. Essaie de limiter les dégâts de ton côté au mieux.
- Que crois-tu que je fasse depuis ?
- Ouai'p ! J'arrive.
J'attrapai mon arme que je rangeai sous ma chemise, dans mon dos. Je prends Luan avec moi et on y va. Il n'avait pas besoin d'ordres. Un regard lui suffit pour comprendre.
Il était déjà 00 heures comme je l'ai dit à Milan. A cette heure-là de la soirée, toutes les lumières des maisons sont éteintes car tout le monde dormait dans mon quartier. Seules quelques lampes consommant l'énergie solaire, positionnées les unes à distance des autres éclairaient la rue en partie. Il y a un poste de sécurité officiel à l'entrée du quartier. En passant devant, je ralentis légèrement. Les flics ne dormaient jamais vraiment. Puis, j'ai conduit à toutes vitesse jusqu'au bar.
Quand je suis arrivé il y avait une ambulance garée à l'entrée. Je suis allée voir. Une jeune femme était allongée sur le brancard, les yeux fermés, des solutés aux bras. Elle doit avoir 30 ans à une ou deux années près si je me referais à son visage. Elle était toute pâle. C'est sûrement une overdose.
Je pivotai vers Luan.
- Trouve moi le dealer, lui ordonnais-je depuis l'entrée. Fais ça vite s'il te plaît. Et appelle-moi dès que tu as quelque chose.
- Oui monsieur ! Autres choses ?
- Utilise tous les moyens. Moi, je veux des résultats. Cependant, je ne veux pas le bruit. Sois le plus discret que possible.
- Ce sera comme monsieur le désir.
J'ai reculé de quelques pas. Comme si ce n'était que comme ça que je pourrais comprendre l'étendue des dégâts. Comment se fait-il que de la came circule dans mon bar et que je ne sois pas au courant de cela ? Que foutent mes agents de sécurité ? D'un pas décidé, je m'en vais chercher Milan. Il discutait avec des policiers. Deux pour être plus précis.
- Déjà à l'affût, ces sangsues. Ils n'en ratent jamais une occasion. Ils ont trouvé leur pigeon pour ce soir doivent ils se dire.
La musique vibre encore dans le Heaven Night-Club, mais l'ambiance est plus pesante qu'à l'accoutumée. Je m'avance à pas lents, silencieux, un verre de whisky encore intact dans ma main droite, feignant une indifférence que je ne ressens pas. Milan fait face aux deux policiers, la mâchoire crispée, essayant de répondre à leurs questions. Je perçois l'agacement dans son regard, dans la tension de ses épaules sous son costume parfaitement taillé. Je me rapproche pour écouter ce qu'ils se disent.
- Elle a dû venir avec. Que sais-je moi ? Ici, il n'y a pas de commerce du genre. Nos employés ne touchent pas à ça. Attendez qu'elle se réveille et faites votre boulot.
L'un des flics, un type au visage taillé à la serpe, ricane.
- Alors, tout le monde rentre avec ce qu'il veut ici ? commente-t-il. C'est comme un moulin en fait. C'est ce que vous êtes en train de me dire monsieur Ivanović ?
- Non, pas du tout, le contré-je en arrivant. C'est juste qu'ici, on ne fait pas du baby sitting monsieur l'agent. On ne peut pas tout fouiller. C'est un endroit pour adultes responsables monsieur l'agent. RES-PON-SA-BLES ! Il y en a un de vous deux qui ne sait pas ce que peut signifier ce mot ? Je peux bien vous l'expliquer si vous voulez.
Les deux se regardent, visiblement agacés. Le premier tente de répliquer, mais je le coupe d'un ton acéré.
- Responsable, du latin responsus, adjectif. « Qui doit répondre de ses propres actions ou de celles des autres, qui doit être garant de quelque chose ».
L'autre lève les yeux au ciel, exaspéré.
- Soyez pas ridicule, il intervient.
- Il le fallait pourtant. Vous venez clamer que c'est un moulin car certaines substances passent. Que l'on m'explique alors. Combien de temps pensez-vous que cela prendra à chaque agent de sécurité, s'il devait faire tout comme vous venez de me mentionner là ?
Je dis ça, mais au fond je suis furieux contre mes hommes. Comment ont-ils pu laisser cette merde se produire ?
- Combien de temps pensez-vous que votre business va tenir si on se décide à le fermer maintenant ? Il réouvrira dans quoi ? Un mois ? Deux ? Les bars ça poussent par ici. En une semaine, 2 à 3 d'entre eux t'auront déjà fait de l'ombre. Que pourrait-il se passer pendant 2 mois dans cette conjoncture ?
Il n'a pas tort. La concurrence est bien rude. Il y a eu deux nouveaux bars dans le quartier en plus de ce qu'il y avait déjà. Cela n'étonnerait personne si en début de la saison prochaine il en existe d'autres. Mais aucun n'atteindra jamais le prestige du Heaven. Aucun ne sera moi.
Je ricane, secoue la tête et bois une gorgée de whisky.
- En attendant que tu fasses ce que tu viens de dire là, tu dégages de mon bar.
Je rigole, nerveux.
- Reviens quand tu auras un putain de mandat, policier de pacotille.
- Veuillez nous laissez effectuer notre travail monsieur, insiste l'autre, plus ferme.
- Votre travail ! Vous appelez ça un boulot vous ? Laissez-moi rire. Vous gagnez combien avec ce que vous faites ?
Je les pointai tous les deux à tour de rôle.
- Une misère ? Attendez d'avoir un vrai salaire pour parler boulot.
Le premier garde la tête haute.
- C'est décent au moins, dit l'autre. Nous, on ne touche pas du sale nous.
- Parfait, parfait alors. Maintenant emballez votre décence à tous les deux et dégager d'ici bandes de connards invertébrés. Vous faites vraiment pitié.
Ils s'en vont sans faire d'histoire. Ils avaient intérêt de toutes façons. Même quand ils font le forcing, ils savent bien qui je suis. Milan soupire à mes côtés.
- Tu sais dans quel hôpital a été emmenée la fille ?
- C'est au NHS. A celui du centre je crois.
Je hoche la tête et termine mon verre d'une traite.
- Tu m'y accompagnes ? Il faudrait lui parler avant que la police ne le fasse. Cette petite idiote peut nous créer plus d'ennuis qu'elle n'en a déjà fait avec sa stupidité.
Milan hausse un sourcil, clairement contrarié.
- Allons y donc. Kyra va me tuer.
- Elle comprendra.
Je jette un dernier regard à mon club, ce royaume de lumières tamisées et de luxe, avant de sortir dans la nuit glacée de Manchester.
A l'hôpital, l'odeur de désinfectant et les néons blafards m'agacent. On a dû attendre jusqu'au petit matin pour avoir des nouvelles. On s'est présenté comme des membres de la famille pour qu'on nous laisse entrer. Je ne voulais pas faire de forcing et éveiller leur suspicion par la même occasion. La fille se réveillait à peine quand on entra dans sa chambre. Je restais débout, le regard froid.
- Tu t'appelles Olivia, c'est ça ?
Elle hoche la tête, tremblante. Ses doigts agrippent nerveusement le drap blanc.
- Oui.
- Ecoute moi bien chère Olivia, je fronçais les sourcils. Avec ta bêtise, tu m'as foutu dans une sacrée merde. Et c'est un problème très grave ma petite dame. Maintenant, j'ai les flics qui me collent au cul. Par ta faute, ils risquent de faire fermer mon bar. J'exige réparation.
Elle avale difficilement sa salive.
- Je suis désolée monsieur Petrović. Ce n'était pas dans mes intentions de vous chercher des noises.
Milan, adossé au mur, m'observe avec un demi-sourire amusé avant de tapoter mon dos.
- Ne nous affolons pas. Tu peux encore arranger ça. Il suffit juste de faire ce que l'on te dira.
- Tu as compris ? Ou dois-je te l'expliquer mille fois ?
- J'ai compris, murmure-t-elle, la voix chevrotante.
- Parfait, dit Milan. Des policiers viendront t'interroger à propos de ce qui s'est passé au bar hier soir...
- Je leur dirais la vérité, s'exclame-t-elle dans un élan désespéré. Ou je peux leur expliquer que je suis arrivée avec la came dans mon sac. Ce n'est pas bien loin de la vérité en plus. Cela n'a rien avoir avec votre bar de toute façon. Je l'ai acheté à un gars à l'entrée, en vrai. Il m'avait assuré que c'était de la bonne qualité.
Je ferme brièvement les yeux, exaspéré. Cette fille est vraiment stupide. Raconter la vérité et après ? Que croit-elle que cela va arranger ?
- Non, dis-je en rouvrant les yeux et en la fixant d'un regard glacial. Tu ne vas pas expliquer les choses ainsi. Tu leur diras que quelqu'un que tu ne connais pas te l'as vendu à l'intérieur du bar.
Luan m'appelle au même moment. Je laisse Milan discuter avec la fille et me met en retrait histoire de prendre les nouvelles par Luan.
- Oui Luan !
- Ce n'est pas notre came. Mais c'est un de nos gars qui a fait le coup. Le p'tit nouveau qui est venu avec Zayn. C'est son cousin je crois.
Je me frotte la mâchoire, contrarié.
- Envoie moi une photo de lui. Je ne m'en souviens pas de son visage.
Dès que je raccroche avec lui, j'appelle Zayn.
- Ton cousin à foutu le bordel dans mon bar Zayn. On ne touche pas à la famille. Mais il va devoir réparer cela.
- Je m'en occupe boss. C'était un accident.
- Il vend de la came à l'entrée de mon bar et tu me parles d'accident ?
- ...
- En tout cas, tu gères sa merde.
Je retourne dans la chambre d'hôpital où était Olivia. Milan a gardé son air détendu, mais son regard en dit long. Cette gamine a intérêt à bien jouer son rôle.
- Il est où ton téléphone ? je demande.
Elle me le montre.
- Je vais t'envoyer une photo.
Chose que je fis. Maintenant je lui mets la vraie photo sous le nez.
- Regarde bien la personne. Et dis-moi si c'est lui qui t'a vendu cette merde que tu as consommé.
- Oui, c'est lui, elle confirme après avoir visualisé la photo.
- Bien. Garde la photo sur ton téléphone. Regarde le bien afin de mémoriser les traits de son visage. Quand la police t'interrogera, tu leur décriras ce type comme ton dealer.
- Mais...
Je me penche sur elle, mon visage à quelques centimètres du sien, mes yeux plantés dans les siens. Ma voix devient un murmure tranchant.
- Fait très attention à ce que tu vas dire Olivia. De cela dépend si toi tu iras en prison ou non. Si tu gardes ta tête ou non aussi.
Son souffle se coupe. Elle a compris. Et moi, j'ai ce que je voulais.
Liam Lemarchal
Je viens de rentrer chez moi à peine. Ces genres de cérémonie m'insupportent grandement. Les soirées mondaines, un ramassis de faux-semblants, de poignées de main feintes et de sourires hypocrites. J'y vais juste dans le cadre de mon travail. Quoique je suis né dans ce milieu, il ne me fait pas bander. D'ailleurs, quand on me voit, il est assez difficile me mettre dans cette case-là.
A peine ai-je franchi le seuil de mon appartement que je me débarrasse de ma veste en velours noir et de ma cravate hors de prix. Le costume trois-pièces me colle à la peau, étouffant. Je passe une main lasse dans mes cheveux sombres légèrement ébouriffés, prêt à me débarrasser du reste de cette panoplie trop bien taillée pour moi.
Mon penthouse surplombe Manchester. Les lumières de la ville scintillent à travers les baies vitrées, reflet parfait d'un monde que je méprise autant qu'il me fascine. Un verre de whisky repose sur la table basse en marbre, vestige de la veille. J'allais m'y asseoir, savourer enfin un moment de solitude, quand mon téléphone vibre dans la poche de mon pantalon. Je serre les dents. Qui ose me déranger à cette heure ?
Ce fut un appel de mon chef. Je grogne.
- Pfffff ! Minuit et il m'appelle. C'est abusé tout de même. Ils ne savent pas ce que veulent dire heures de repos ? Pfffff !
Je décroche quand bien même. Que pouvais-je faire d'autre ? C'est tout de même mon boss.
- Monsieur !
- On nous appelle pour un incident qui vient de se produire dans un bar du centre-ville, m'annonce monsieur Fritz. Vous êtes encore debout ?
Son ton est sec, professionnel, sans la moindre trace de compassion pour mon état d'épuisement. Je me frotte les tempes, jetant un regard désespéré vers mon lit king-size, drapé de soie grise.
- Je m'apprêtais à dormir monsieur.
- Cela veut dire que vous pourrez le faire. J'attends le rapport sur mon bureau demain à la première heure.
Un silence pesant s'installe. Je serre la mâchoire, mais je réponds quand même, car dans ce monde, on n'a pas le luxe de refuser les ordres.
- D'accord monsieur, dit je malgré moi.
L'appel se termine abruptement, me laissant seul avec mon irritation. Plutôt que d'y aller moi-même, j'attrape mon téléphone et compose un autre numéro, décidant de passer la mission à quelqu'un d'autre. J'appelle donc Léna pour le lui confier. Elle ne me refuse rien ordinairement.
La sonnerie retentit à peine avant qu'une voix féminine, suave et amusée, ne réponde.
- Liam ! Quelle surprise !
- Bonsoir Léna ! Je ne te dérange pas, j'espère ?
- Ce ne sera jamais le cas si c'est toi.
- J'ai une mission pour toi alors.
- C'est quoi ? elle demande excitée.
- Le chef vient de me confier une mission. Je te le passe car je suis épuisé en ce moment.
- Ah !
- S'il te plaît, Lena. Tu me dois bien ça.
- Non, c'est toi qui me devras quelque chose, Lemarchal. Et je compte bien encaisser cette dette...
Son ton est espiègle, dangereux. Exactement comme je l'aime.
- Merci ! Tu es la meilleure.
- Je prends. Je n'entends pas souvent ce genre de chose.
Sa dernière réplique m'a amusé. Puis, j'ai raccroché. Après ça, je m'en vais me mettre au lit. Toute cette tension, ce n'est pas bien pour moi. Je suis beaucoup trop impliqué.