Je les hais toutes. A l'exception de Saphira, elles sont si inconscientes et sottes. Depuis la disparition de mère elles me regardent comme si j'étais à plaindre. La pitié que je lis dans leur yeux me fait horreur. Je ne veux pas de leur compassion. Je suis leur princesse. Peut être plus leur futur reine. Parce que depuis la naissance de mon demi-frère c'est lui l'héritier. Mais je suis une princesse et je suis promise à l'héritier du trône d'Olaria.
Alors de quel droit leurs regards se remplissent de commisération à mon contact. Elles n'auront jamais tous ce que j'ai : le pouvoir, les richesses, la beauté. Car même si je n'ai que six ans je suis pleinement consciente de ma beauté. Le sang des nymphes astrales, celui de mère, coule dans mes veines. Et me rend irrésistible. Si je ne suis qu'une enfant je ne suis pas aveugle pour autant. Je voyais bien comment mère était admirée. Que ce soit les hommes ou les femmes, toute la cour n'avait d'yeux que pour elle. Et je vois bien aujourd'hui comment ces hommes et ces femmes m'admirent.
Mon isolement dans l'aile Est du palais n'y a rien changé. Il arrive à chaque réception qu'un invité se perde dans le palais pour atterrir comme par hasard dans mes appartements. Bien que père ait fait poster des gardes devant ma porte et assigné Georges, le fidèle majordome de mère, à ma surveillance. Cela ne m'empêche pas de sortir à chaque fois que je sens la présence de l'un d'eux. Cela m'amuse de voir leur tête, ils sont comme hypnotisés. Avant la disparition de mère ce n'était pas pareil. Elle veillait toujours à ce que personne ne me voie.
À sa mort les choses ont très vite changé. La bulle dans laquelle j'avais vécu jusqu'alors céda pour de bon face à ce nouvel assaut du destin.
Pour le remariage de père le protocole exigeait que je sois celle qui noue les liens de la corde céleste, symbole du lien entre père et sa nouvelle femme. Ma bénédiction étant censée leur porter bonheur, je n'étais guère enthousiaste. C'est à cette occasion que toute la cour me découvrit. Pour la toute première fois ils purent m'observer sans entraves.
Mère prenait toujours soin de cacher mon visage sous des foulards ou d'immenses chapeaux. A tel point que des rumeurs selon lesquelles j'aurais été défigurée à la naissance couraient dans tout le royaume. Mais cette fois là je ne portais rien pour cacher mes traits. Alors même que toute la cour et une grande partie des habitants du peuple étaient présent au mariage.
Tous me fixaient avec tant d'admiration que j'aurais pu en rougir de honte, si je n'avais pas été rouge de colère.
Je haïssais ces gens qui prétendaient avoir aimer mère de tous leurs coeurs. Alors qu'aucun d'eux n'a cru bon de faire remarquer à père, que se remarier deux jours à peine après la regrettable disparition de sa reine, n'était pas une chose convenable. Je les haïssais tous tellement... Et père encore plus que les autres.
Après le bal il m'annonça que mes appartements allaient être déplacés dans l'aile Est, la plus isolée et sécurisée du palais. Egalement la plus éloignée des appartements de sa nouvelle femme et des siens. Mais je le haïssais tellement à cette époque, que je ne me préoccupais guère de son rejet.
Aujourd'hui c'est pour son rejet que je le hais. Tout comme je hais son filleul aujourd'hui disparu. Tout ce qui est arrivé est de sa faute. Après son départ rien n'a plus été pareil. Il n'était plus là pour nous protéger. Il n'est même pas venu pour me consoler. Je le hais aujourd'hui avec autant de fougue que j'ai pu l'aimé.
Aujourd'hui, plus rien n'est pareil; je suis seul.
Je n'ai plus ni mère, ni père. Et plus que jamais ce grand frère pour lequel mon coeur de petite fille a brûlé avec tant de passion enfantine me manque horriblement.
Mère a toujours dit que j'étais trop précoce pour mon âge. A croire que cela s'applique même à mes peines. Car j'ai six ans et j'ai déjà perdu tout ceux que j'aime.
Mais je suis forte. Je ne suis pas n'importe qui. Mes ennemis croient avoir affaire à une enfant. Mais mes alliés savent bien que je n'ai d'enfantin que l'apparence.
Moi Cattleya Rose-Anne Delacus jure d'être à la hauteur de ma destinée. Je ne me laisserai pas faire. Je ne serais ni écrasée ni dépassée, et parce que je le décide tout me réussira. Mes ennemis ont tout intérêt à perdre le sommeil car tôt ou tard tout se paye à Vactée.