Chapitre 7 Chapitre 1 : Comme un léger frisson

Partie 1

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Croisades De La Terre Bleue

« Ainsi nous pouvons commencer. »

< Erez gomèn'lez serott der vat il'r tot >

※Ici vous trouverez le secret de la vie et de la mort.※

 Lonka ressentait ces mots. S'il lui était impossible d'expliquer à sa famille comment elle savait déchiffrer ce dialecte inscrit sur les différentes stèles découvertes dans l'est de Nygönta, la jeune fille était persuadée de le comprendre, mise en confiance par les mots du No Gata quelques terravolutions auparavant. Son père en était fasciné, mais ses missions d'explorateur ne lui donnaient pas le temps de s'en occuper. Quant à sa mère, seule lui importait la bonne tenue de ses enfants dans la vie du village.

 Lonka n'était pas encline à subir l'influence de Jewee, persuadée que son destin était celui d'une exploratrice. Au final, seul son frère partageait ses découvertes, plus attiré par l'aventure que la signification de ces écrits oubliés.

 Hors, Jorïs ne l'avait pas accompagné cette fois...

 Le crépuscule commençait à descendre sur les contrées reculées de Nygönta et Lonka était seule. Une enfant seule en pleine forêt, loin du reste de la communauté. La lumière s'effaçait à travers le feuillage, le piaffement des volatiles et la plainte des animaux sauvages prévenaient de la tombée de la nuit, mais aussi d'autres ombrages...

 Pour se préparer au voyage, elle avait raccourci ses boucles d'or jusqu'aux oreilles et enfilé une combinaison adéquate : cuissardes retenues par des sangles devenues grasses avec la moiteur externe ; pantalon de fibres résistantes serré par une ceinture de cuir brun, juste-au-corps renforcé aux armatures en peau de glazons, les bovins les plus robustes du coin –sans oublier l'emblème des explorateurs de Nyön gravés au dos–. À la fois consistants et légers, ses habits permettaient à la jeune fille de filer à travers ronces et lianes urticantes. Lonka ne craignait plus les petites bêtes -impossible pour elles de s'introduire à l'intérieur de sa tenue- et évitait les grosses sans y prêter attention. De toute façon, une autre présence semblait mettre la forêt en alerte.

※Sûrement d'autres explorateurs※, pensa-t-elle aussitôt, accélérant la course. Après deux jours passés à arpenter les étendues boisées au nord-est de Nyön, ralentie par une forte intempérie soulevant les eaux du fleuve Naga, Lonka était arrivée sur le territoire encore peu habité qu'était le duché de Philès. Les stèles étranges l'avaient emmenée jusqu'au sommet d'une falaise. Après l'avoir escaladée et visitée toute la fin de journée, Il était temps de voir ce qui se présentait au-delà.

 Aux dernières lueurs du jour, Lonka arriva enfin sur un versant dégagé. La vision se fit magnifique : des arbres, jaunis par le début de la saison des pluies, sur des centaines de lieues, bordés par le fleuve Naga au sud, Philesïs au nord. À l'horizon, la grande muraille à la robe lactescente s'étendait à l'infini.

 Le ciel sombre et couvert de scintillements divins était libéré de tous nuages. Des nuances de bleu, violet et indigo s'intensifiaient à mesure qu'elles s'approchaient du colosse enflammé, tandis que deux colosses blancs pointaient déjà le bout de leur nez.

 Et au milieu de tout ça, la vision acérée de Lonka distingua à quarante lieues de son perchoir deux immenses blocs de bétons, des ruines de colosses terriers certainement.

 Ils étaient littéralement encastrés, perdus dans un empire végétal qui resserraient ses crocs autour d'eux. Lonka admirait le spectacle et fantasmait. ※Nom d'un glazon, des donjons ! Jorïs va être aux anges !※ Elle frémissait à l'idée d'explorer l'intérieur des bâtisses.

 Lonka s'accroupit et s'approcha un peu plus près du bord, là où le cri des bêtes s'intensifiait. Lorsqu'elle dirigea son regard en contre bas, elle comprit aussitôt pourquoi : fortement éclairés, deux traits blancs parallèles en forme de serpent, le tout sur un fond bleu, c'était la bannière des explorateurs de Nyön. Une cohorte qui se frayait un chemin dans cette frondaison dense.

 Les explorateurs de Nyön utilisaient l'étendard aux serpents pour être reconnus des autres cités. Et depuis la création de l'escadron volant, les étendards servaient aussi à se signaler auprès des chariots aériens.

 La jeune fille scruta le ciel. Personne n'y voguait. Elle s'allongea alors au bord de la falaise pour surveiller les déplacements du groupe. Elle observa un long moment et ils étaient plutôt lents. À cette distance, ils ressemblaient à des petits points lumineux lorsque les arbres ne les cachaient pas. Ils devaient être une trentaine. Jennän était certainement accompagné de Maluna et toute la troupe.

 Lonka était si absorbée par la scène qu'elle ne fit point attention à la bête qui rôdait dans le coin. La brisure d'un rondin de bois l'extirpa de sa contemplation.

 Elle se retourna et tomba nez-à-nez avec une femelle sangiterre. ※Et voilà... Je fais comment maintenant ?※ En plus d'être imposantes, les sangiterres avaient tendance à devenir agressives dès lors que l'on s'approchait de leur nid... Vu la bave qui coulait de sa gueule, assortie de deux énormes défenses en ivory* pointées vers la fille, cette dernière devait être un peu trop proche des petits.

 Les grognements de la sangiterre étaient claires : soit Lonka choisissait la bonne direction pour fuir, soit la bestiole haute comme deux hommes la chargerait de toute sa puissance pour l'empaler, ou la précipiter dans le ravin.

 Rompue aux affres de la nature, la jeune fille ne paniqua point. Elle avait une idée en tête.

 Elle se leva lentement en prenant soin de rester face aux yeux du monstre, enfoncés sous un front imposant et ridé, lui-même recouvert par une enveloppe ambrée très résistante. Lonka commença à se déplacer vers la gauche lorsque son adversaire poussa un râle menaçant. Mauvaise direction. Soudainement crispée, Lonka recula et manqua de basculer au-delà de la corniche avant de reprendre le contrôle. Quelques gravas tombèrent dans le vide. Elle espérait que les explorateurs en contrebas ne l'aient pas repérée, mais ne pouvait se tourner pour le vérifier.

 La sangiterre s'avança lentement, mais s'immobilisa lorsque Lonka leva une main vers son long groin. À sa portée, elle pouvait ressentir la chaleur humide se dégager du museau à chaque respiration de la bête. La jeune fille se déplaça alors lentement vers la droite. Un pas, deux pas, une enjambée, un sautillon, pour aucune réaction. ※Oh Joie !※ La bête ne grognait plus, se contentant de suivre Lonka du regard.

  – Eh gentille bebête, je te promets que je ne veux aucun mal à tes petites mochetés, parlementa-t-elle d'une voix peu assurée tout en continuant son mouvement.

 La mère sangiterre leva un sabot et racla le sol avec, soulevant des nuages de fumée. ※Quelle teigne, c'est bien une femelle !※ pensa Lonka. Elle était à présent dans le bon axe pour s'échapper à travers les bois, sûrement que la bête voulait lui laisser une chance aussi.

 Il y eu un instant en suspens.

 Puis le craquèlement des feuilles.

 Lonka courut à poumons ouverts pour fuir la sangiterre qui défonçait tout sur son passage. Heureusement que la fille était vivace et agile, tenant le monstre à une distance salvatrice. Il fallait courir au moins sur une bonne demi-lieue pour échapper aux cornes du mastodonte. Quoique ce dernier n'avait vraiment pas apprécié l'assurance de Lonka, mettant du cœur à l'ouvrage pour la rattraper. Lorsque Lonka sautait par-dessus un tronc, la sangiterre l'écrasait. Son corps musculeux broyait les obstacles.

 Il fallait courir encore et encore. Lonka était alors loin de se douter que, dans les prochains jours, fuir allait être sa principale activité.

***

 Les percussions et les sifflets raisonnaient à des lieues à la ronde pour annoncer le jour tant attendu, la septième fête de la réunification !

 Les escortes de chaque duché se réunissaient à Jovoko. Nyön, Onok, Algatön, les processions de chaque communauté, composées des enfants et des jeunes adultes, paradaient en triomphe sur l'allée principale de la grande capitale de Nygönta. Le plus grand d'entre eux était Xo. Des centaines et des centaines de jeunes gens entouraient ainsi son chariot. Gros comme cinq cabanons, rempli de cadeaux remarquables et tiré par de solides glazons, il accueillait au milieu de ses offrandes le siège du duc, nouveau titre donné aux souverains des nations unies. Cependant ce dernier n'y siégeait point, probablement déjà au palais en train de parlementer avec le No Gata. Derrière l'escorte de Xo, Onok et Floeim n'étaient pas en reste, avec des diligences plus colorées. De chaque côté de l'allée, couverte de feuilles dorées, les adultes affluaient pour encourager les processions de leurs voix et leurs applaudissements.

 Le colosse enflammé brillait de mille feux chaleureux pour veiller sur la bienfaisance de cette journée. Jovoko exposait sa puissance par le nombre de colosses terriers habités. Séparés entre eux par des pavements ou des sentiers aquatiques, les immenses blocs aux formes diverses, jonchés de meurtrières, formaient des cercles concentriques jusqu'au palais du No Gata.

 Ce fut lorsque le cortège de Nyön arriva à deux cent mètres du palais que Jewesha remarqua l'absence de ses enfants. De sa position, elle avait inspecté chaque recoin de la procession pendant de longues minutes avant de se rendre à l'évidence. ※Quelle honte !※ Elle espérait silencieusement que personne d'autre ne l'avait remarqué, mais sa voisine, la pulpeuse Agatha, guettait, elle aussi. Ses enfants, dirigés par le fier Corän, étaient placés à la tête du cortège, normalement en compagnie des deux sauvageons de Jewesha.

  Leurs regards se croisèrent plusieurs fois avant qu'Agatha se décide à la rejoindre. Lorsqu'elle la vit faire un pas en avant, Jewesha arqua un sourcil avant d'offrir son plus beau sourire de façade, réponse au sourire carnassier de sa rivale, qui ne se fit pas prier pour débuter les hostilités :

 – Ma chère Jewesha, je ne vois ni Lonka ni Jorïs. Ils ne devaient pas se trouver dans le peloton de tête ?

 – Oh... Je les ai aperçus à l'arrière. Tu sais, ils n'aiment pas autant se montrer qu'autrefois, répondit Jewesha d'une voix peu assurée – Elle savait que cette peste d'Agatha allait continuer de les chercher – Et toi donc ? Heureuse que tes enfants mènent une nouvelle fois la balade ?

 – Oh... Tu sais, j'espère surtout qu'ils se feront adouber par le No Gata en personne cette fois. Toute cette liesse n'aurait aucun sens sinon. Mais dis-moi, tu m'as l'air toute pâlotte, ton homme te rend inquiète ?

 – Jennän ne m'inquiétera jamais, c'est l'homme le plus débrouillard et intelligent que je connaisse, après Jorïs. Je me demande juste ce qu'il est encore parti chercher...

 Agatha faisait la moue, puis repris son sourire narquois.

 – Mon fils Corän rêve d'intégrer les explorateurs et vu qu'il ne peut que réussir, il nous fera sûrement part de ses découvertes – Agatha donna un petit coup de coude taquin à Jewesha –.

 – Calme toi, il n'y est pas encore, se moqua Jewesha, plus à l'aise avec sa meilleure ennemie. De toute façon, je sais pourquoi il veut intégrer les explorateurs ton beau garçon.

 Au même moment, une comète siffla dans le ciel. Non, c'était un de ces chariots volants qui amorçait son atterrissage vers le grand palais. ※Quelle était cette sensation ?※ Il ne naviguait pas à la même allure... ※Est-ce Karo ? Pourquoi il a l'air pressé ?※

 Jewesha ressentit comme un léger frisson.

* Ivory : l'ivory est une matière recherchée pour la confection d'armatures et d'armes. On en trouve sur plusieurs espèces animales.

            
            

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