La culpabilité m'a traversée comme une décharge électrique, d'autant plus violente qu'elle ne trouvait aucun corps pour l'amortir.
Je n'avais pas vu à quel point elle souffrait.
J'avais été trop occupée à essayer de sauver mon mariage pour voir que ma fille se noyait sous mes yeux.
Guillaume a tourné la page avec un soupir d'agacement.
Il était au téléphone avec son responsable des relations publiques, sa voix dénuée de toute émotion paternelle.
« Oui, publiez un communiqué. Dites que nous sommes profondément attristés par l'incident et que ma femme reçoit les meilleurs soins. »
Il a marqué une pause, écoutant son interlocuteur, le visage fermé.
« Pour la petite ? Dites que c'était un jeu d'enfant qui a mal tourné. Ne mentionnez pas Laurent. Surtout pas. »
Il sacrifiait sa propre chair pour protéger le fils de sa maîtresse.
Chaque mot qu'il prononçait était une nouvelle lame enfoncée dans ce qu'il restait de mon âme.
La porte s'est ouverte.
Sabrina est entrée, portant deux tasses de café comme un trophée domestique.
Elle a posé une main sur la nuque de Guillaume, massant doucement, avec une possessivité qui me donna la nausée.
« Tu es tendu, mon amour. »
« Ces journalistes sont des vautours. Ils essaient de faire un lien entre l'accident de Lola et la blessure de Lila. »
« C'est ridicule, » a décrété Sabrina en s'asseyant sur le coin du bureau, sa jupe remontant indécemment. « Lila est juste maladroite, comme sa mère. »
Guillaume a souri.
Un vrai sourire. Tendre. Détendu.
« Tu as raison. Elles sont tellement... fragiles. Heureusement que tu es là. Tu es mon roc, Sabrina. »
Il a pris sa main et l'a embrassée.
J'ai hurlé.
J'ai hurlé avec le silence assourdissant de ma mort, voulant renverser le café, briser la fenêtre, déchirer le voile de la réalité pour effacer ce moment.
Mais rien n'a bougé.
L'air est resté immobile, indifférent à ma rage.
Soudain, la télévision dans le coin de la pièce a capté mon attention.
C'était le journal télévisé.
Une photo de Lila, avec un pansement sur le front et les yeux rougis par les larmes, saturait l'écran.
« Scandale au sein du Groupe Schneider : La négligence parentale en question ? » titrait le bandeau en lettres rouges.
Guillaume a juré et a éteint la télé d'un geste brusque.
Mais je n'étais pas la seule à regarder.
Ma conscience fut brutalement arrachée à la pièce, aspirée par un lien émotionnel si puissant qu'il en était presque physique.
Je me suis retrouvée dans un autre bureau, quelques étages plus bas, au service juridique du Groupe Schneider.
Marc.
Il était debout, pétrifié face à l'écran de son ordinateur, les poings serrés sur la table jusqu'à ce que ses jointures blanchissent.
Marc était mon allié, mon ami, le seul homme dans cette entreprise qui me regardait non pas comme « la femme du patron », mais comme Lola.
Il regardait la photo de Lila.
Ses yeux n'étaient pas froids.
Ils brûlaient.
Une colère pure, blanche, incandescente.
Il a attrapé sa veste et est sorti de son bureau en trombe.
Je l'ai suivi, portée par le sillage de son énergie.
Il ne marchait pas, il fendait l'air.
Il traversait les couloirs comme une tempête, ignorant les secrétaires qui tentaient de l'arrêter.
Pour la première fois depuis mon « départ », j'ai ressenti quelque chose qui ressemblait à de la chaleur.
Quelqu'un s'en souciait.
Quelqu'un voyait la vérité.
Marc n'allait pas rédiger un communiqué de presse.
Il allait chercher des réponses.
Et alors qu'il montait vers le bureau de Guillaume, le pas lourd de détermination, j'ai su que la guerre venait de commencer.
Je n'étais peut-être qu'un esprit impuissant, mais Marc, lui, était bien réel.
Et il était armé de la seule chose que Guillaume craignait plus que tout : l'intégrité.