Chapitre 1
La fille du tyran
La pluie tombait en silence sur la grande ville déchirée.
Entre les rues désertes, les maisons effondrées et les lampadaires brisés, on entendait parfois un hurlement lointain. Un cri animal. Un rappel que la guerre n'était pas terminée.
Serena marchait vite, capuche rabattue sur la tête, les bottes claquant sur les pavés mouillés. Elle connaissait le chemin par cœur. Au bout de l'avenue, la grande maison l'attendait. Froide. Inhospitalière. Comme toujours.
Elle était la fille du Parrain.
Le chef des humains.
Le maître de la haine.
Serena serra les poings dans ses poches. Depuis toute petite, on lui avait appris une seule chose : les loups sont des monstres. Ils tuent, ils mentent, ils trahissent. Ils méritent la mort.
Elle aurait dû y croire.
Elle aurait dû se sentir fière de son sang.
Mais au fond d'elle, il y avait une fissure.
Un doute.
Une question : Et si tout ça n'était qu'un mensonge ?
Le portail rouillé grinça quand elle le poussa. Deux gardes en uniforme noir baissèrent la tête en signe de respect. Pas pour elle. Pour son père.
- Serena, dit l'un d'eux. Votre père vous attend.
Elle ne répondit pas. À quoi bon ? Ici, parler était inutile. Ici, seul le pouvoir avait une voix.
Elle entra dans la grande maison, traversa le hall sombre, monta l'escalier aux marches craquées. Ses bottes laissaient derrière elle des traces de boue, mais elle s'en fichait.
Dans le bureau du fond, son père l'attendait.
Assis dans un fauteuil de cuir, un cigare à la main, le regard dur.
La pièce empestait la fumée et la colère.
- Assieds-toi, ordonna-t-il.
Serena obéit. Elle connaissait la règle : désobéir, c'était risquer sa vie.
- Nous avons reçu des rapports, reprit-il. Des loups ont été vus près du marché. Ils préparent quelque chose.
Il posa ses yeux froids sur elle.
- Tu sais ce que tu dois faire, Serena. Tu dois les trouver. Les dénoncer. Avant qu'ils ne frappent.
Serena hocha la tête. Mais au fond, son cœur se serra.
Chaque jour, la chasse aux créatures devenait plus violente. Chaque jour, son père devenait plus fou.
- Compris, papa, dit-elle d'une voix éteinte.
Il eut un sourire dur, satisfait.
Pour lui, Serena n'était qu'une arme de plus.
Elle quitta le bureau sans attendre d'être congédiée. Dehors, l'air frais lui fouetta le visage. Elle inspira profondément, essayant de chasser l'odeur de son père.
Puis elle partit vers le marché abandonné.
La pluie continuait de tomber. Les ruelles étaient désertes. Les étals renversés. Les drapeaux de la guerre flottaient au vent.
Elle s'enfonça dans les ruines. Chaque pas la rapprochait de l'interdit.
De l'endroit où son destin allait basculer.
Car ce soir-là, entre les pierres noires et les souvenirs d'un monde détruit, elle allait le rencontrer.
Lysandre.
Le loup au regard d'argent.
Celui qui allait tout changer.