Il s'approche d'elle et entreprend de lui enlever son bandage. Il lui parle toujours, mais jamais elle ne lui répond. Malgré cela, il n'a jamais cessé de lui taper la conversation.
Elle le trouvait curieux, différent de l'image qu'elle se fait des loups en général. Comme quoi il ne faut pas faire d'une généralité une vérité absolue.
-Bon, je vais t'enlever le bandage là et regarder l'avancement de la guérison.
Chose dite, chose faite. Il observe minutieusement la plaie avec des yeux experts. Il tâte les légères bourssouflures autour des entailles de griffes et elle ne peut s'empêcher de grimacer.
-Ça cicatrise bien, il n'y a pas de problème. Quelque jours plus tôt, tu aurais crié si je t'avais fait ça. J'en conclu que ça avance bien, dit il avant de lui appliquer à nouveau de la pommade cicatrisante et de lui remettre un bandage.
La prochaine fois que j'enlèverais ce bandage, ce sera définitif. Je t'enleverais aussi les fils et tu seras comme neuve, tu verras ! Comme s'il ne s'était rien passé !
Sauf que si son corps n'en gardera pas la mémoire, son esprit, lui, ne pourra pas oublier ce moment.
-Ah ! Excuse moi. Je parle beaucoup aujourd'hui. En même temps, je suis surexcité. Mon cher fils, va bientôt subir sa première métamorphose ! C'est le moment le plus merveilleux dans la vie d'un loup, avoir enfin conscience de sa partie animale et pouvoir communiquer librement avec elle !
Ah qu'est ce que que je peux avoir hâte ! Oh encore pardon ! Je dois bien t'embêter avec mes histoires. Sinon, à table ! Ton petit déjeuner va refroidir si on attend de trop. Ce serait dommage. Le chocolat chaud froid c'est pas très bon, grimace t il en allant chercher le plateau.
Alors qu'il revient vers elle, il s'arrête en pleine marche. Quelques secondes passent avant qu'il ne lâche brutalement le plateau qui se fracasse par terre, eparpillant son repas à travers la pièce et les brisures de la vaisselle.
Il sort si vite qu'elle ne s'en aperçoit même pas. Elle se remet à contempler le plafond. Les histoires des loups ne la concerne pas et ne l'intéresse aucunement. Qu'ils se démerdent.
Une petite demie heure passe et elle sent une présence avancer vers l'endroit où elle se trouve. La porte qui, elle se rend compte, n'a même pas été refermée, s'ouvre doucement et une petite tête curieuse la passe prudemment. Lorsqu'il aperçoit la jeune chasseuse, il se recache derrière cette dernière très rapidement.
N'entendant aucun bruit signalant un quelconque déplacement de la fille située à l'intérieur de la pièce en métal, le petit repasse sa tête prudemment...
Et tombe nez à nez avec la prisonnière.
Il hurle de frayeur et en tombe à la renverse sur les fesses. Il grimace et quelques larmes apparaissent au coin de ses yeux si trognons.
Il n'a pas l'odeur d'un loup, constate la jeune fille.
Elle avait réussi à se lever de son lit sans trop de difficultés ni grande douleur. C'était toujours désagréable mais largement supportable.
Devant ce petit, elle ne peut pas être la chasseuse froide et sans cœur. Ce n'est qu'un gamin. Même pas un loup.
Alors pourquoi lui faire le moindre mal ? Cela ne lui servirai à rien dans sa mission.
Devant le petit effrayé, elle s'accroupit pour être à sa hauteur et tend une main vers lui, lorsque ses yeux changent subitement de couleur et qu'un grognement sort de sa gorge.
Étonnée, elle n'a pas le temps de retirer sa main qu'elle se retrouve entre ses mâchoires d'où sortent des dents de loups.
Elle gémis de douleur puis l'instinct de chasseuse prend le dessus sur la compréhension.
Ce n'est plus un gamin qu'elle a devant elle, mais un loup en toute première mutation, comprend elle en observant son odeur changer petit à petit pour ressembler de plus en plus étroitement à celles que détiennent les lycantropes.
Sans trop savoir ce qu'elle fait, elle l'attrape violemment par la gorge et le plaque au mur derrière elle. Cela n'arrête pas sa mutation, bien au contraire, mais ça a au moins le mérite de lui faire lacher sa main désormais ensanglantée.
Sa prise sur le coup du petit se resserre et il se débat de moins en moins le visage devenant de plus en plus écarlate.
Il est sur le point de s'évanouir quand deux hommes arrivent sur le lieu de la scène.
-Le voilà, Peter ! Gueule celui qu'elle reconnaît comme étant le Bêta de l'Alpha, ce qui eut pour effet de ramener un homme paniqué, et encore plus lorsqu'il vit la scène qui se déroulait devant ses yeux.
-Mais qu'est ce qu'elle fout dehors celle là ! Hurle t il, hystérique. Oh... Ne me dites pas que... Si. J'ai oublié de refermer derrière moi... Se rappele t il avant de reporter son attention sur elle et de commencer à avancer dans sa direction, les yeux changeant constamment de couleur, montrant sa lutte contre son loup.
-Stop, l'arrête cependant le dernier homme en plaçant sa main devant lui, qui n'est autre que ce fameux Michael en personne. Arrête, reprend il en s'adressant à elle cette fois. Lâche le. Il ne sait pas ce qu'il fait. Laisse le.
Consciente qu'elle est sur le point de tuer l'enfant, elle le lâche et son corps retombe au sol. Le médecin accourt vers lui et c'est quand le Bêta lui met les deux mains dans le dos qu'elle remarque la ressemblance entre les deux. Ce mioche n'est autre que le fils du médecin.
Elle n'arrive pas à imaginer qu'un peu plus et elle tuait le fils du seul homme qui daignait à lui parler librement, comme à une amie, alors qu'ils sont naturellement des ennemis.
Le garçon reprend ses esprits et la mutation, étonnamment, continue d'elle même. Le petit se tord de douleur tandis que l'Alpha, agenouillé près de lui, met une main sur sa petite épaule. Les soubresauts du petit se calment doucement tandis qu'elle sent l'aura étonnamment apaisante de l'Alpha emplir petit à petit la pièce.
Les os de l'enfant finissent par craquer tous ensemble et de la fourrure le recouvre enfin.
Le louveteau ouvre les yeux et se frotte le museau de ses pattes, avant d'essayer de se lever pour retomber aussi sec au sol.
L'Alpha se transforme à son tour et du bout du museau aide le petit à tenir sur ses quatre pattes. Le père se transforme aussi en un loup du même gris que son rejeton.
Elle n'en voit cependant pas plus que le Bêta la force à se relever pour la raccompagner dans sa cellule.
Il la force à s'assoeir sur le lit de fortune et elle ne résiste pas. Elle a assez fait de bêtise pour aujourd'hui, même si elle n'a fait que réagir instinctivement. Sous les appels de douleurs de sa main, elle la serre contre sa poitrine.
Elle pense que le Bêta allait sortir quand l'Alpha rentre dans la pièce que lui a ouvert son bras droit...
Aïe...
Ça sent vachement le roussi d'un coup...
En temps normal, elle l'aurait défié du regard, mais pas cette fois ci.
Lorsqu'il approche d'elle, elle ne trouve rien d'autre à faire que baisser le regard. Comme une soumise...
Ça la révolte de la voir perdre à ce point le contrôle d'elle même, mais elle n'est pas dans son assiette depuis qu'elle est ici. C'est peut être normal me direz vous, vu qu'elle est prisonnière, mais non, ce n'était pas à cause de ça.
Elle sent que ça vient d'autre chose.
Elle a la désagréable impression de déjà vu dans son comportement, mais pourtant elle n'arrive pas à se souvenir de quand.
Son corps a un léger sursaut lorsque la voix dure et énervée de l'Alpha retentit dans la pièce comme un claquement de fouet.
-Non mais qu'est qu'il t'a pris hein, tu peux me le dire ?! Commence t il. Étant une chasseuse, je peux comprendre que tu ai du sang sur les mains ! Mais jusqu'à avoir celui d'un enfant ?! Je ne te comprend pas. En fait, je ne comprend tout simplement pas les chasseurs en général. On ne leur a rien fait. Ce sont eux qui ont commencé à nous montrer de l'hostilité. Nous, on ne souhaitait que cohabiter avec les humains tout en gardant nos coutumes. Le gouvernement des humains était même d'accord et en a fait des lois. Tout allait bien jusqu'à ce que les chasseurs apparaissent. Ces êtres humains qui n'acceptent pas les lycantropes pour on ne savait quelles raisons. Ils nous ont attaqués, ont menacés et même tués les nôtres. On a bien essayé de les comprendre, de savoir ce qui leur déplaisait chez nous pour trouver une entente. Mais rien à n'y faire, ils n'ont rien voulu entendre. Lorsqu'on a compris que c'est notre existence même qu'ils haissaient, on a rien pu faire d'autre que de se défendre. Mais même si leur raison avait été valable, est ce que ça justifiait néanmoins le sacrifice d'enfants sans défenses ? Je pense que quelques soient les raisons, les jeunes n'ont pas à subir les histoires des adultes et les conséquences des pots cassés. Nous ne pouvions donc pas laisser indéfiniment les nôtres mourir sans lever le petit doigt. Cette guerre a duré jusqu'au massacre d'il y a quelques années. C'est méchant à dire, mais grâce à lui, nous avions enfin réussi à retrouver la paix. Mais ce que les chasseurs ont bien pu faire par haine et plaisir de faire souffrir, marque encore certains esprits très profondément. Cela a même parfois provoqué une peur viscérale des chasseurs. Bref, tout cela pour dire que jusque aujourd'hui, j'avais réussi à limiter la propagation de la présence d'une chasseuse à l'intérieur même de notre territoire. Mais avec ce que le petit à fait partager à toute la meute lors de la création de son lien avec elle, je ne sais pas si ce sera encore possible de garder bien longtemps ta présence en notre sein secrète...
Quoi ?! S'étonne t elle, en relevant brusquement la tête. Il cherchait... À la protéger des siens ?
C'est bien ça ? Mais alors...
Ça veut dire qu'il ne veut pas forcément lui soutirer des informations...
Reprend toi bon sang ! S'engueule t elle. Pourquoi te garderait il ici s'il ne désirerait rien de toi ? C'est absurde ! Il essaie juste de t'embobiner ! Ne tombe pas dans son fichu piège !
-Non mais et puis sérieusement... Reprend t il en arrêtant de se passer une main sur le visage. Qu'est ce qu'il t'est passé par la tête ? Tu te rend compte que tu as failli tuer le bambin de celui qui t'a soigné, celui qui ce matin, t'a confié sans limites la fierté et l'impatience avec laquelle il attendait cet événement ? Et toi, tu as voulu tout briser ! Tout foutre en l'air à cause d'une vulgaire condition de chasseuse ? C'est pathétique... Soupire t il, ayant soudainement l'air fatigué. Cet homme te soignait, certes sur mon ordre, mais s'il n'appréciait pas un temps soit peu faire son métier à tes côtés, il n'avait aucune obligation de s'ouvrir à toi et de prendre autant soin de toi. Il aurait pu tout déposer et te laisser te démerder. Et pourtant il ne l'a pas fait. Cet homme t'a donné sa confiance, confiance que tu as brisé ! Mais tu va finir par dire quelque chose merde ! S'emporte t il brusquement devant son silence en la prenant par le col et la soulevant du lit de manière à ce qui leurs regards soient croisés. Tu te rend pas compte qu'il a failli te tuer dehors, bordel !? Comment peux tu rester si indifférente par ce qu'il se passe autour de toi, par le malheur que tu cause ?! Comment hein ? Dit le moi, parce que vraiment je ne sais pas ! Ça ne te fais donc vraiment rien ? L'interroge t il du regard.
S'il savait. Jamais elle n'a pris du plaisir à faire du mal. Elle prend, certes, du plaisir à combattre, mais pas à faire le mal. Et pourtant c'est plus fort qu'elle. Elle est obligée de le faire. Tout ça à cause de Lui. Elle aurait tellement voulu que tout se passe autrement. Voir tous ces gens autour d'elle, accablé par ce qu'elle a bien pu faire à des proches ou des amis, la torture à chaque instants de sa misérable vie.
Elle en fait des cauchemars toutes les nuits. Elle ne compte même plus le nombre de victimes qu'elle a fait pour cette cause et qui la hantent. Sa cause. Celle dont Il lui a mis l'entière responsabilité sur ses épaules. Responsabilité qui devient de plus en plus dure à porter.
Au plus profond d'elle, elle sent quelque chose remuer. Un étrange mélange d'envie et de désespoir. Elle a tellement envie de vivre sa vie comme elle l'entend et non dictée par une quelconque personne, de savoir ce qu'est vraiment d'être humain.
Ce que c'est que d'être libre...
Libre de voyager sans limites,
Libre de manger et boire tout ce qu'elle souhaite,
Libre de ressentir et...
Libre d'aimer.
Connaître la vraie liberté.
Malheureusement, elle désespère de pouvoir un jour se défaire de ses chaînes. Beaucoup trop de monde compte sur elle. Beaucoup trop de vies rêvant elles aussi de la liberté comptent sur la réussite de cette mission. La survie de son peuple dépend de sa volonté. Alors ce n'est pas aujourd'hui que celle ci doit flancher.
Elle doit réussir, quitte à passer pour le pire des monstres. Mais en sera t elle vraiment capable ?
Telle est la question.
Elle aimerait tellement mettre tout ça en pause...
Juste un instant.
Remettre de l'ordre dans son esprit. Ça fait bien trop de choses pour elle.
Elle n'en peut tout simplement plus, ça la dépasse.
L'Alpha, désespérant d'obtenir un quelconque son sortant de sa bouche, s'apprêtait à la lâcher lorsqu'il se sentit tellement impuissant. Il était sur que ce sentiment ne venait pas de lui. Alors il ne pouvait venir que d'une personne.
Cette fille.
En se concentrant un peu plus, il parvient à distinguer une lutte intérieur.
Il relève ses yeux sur elle et elle ferme les yeux, yeux d'où une seule et unique larme solitaire s'échappe.
Surpris puis heureux de l'avoir enfin fait réagir, il se détend instantanément.
Il a réussi. Il a réussi à se prouver à lui même que cette façade froide n'était qu'un masque. Un masque qui se fissure. Il avait tellement peur qu'il soit déjà trop tard. Il reste néanmoins inquiet. Que peut elle cacher pour être si distante de tout ? Comme si rien ne l'atteint.
Il ne sait pas, mais se jure qu'un jour il le découvrira. Pour l'instant, fier de cette avancée même minime avec sa prisonnière, il s'attela à enlever délicatement, du bout du doigt, cette perle d'eau salée qui coulait sur cette joue si belle, après l'avoir délicatement reposée sur son lit.
Elle ouvre ses yeux turquoises qui se plongent dans les siens. Il ne peut tout simplement pas mettre de mot sur ce qu'il ressent lorsque leurs yeux se perdent l'un dans l'autre. C'est tout ce qu'il y a de plus merveilleux au monde pour un loup.
Mais il aimerait tellement plus. Malheureusement, ça n'est pas possible. Pas pour l'instant en tout cas. Peut être plus tard...
Il ne désespère plus. Pas après avoir vu cette larme. Il peut la changer, il le sent. Et même si ça lui prendra toute la vie, il le fera.
C'est une promesse...