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Une journée de plus en enfer à croiser les sept pêchés capitaux aux coins du lycée. Je ne suis absolument pas croyante mais disons que j'aime les métaphores et j'aime encore plus les personnes qui les comprennent.
- Tu veux passer chez moi ? me demanda Jane à la sortie.
- Mon frère est censé venir me chercher dans cinq minutes. Demain ?
Elle hocha la tête en plissant les lèvres. Ça la rendait atrocement mignonne ce tic acquis au cours des années. Elle me fit la bise en pariant que mon frère bien-aimé serait encore en retard d'au moins quinze minutes. Je ri en lui tapant dans la main puis elle partit les siennes dans les poches, écouteurs aux oreilles.
Je sortis mon portable confiné depuis le début de la journée dans la poche arrière de mon jean. Trois messages de ma mère qui me demandait de préparer le dîner pour ce soir. Je lui répondis par l'affirmative et elle me remercia.
- Comment on se retrouve ?
Je tournai la tête et souris légèrement en appercevant Cali, assise sur le banc en pierre qui longeait le mur de la façade. Elle avait les mains dans les poches et le regard portant au loin. Je ne bougeai pas et pivotai seulement le haut de mon corps vers elle pour lui montrer qu'elle avait un peu de mon attention.
- Comment ça s'est passé avec la CPE ? lui demandai-je d'une voix plate.
Elle sembla se réveiller. Ses yeux clairs se posèrent sur moi et elle haussa les épaules d'un air maussade.
- J'ai écopé de six heures de colle et une semaine de travaux d'intérêts généraux.
Six heures ? Elle n'avait pas seulement dû l'effleurer.
- Au moins, les toilettes seront enfin propres, dis-je avec sarcasme.
Elle soupira d'amusement en secouant la tête puis se leva. Ses pieds la guidèrent jusqu'à moi et elle resta là, debout dans la douceur du soir à regarder les quelques voitures passer.
- T'attends qui ?
- Mon frère, répondis-je en levant les yeux au ciel.
- Quel enthousiasme, je vois que tu es sa priorité.
J'ouvris la bouche, faussement heurtée par ses propos.
- Je ne te permets pas !
Elle frotta ses Converses anciennement blanches au sol, éparpillant quelques gravillons. Elle avait dessiné au marqueur noir un soleil minimaliste au bout de sa chaussure droite et un croissant de lune au bout de l'autre. Je me demandais ce que ça pouvait signifier, à moins qu'elle n'aie gribouillé ça par pur ennui mais j'aimais croire que tout le monde était réfléchi. J'aimais croire que tout avait une explication même ce qui n'en méritait pas.
Un crissement de freins me sorti de mes pensées et j'aperçus mon frère à travers la vitre qu'il était en train de baisser. Un fond de musique passait. Je détestais les goûts musicaux de Gabriel mais il me répétait sans cesse que la bonne musique n'était pas à la portée de tous et encore moins à la mienne.
- Hey, tu grimpes ? lança-t-il.
Je hochai la tête et fis un signe de la main à Cali qui me rendit la pareille. Je claquai la porte derrière moi en remontant la vitre que mon frère avait ouverte. Il sorti de l'embranchement et prit la direction de la maison, une musique insupportable aux lèvres.
- Elle est mignonne ta copine, comment elle s'appelle ?
- Elle ne s'appelle pas et puis, c'est pas ma pote.
Il leva les yeux au ciel et augmenta le volume, faisant vibrer mes tympans. Plusieurs fois je lui avait demandé si je pouvait passer au moins l'une de mes musiques mais c'était comme écrire une lettre à un aveugle : peine perdue.
En garant la voiture, Gabriel percuta le mur du fond ce qui me fit rire. Il s'énerva un court moment puis après s'être assuré que sa voiture n'avait rien, il me donna une petite tape derrière la tête.
- Ça te fait rire en plus ?
- Oui, dis-je encore souriante.
Il tira la langue et ouvrit la porte après avoir désactivé l'alarme sécurité.
Je me préparai un en-cas pour l'emporter dans ma chambre où je découvris sans surprise Gabriel, allongé sur mon lit, téléphone à la main. Je soupirai mais pas d'agacement, la compagnie de mon frère ne me dérangeait plus et je savais que d'une manière, c'était sa façon à lui de dire qu'il m'aimait. Je m'allongeai à côté de lui, posant l'assiette entre nous. Il y piocha un Oréo en prenant soin de ne pas mettre de miettes sur les draps.
- Alors cette "soirée" ? demandai-je en imitant les guillemets de mes doigts.
Il me demanda de patienter le temps de finir sa bouche et bu un coup avant de me répondre avec franchise :
- Sa pote est vraiment bonne.
Je lui assénai une claque sur la joue.
- Eh ! Ça, ça ne se dit pas Gab !
Il ouvrit la bouche, se frotta la joue endolorie puis grogna.
Je ne sais pas à quel moment ni quand il avait mal tourné. Bon je m'estimais heureuse qu'il ne se drogue pas et ne fume pas, mais prendre les filles pour de vulgaires passe-temps était un crime parfaitement égal à mes yeux. Le cœur d'un être humain est irréparable mais il n'en prenait pas conscience. Pour lui, l'amour était juste un jeu. C'était quelque chose à laquelle on s'accrochait parce qu'on avait décidé que c'était important. Pour lui tout ça, c'était juste une manière de s'amuser. Il n'arrivait pas à s'aimer soi-même alors il refusait d'aimer les autres. Il refusait qu'on l'aime parce que l'amour devait être réciproque sinon, ça n'était que de l'admiration.
- N'empêche... elle est bonne.
Je me laissai choir sur le matelas, à moitié sur lui en soupirant.
- Et toi ?
- Quoi moi ? questionnai-je.
- T'as quelqu'un ?
- Non.
Il émit un simple bruit de gorge en guise de réponse. Nous restâmes ainsi un bon moment avant que mon téléphone sonne, indiquant un appel de Jane. Gabriel me tendit mon cellulaire qui était posé de son côté du lit par habitude. Je décrochai :
"- Oui ?
- Emma tu sais pas quoi ?
- Non mais tu vas me le dire.
- Maura, elle n'est pas venue aujourd'hui. Tu sais pourquoi ?
- Mmh non, pourquoi ?
- Elle s'est faite frapper à l'entrée du lycée. Elle allait déposer des documents avant de nous rejoindre et quand elle est sortie, elle s'est méchamment fait tomber dessus."
Je m'étais redressée sur le lit, les sourcils froncés.
"- Quoi ? Mais qui l'a frappé ?
- Elle sait pas, elle ne la connait pas. Une fille qui devait sacrément lui en vouloir en tout cas, elle lui a pété le nez putain.
- Ça craint...
- Ouais. Il faut qu'on sache qui c'est Emma."
Je réfléchis. Qui pouvait bien en vouloir à Maura ? Elle qui n'embêtait personne, qui se contentait de vivre et de suivre.
"- On en reparle demain en cours.
- Ouais. Bisous.
- Bye."
Je raccrochai. Gabriel ne m'avait pas lâché du regard une seule seconde. Il se tenait à présent debout, les mains dans les poches.
- Tu devrais appeler Maura.
Je lui répondis par l'affirmative mais avant de l'appeler, je voulais avoir qui s'en était pris à elle et pourquoi.
Même si j'avais déjà sûrement la réponse à au moins l'une de mes questions.