Une odeur d'antiseptique.
Il était désorienté, sa tête tournait encore un peu.
Des voix.
Il a reconnu celle de Chloé, l'amie médecin de Sophie.
Et celle de Sophie.
Elles parlaient bas, mais il entendait.
« Tu ne peux pas faire ça, Sophie ! C'est Antoine ! » a dit Chloé, sa voix tendue.
« Je dois le faire. Pour Lucas. Tu sais qu'il est malade. C'est sa seule chance. »
La voix de Sophie était froide, déterminée.
« Et Antoine dans tout ça ? Tu vas lui voler sa moelle osseuse ? »
« Je l'épouserai après. Ce sera ma compensation. Il m'aime, il comprendra. »
Compensation.
Le mot a résonné dans la tête embrumée d'Antoine.
Il a voulu bouger, crier, mais son corps ne répondait pas.
La drogue était encore trop forte.
Chloé a continué, sa voix montant d'un cran.
« Compensation ? Tu te rends compte de ce qu'il a fait pour toi ? Quand tu as eu ton accident de ski, qui a appris la kiné pour t'aider à remarcher ? Antoine ! Qui t'a défendue contre ta propre famille quand ils voulaient te voler ton restaurant pendant que tu étais clouée au lit ? Antoine ! »
Chaque mot de Chloé était une révélation douloureuse pour Antoine, même s'il savait déjà tout ça.
« Et les traitements expérimentaux pour tes douleurs chroniques ? Il les a testés sur lui-même, Sophie ! Pour toi ! Et la fausse couche... tu te souviens de la fausse couche ? Lucas t'avait fait boire ses saloperies de tisanes, et Antoine s'en est toujours senti responsable ! »
Antoine a senti une douleur sourde dans sa poitrine.
La fausse couche.
Il s'en voulait tellement.
Sophie avait été dévastée.
Lucas l'avait abandonnée juste après, pour ne revenir que bien plus tard, quand elle avait réussi.
Sophie a hurlé, un cri strident qui a fait sursauter Antoine.
« J'aime Lucas ! Je l'aime passionnément, avec tous ses défauts ! Antoine ne représente rien pour moi ! Rien ! Commencez l'intervention ! »
Des gens en blouse blanche sont entrés dans son champ de vision limité.
Il a senti une piqûre.
L'anesthésie.
Mais elle n'était pas suffisante.
Ou alors, ils n'avaient pas attendu assez longtemps.
Il a senti l'aiguille épaisse pénétrer sa peau, puis son os.
Une douleur atroce, fulgurante, qui lui a arraché un gémissement rauque.
Il était conscient de tout.
La douleur physique était insupportable, mais la douleur de la trahison de Sophie était encore pire.
Elle était là, il le sentait.
Elle regardait.
Et elle ne faisait rien.
Quand il s'est réveillé à nouveau, la douleur était toujours là, lancinante.
Sophie était à côté de son lit, un masque de sollicitude sur le visage.
« Antoine, mon amour, tu t'es réveillé. Tu as eu une très grave infection. On a dû t'opérer d'urgence. »
Il l'a regardée.
Il n'était pas dupe.
Ses yeux devaient refléter toute l'amertume, toute la colère froide qui montait en lui.
Elle a dû le voir, car elle a détourné le regard.
« Je... je dois y aller. Lucas a besoin de moi. Il a une envie soudaine d'un croissant de chez Ladurée, je vais lui en chercher. Il pleut des cordes, mais pour lui, je ferais n'importe quoi. »
Elle s'est levée, a pris son sac.
Elle l'a abandonné là, après ce qu'elle lui avait fait.
Pour un croissant. Pour Lucas.
Son cœur s'est brisé en mille morceaux.
Ou ce qu'il en restait.
Dès qu'elle a quitté la pièce, il a attrapé son téléphone, ses doigts tremblants.
Il a cherché un numéro.
Isabelle Beaumont.
La propriétaire d'un vignoble concurrent à Bordeaux.
Il savait qu'elle l'admirait.
Une connaissance commune le lui avait soufflé.
Peut-être avait-il même vu une photo de lui, discrètement glissée dans son portefeuille lors d'un salon du vin.
Sa voix était claire, malgré la douleur.
« Isabelle ? C'est Antoine Dubois. J'ai une proposition à vous faire. Un mariage. Ou un partenariat. Peu importe. Je veux quitter Paris. J'en ai fini avec Sophie Chevalier. »
Un silence. Puis la voix d'Isabelle, calme et posée.
« Antoine. Je vous attends à Bordeaux. Prenez le temps qu'il vous faudra. Mais venez. »
Il a raccroché.
Une nouvelle voie.
Teintée d'amertume, oui.
Mais une voie.
Loin d'elle.