Les contes de fées se terminent toujours au moment où la mariée dit « oui ». Personne ne parle jamais de ce qui se passe après.
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Les contes de fées se terminent toujours au moment où la mariée dit « oui ». Personne ne parle jamais de ce qui se passe après.
La salle brillait d'or et de faux sourires. Naël, perchée sur des talons qui lui donnaient mal aux chevilles, affichait son masque habituel : celui de l'épouse comblée, la perle du milliardaire. Le gala battait son plein, organisé pour célébrer une nouvelle acquisition de Malik dans le secteur de l'énergie verte. Les journalistes défilaient, les flashs crépitaient, les coupes de champagne circulaient sur des plateaux d'argent. Et au centre de tout cela, il y avait lui, son mari. Parfait, impeccable, puissant.
Elle l'observait de loin, un demi-sourire figé sur les lèvres. Son regard glissait sur les visages trop maquillés, les rires trop aigus, les poignées de main trop appuyées. Elle n'avait jamais aimé ce monde, mais elle l'avait épousé en croyant que l'amour rendrait tout plus supportable. Cinq ans déjà.
Naël effleura machinalement la bague à son annulaire. Une émeraude rare, encadrée de diamants, offerte le jour de leurs fiançailles. Elle se souvenait encore de ses mots : * »Tu mérites ce qu'il y a de plus rare, parce que tu es unique. »* À cet instant, elle l'avait cru. Corps et âme.
Une main effleura son épaule. Elle se retourna.
- Tu es splendide ce soir, murmura Sirine, sa meilleure amie.
Naël lui sourit faiblement. Sirine portait une robe rouge carmin, fendue sur la cuisse, et un collier qu'elle ne lui avait jamais vu auparavant. Elle rayonnait. Trop.
- Merci... toi aussi.
Un silence étrange flotta entre elles. Sirine se pencha vers elle.
- Je dois te parler d'un truc, après. Seules.
- Bien sûr.
Mais Sirine s'éloigna déjà, attirée par un groupe d'hommes en smoking. Naël la regarda s'éloigner, son sourire figé glissant imperceptiblement vers quelque chose d'autre. Elle tenta de repousser l'inconfort qui naissait dans son ventre.
Son regard chercha Malik dans la foule. Il était près de la baie vitrée, en pleine conversation avec le PDG d'une autre multinationale. Son rire résonnait, chaleureux et assuré. Puis, sans prévenir, il posa sa main dans le bas du dos de Sirine, qui venait de le rejoindre. Un geste anodin, peut-être. Ou pas.
Naël sentit un frisson glacé lui grimper dans la nuque. Elle se força à détourner les yeux. Elle se répétait souvent qu'elle était fatiguée, trop stressée, trop sensible. Que ce monde la rendait paranoïaque. Que Malik ne lui avait jamais rien donné à douter.
Mais les gestes s'accumulaient. Les silences trop longs. Les absences inexpliquées. Les voyages d'affaires qui s'étendaient sans préavis. Les regards fuyants.
Naël avala une gorgée de champagne, puis une deuxième. Le liquide pétillant ne lui laissait aucune chaleur dans la gorge. Elle avait besoin d'air.
Elle quitta la salle et s'engagea dans le couloir vers les loges privées. Ses talons claquaient contre le marbre. Elle s'arrêta devant la pièce qu'ils utilisaient parfois pour se retirer des regards. La porte était entrouverte. À l'intérieur, deux voix.
- Tu vas finir par tout lui dire ?
- Pas encore. Elle est fragile.
- Tu l'as dit toi-même, non ? Qu'elle vit dans son monde de petite épouse parfaite ?
Le sang de Naël se figea. La voix de Sirine. Et celle de Malik. Une chaleur brutale lui monta aux joues. Elle n'aurait pas dû écouter. Elle aurait dû reculer. Mais elle resta. Figée.
- Elle commence à avoir des soupçons, ajouta Sirine, sa voix adoucie.
- Laisse-la douter. Elle s'accrochera plus fort. C'est ce qu'elle fait. Elle déteste perdre.
Un rire étouffé. Puis un silence. Un baiser ?
Naël recula d'un pas. Puis d'un autre. L'air manquait. Elle se retourna à moitié et se cogna contre le mur. Son souffle devint court. Elle chancela légèrement, mais resta debout. Son cœur battait dans ses tempes.
Elle s'avança dans une autre aile du bâtiment, les jambes en coton. Son regard tomba sur la veste de Malik, posée sur un fauteuil. Son téléphone dépassait de la poche intérieure.
Elle savait que c'était mal. Elle savait que c'était une limite. Mais quelque chose, en elle, criait plus fort que la morale.
Elle prit le téléphone. Pas de mot de passe. Bien sûr. Malik était sûr de lui. Trop sûr. Elle ouvrit la galerie. Une vidéo récente. Une main sur un drap blanc, un gémissement. Puis une voix. La sienne.
Sirine.
La vidéo était courte. Brutale. Intime. Irréfutable.
Naël ne pleura pas. Pas encore. Elle reposa le téléphone. Le monde autour d'elle s'était figé, comme suspendu dans une glace invisible. Un hurlement muet se déchaînait sous sa peau. Et pourtant, elle resta droite.
Elle quitta la pièce, marcha lentement dans les couloirs, puis sortit sans prévenir personne.
La pluie tombait à verse. Elle n'avait ni parapluie, ni veste. Sa robe en soie beige se colla à sa peau. Elle marcha, les cheveux détrempés, les talons s'enfonçant dans les flaques. On l'interpella derrière elle. Un agent de sécurité. Elle n'entendit rien. Ou elle ne voulut pas entendre.
Elle marcha jusqu'à la rue. Des klaxons, des phares, la ville en bruit de fond. Son maquillage coulait. Elle leva la tête vers le ciel, la pluie ruisselant sur son visage comme si elle voulait l'effacer.
Elle pensa à sa mère, morte trop tôt. Elle pensa à son père, parti sans un mot. Elle pensa à toutes les versions d'elle-même qu'elle avait tuées pour plaire. Pour survivre. Pour aimer.
Elle pensa surtout à cette petite voix qu'elle avait toujours tue. Celle qui criait qu'elle méritait mieux.
Les passants la regardaient, certains avec pitié, d'autres avec curiosité. Une femme en robe de gala, trempée, seule dans la nuit.
Elle n'avait nulle part où aller. Et pourtant, elle savait que rester n'était plus une option.
Elle retira ses boucles d'oreilles, une par une. Elles tombèrent dans un caniveau. Elle décrocha la bague. La contempla. Puis la jeta dans une bouche d'égout.
Il n'y avait plus de conte de fées. Il ne restait qu'elle.
Et ce soir, elle choisissait de ne plus se mentir.
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