Chapitre 4 On se voit plus tard

- Et elle t'as proposé de passer du temps avec elle ?! Mais quel culot.

Jane sautilla la dernière marche des escaliers du lycée en riant sarcastiquement. Je partageais tout avec elle, même les choses qui me dérangeaient. Peut-être allait-ce me porter défaut plus tard, mais je faisais confiance à Jane plus qu'à n'importe qui.

- Ouais. Tu sais quand Maura revient ? demandai-je.

Mon amie se baissa pour refaire son lacet sur lequel elle avait malencontreusement marché puis me répondit :

- Demain si tout va bien.

Apres avoir hoché la tête sans conviction, je lui flanquai une bise sur la joue et partis. Il ne me fallut pas plus de cinq minutes avant d'arriver chez moi, essoufflée.

***

- Ce qui nous amène donc à en déduire que la métaphore employée par le poète ne parle pas de la femme mais bel et bien de la colombe dans le cinquième vers.

Le cours touchait bientôt à sa fin et je me sentais défaillir. D'habitude, j'adorais les cours de français mais ce matin le cœur n'y était pas. J'avais sauté le petit-déjeuner pour ne pas être en retard et mon estomac commençait à me le reprocher. Ces moments gênants où votre ventre gargouillait en plein milieu d'un silence, que les gens se retournaient en vous souriant et que la seule chose que vous trouviez à dire était : "désolé" alors que vous pourriez dire : "excuse-moi mais me regarder ne va pas me nourrir".

- Pour vendredi vous lirez le poème page trente-sept et ferez les questions une à trois.

Des bruits de trousses, anneaux claquants et chaisent qui raclent firent bourdonner mes oreilles.

- On va s'asseoir à l'ombre ? demanda Jane en descendant les escaliers.

Maura hocha la tête. Elle abordait un bleu sous l'œil et une coupure à la lèvre inférieure. Cali ne l'avait pas ratée sur ce coup là.

Jane et moi nous installâmes de part et d'autre de notre amie en croisant les jambes.

- Vous savez, je ne sais pas pourquoi elle s'en est prise à moi.

Je triturai la bague en or autour de mon annuaire. Si elle ne nous disait rien, l'avancée des choses serait lente.

- Pourtant, commençai-je, ce n'est pas ce que nous a dit Cali hier.

- Je ne la connais même pas ! Elle a dû se tromper de personne.

- Quelle salope, siffla Jane entre ses dents.

Jane n'insultait que très peu les autres, ayant un sang froid imperturbable. Elle laissait pourtant transparaître un talon d'Achille si ses proches étaient attaqués. Des valeurs nobles qui valaient la peine d'être défendues.

- Elle devait avoir une bonne raison de faire ça, chuchotai-je pour moi-même.

Jane ne fut pas de cet avis.

- Si Maura dit que non, alors je la crois.

Je replaçai une mèche de cheveux derrière mon oreille en allumant mon téléphone. Non loin de là, un groupe de garçons nous observait curieusement. Le sentiment de malaise devenait de plus en plus grand mais heureusement pour nous, la sonnerie de reprise des cours retentit et nous nous levâmes.

- On sort ? On a une heure de libre là, annonça Maura.

Jane et moi la suivîmes. Maura sortit une cigarette de sa poche et regroupa ses mains en coupole pour parvenir à l'allumer, luttant contre la brise qui se levait. Elle tira une bouffée et j'aurais juré voir ses épaules se détendre. Maura était bien la seule de nous trois à fumer malgré nos tentatives de persuasion. Elle ne nous parlait pas de ses antécédents familiaux ou de ses problèmes quelconques. Nous étions ses soutiens moraux mais pas ses psychologues. C'était sa définition de l'amitié.

- Emma ?

Je détachai mes yeux de Maura pour me retourner. Alors là... ça n'était pas vraiment une très bonne idée. Cali avançait vers nous sans se soucier du fait que mon amie était présente et que Jane allait très probablement piquer une crise. Anticipant le mouvement, je passai devant mes amies pour rejoindre Cali, l'emportant quelques mètres plus loin. Sa veste en jean large et délavée rappa la peau de mon bras.

- Putain Cali tu le fais exprès ou quoi ?

Elle prit aussitôt un air coupable, se recouvrant les mains des manches de sa veste trop large pour elle. Elle était mignonne vêtue de la sorte et je ne pus m'empêcher de la toiser de haut en bas, ne pouvant qu'admirer son sens de la mode.

- Quoi ? C'est pas parce que tu es avec des personnes qui ne m'aiment pas que je dois me priver de venir te voir.

Elle avait raison. Nous le savions toutes les deux.

- Ouais. Qu'est-ce que tu veux ? dis-je un peu plus sèchement que je ne l'aurais voulu.

Ses sourcils se froncèrent ayant remarqué mon changement d'attitude.

- Je voulais au moins savoir si tu accepterais de me donner ton numéro. Au moins ça...

Je soupirai et me pinçai l'arrête du nez. Elle n'allait pas me lâcher tant qu'elle n'aurait pas eu ce qu'elle voulait, il ne fallait pas être médium pour savoir ça. Cali enfonça timidement son bob marine sur sa tête.

- Donne moi ton téléphone, finis-je par dire.

Elle s'exécuta sans rien dire. Je pouvais sentir le regard de Maura et Jane peser sur mes épaules.

- Tu te soucies de ce qu'elles vont penser n'est-ce pas ? devina Cali en brisant le silence.

Je tapotai mon numéro dans son répertoire puis lui rendit son cellulaire qu'elle rangea immédiatement. Elle ne me regardait pas. Elle regardait Maura fixement.

- Peut-être. Tu l'as frappé.

- Je t'ai déjà dis qu'elle l'avait mérité Emma. Si elle ne vous raconte rien, ce n'est pas mon problème.

Sa voix avait gagné en force, je pouvais sentir de l'agacement et une pointe d'un autre sentiment bien plus fort. De la rancoeur ? Je ne saurais pas mettre un mot dessus. Je m'attardai sur son visage. Fin et pâle, ses yeux bleus vifs dégagaient de la curiosité. Ses cheveux noirs coupés au carré encadraient son visage sublimé par deux créoles en or. Cette fille me semblait douce et inoffensive, je la croyais incapable de lever la main sur quelqu'un. Et pourtant.

- On se voit plus tard ? dit-elle d'une voix claire.

Son sourire aux faussettes me dévoila une dentition blanche et je souris à mon tour en hochant la tête. Cali m'effleura un baiser sur la joue et parti aussi vite qu'elle était venue.

            
            

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