Chapitre 3 Comment on se retrouve

Je piochai une gaufrette dans le placard avant d'enfiler une veste à la hâte.

- Bisous maman, à ce soir !

Ma mère me souhaita une bonne journée mais j'eus à peine le temps d'entendre la fin de sa phrase que j'avais déjà claqué la porte d'entrée. Habituellement, je n'étais jamais en retard, je détestais ça. Mais aujourd'hui, il avait fallut que mon téléphone soit sur silencieux. J'envoyai un message à Jane hâtivement pour la prévenir de mon retard. 7h58, j'étais vraiment à la bourre mais je n'allais pas courir. Si c'était pour arriver complètement crevée, non merci, les profs s'en chargeaient déjà bien assez.

La grille du lycée émit un grésillement désagréable avant de me laisser passer. Je me présentai au secrétariat où l'on me procura un justificatif de retard. Je grimpai les escaliers aussi vite que mon mètre soixante me le permettait et atteignis la salle d'espagnol, essoufflée. Je me pliai en deux les mains sur les genoux, pour reprendre un rythme cardiaque normal avant d'entrer.

Moi qui m'étais jurée de ne pas courir.

- Holà disculpa por llegar tarde, m'efforçai-je de dire avec un sourire.

- Te disculpe. Entras, répondit le professeur en haussant un sourcil.

J'adorais cette matière depuis toujours mais les professeurs la rendait plus barbante au fil des années. À croire qu'ils faisaient un concours de qui dégoûterait les autres en premier. Je me glissai derrière mon pupitre, en diagonale à celui de Jane. Elle pencha sa tête vers moi pour m'adresser un clin d'oeil auquel je répondis.

***

- Je suis sûre que c'était injustifié, Maura ne se ferait pas frapper comme ça, elle est trop naïve pour créer des embrouilles.

Jane et moi étions assises sur un banc en bois exposé à la lueur matinale filtrant entre les feuilles. Mon amie piochait dans un paquet de biscuits miniatures en m'en proposant à intervalles réguliers. Elle parlait la bouche pleine mais ça n'était pas répugnant. C'était Jane ; tout ce qu'elle faisait de repoussant ne l'était pas.

- Franchement, quelle idée. Tu ne trouves pas ?

J'accentuai le battement de mes cils par habitude quand on me demandait quelque chose et relevai la tête vers elle.

- Oh je... je pense avoir une idée sur la question de qui l'a frappé tu sais.

Elle s'arrêta de mâcher pour me regarder avec des yeux bovins.

- Et c'est que maintenant que tu me le dis ?

Je ne répondis pas, à présent trop occupée à chercher Cali du regard. Si ma logique était bonne, cette fille était l'assaillante de notre amie. Je me levai et longeai le muret crépi pour atteindre le centre de la cour. Une chevelure jais au carré, des yeux clairs et un style qui lui collait à la peau, oui je l'avais trouvée. Adossée contre le bâtiment, elle pianotait sur son téléphone en balançant la tête au rythme de sa musique. Elle dû me sentir arriver car elle releva les yeux pour me sourire. Sourire que je lui rendis faiblement.

- Emma, comment on se retrouve ? piailla-t-elle.

Son sourire faisait ressortir une adorable faussette au coin de sa joue, plissant ses yeux en amandes.

- Cali tu... hier tu m'as dis que tu avais eu un accrochage avec une fille non ?

Elle commença à bouger nerveusement ses converses malmenées. Elle savait quelque chose, je pouvais le sentir à la façon dont son pied s'était mis à heurter discrètement le mur.

- Euh oui, pourquoi ?

- C'était pas Maura cette fille ? cingla Jane.

Cali ôta ses écouteurs et les rangea dans la poche intérieure de sa veste. Elle joignit ses mains dans son dos.

- Si, Maura ou quelque chose dans le genre.

- Qu'est-ce qu'il s'est passé ? demandai-je calmement.

Jane elle, ne se trouvait pas aussi apaisée d'esprit que moi car elle toisa Cali puis plaça ses mains sur ses hanches.

- C'est pas le genre de choses que je vais raconter à tout le monde, marmonna Cali.

- Tu sais, Maura est une amie très proche alors tu...

- Alors tu vas nous dire pourquoi est-ce que tu l'as frappée espèce de bouffonne.

Je donnai un coup de coude à Jane pour lui intimer le silence. Le respect n'était vraiment pas une chose à perdre quand le sang froid l'était. C'est à partir de l'irrespect que commençait une accroche, rien d'autre.

- Alors c'est peut-être à elle de vous en parler, pas à moi.

Jane n'en attendit pas plus et elle tourna les talons. S'attendant sûrement à ce que je fasse de même, elle se retourna vers moi. D'un geste de la main, je lui fis comprendre que je la rejoindrai plus tard et qu'il valait mieux pour elle qu'elle parte. Ce qu'elle fit.

Seule avec Cali, je ne pouvais pas obstruer le fait qu'elle était dégageait quelque chose de fort, même en situation de gêne. Je m'approchai d'un pas pour réduire l'hostilité et elle se détendit quelque peu.

- Une lionne ta copine.

- Tu l'as dis. Elle est gentille, c'est juste qu'elle a le sang chaud.

- C'est pas une excuse, le contrôle ça s'apprend.

Elle n'avait pas tord mais je me sentis piqué que cette fille parle ainsi de mon amie. Jane en avait des défauts, comme tout le monde mais je n'aimais pas quand ils étaient surlignés.

- Dit-elle alors qu'elle colle des beignes à d'autres, dis-je avec sarcasme.

Cali éclata de rire.

- Ok, tu marques un point.

Je souris bêtement et rivai les yeux sur mes pieds qui grattaient la terre dure de la cour. Pourquoi avaient-ils mis de la terre dans un lycée. L'herbe n'y poussait même pas.

- T'es libre après les cours ? demanda-t-elle faiblement.

Je fus prise de panique dans un premier temps puis essayai de réfléchir.

- Potentiellement oui, pourquoi ?

- Ça te dirait d'aller boire un truc ou d'aller se poser quelque part ?

On se connaissait à peine et l'idée de me retrouver seule avec elle me dérangeait. Non pas parce qu'elle me repoussait, elle avait un joli visage au premier abord avec un sens de l'humour qui paraissait bon mais j'avais peur que des moments de gêne deviennent omniprésents.

- Euh, non. Je ne préfère pas. Jane prendrait ça comme une trahison.

- Tu n'es pas Jane et puis tu n'as pas à adapter tes relations aux caprices de tes amies. C'est ta vie Emma, pas la sienne.

De là où j'étais, je pouvais voir deux choses : premièrement, ma dignité qui s'envolait au dessus du gymnase à l'arrière du lycée et deuxièmement, sa moue adorable quand elle me sermonnait. Ses sourcils se plissaient et ses yeux brillaient pour me convaincre de la croire.

- Je sais Cali.

- Donc c'est quand même non ?

- C'est quand même non. Une autre fois peut-être.

Elle soupira et se décolla du mur en avançant vers moi. Elle ne s'arrêta qu'après être sûre que mes pieds touchent les siens.

- "Peut-être", c'est un non déguisé.

Puis elle parti en me laissant seule plantée comme une imbécile au milieu de la cour, un goût amer de défaite au fond de la gorge.

            
            

COPYRIGHT(©) 2022