Chapitre 9 Chapitre 3 : Kalah le Deikh

– Calmez-vous très chers, tonna le magistrat de la délégation avazen. Je peux autant vous expliquer notre venue ici que la présence d'une flotte à vos bordures. Peu importe ce qui peut se passer, ma présence vous protège...

 Oberztaz savait que ces premiers mots n'allaient pas calmer l'auditoire. Les tribunes s'agitaient de plus en plus et des regards noirs se tournaient vers les étrangers. Le No Gata observait la scène, dubitatif. S'ouvrir au reste du monde constituait l'étape primordiale dans les plans du souverain de Nygönta, encore fallait-il ne pas se tromper sur les premières rencontres. Il regardait ces hommes aux vêtements sombres en se demandant s'il n'avait pas commis une erreur de les accueillir avec tant d'enthousiasme.

 –...Pour ceux arrivés en cours de débat, je suis un aristaz de l'Empire Avazen, le seul peuple capable de rallier tous les océans, ces étendues d'eau que vous appelez ici « terres bleues ». Et ma venue a pour seul but de vous offrir certains de nos savoirs, en échange des vôtres. En tant que Oberztaz, je représente le seigneur Sullhizer et sur sa parole, aucune de nos inttentions sont mauvaises. Cependant, j'ai conscience que l'Empire Avazen est de plus en plus fractionné. La flotte qui se trouve à vos portes mène une croisade pour ses propres intérêts, mais attaquer vos terres alors qu'un aristaz s'y trouve serait une provocation d'ampleur envers notre Empereur.

 – Et qui sont-ils alors ?! Demanda avec vigueur le duc de Yönla.

 – Les mers du sud témoignent des croisades du seigneur Kommogüs et cette flotte lui appartient. Je ne vois aucune raison à ce que le seigneur Kommogüs provoque un incident impliquant un aristaz, qui plus est un aristaz partageant le sang du seigneur Sullhizer. Je vous prie de me croire et de m'écouter. Cette situation nous amuse plus qu'autre chose, connaissant les maladresses du seigneur Kommogüs, mais dès lors qu'il sera au courant de notre venue ici, rien n'arrivera aux terres fertiles de Nygönta.

 – Permettez-moi de remettre en cause vos mots, rétorqua le souverain de Roa. Je me joins à l'inquiétude de Yönla, car nous avons été témoins d'étranges visites ces dernières nuits – Le duc de Roa se tourna alors vers ses compatriotes –. Je m'excuse de vous prévenir que maintenant, je voulais que ce sujet vienne en dernier. Je dois vous signaler que nos miliciens ont été défait par un homme, seul, qui aurait grimpé la grande muraille !

 « Quoi ?! », la surprise raisonna dans toutes les bouches. Il était impossible de gravir ce mur blanc et lisse aussi grand qu'une montagne. Pour la plupart des personnes présentes, la muraille était un édifice aussi lointain qu'intouchable. Leur protection face au reste du monde. Tamara serra sa toge, elle savait que ses explorateurs prenaient la direction des duchés du grand est pour leurs recherches.

 – Il me semble que cette information est de première importance. Pourquoi n'ai-je pas été mis au courant avant la tenue de ce conseil ? Demanda le No Gata d'une voix grondante.

 – J'ai été pris de cours, je n'aurais jamais pensé que d'autres dérangements auraient lieu entre temps. Mais j'ai pu le voir de mes propres yeux et je peux assurer et assumer de dire qu'il ressemble fortement à nos chers visiteurs.

 – Dois-je comprendre que nous sommes le dérangement ? Questionna Oberztaz d'un ton provocateur.

 – Il est certain que vous ne nous dites pas tout. Ou pire, vous nous mentez !

 L'agitation grimpa d'un cran dans les tribunes. Certains ducs voulaient directement en venir aux mains avec le cortège avazen, qui commençait à perdre de son sourire. « Je vous préviens, provoquer l'Empire Avazen n'est pas la meilleure idée », vociférait de son côté l'aristaz ; « Nous ne craignons pas les avazen », pestaient à leur tour les ducs. Par petits groupes, des gardes royaux investissaient l'amphithéâtre, où l'ambiance était sur le point de dégénérer.

 – Silence !! s'exclama le No Gata – rarement sa voix n'avait été aussi irritée –. Tant que le destin ne nous a point prouvé le contraire, je m'en remets aux paroles sages de nos invités les Avazen. Mais en tant que garant de l'ordre et de la sécurité sur Nygönta, je me dois, et tout le monde ici se doit d'en savoir plus ! Jotän, duc de Roa, si vous l'avez rencontré, pouvez-vous nous décrire cet homme tombé de la muraille.

 Il y eut un instant en suspens. Tous les regards étaient tournés vers le duc de Roa. Il sentit une forte pression soudainement, il ne voulait pas se tromper de mot :

 – Il était grand, très... dense. Il est apparu dans mon palais alors que mes gardiens venaient à peine de m'annoncer la nouvelle. Il est venu me réclamer directement audience, il devait déjà être au courant de nos coutumes. Mais je sais qu'il n'était pas de Nygönta, son accent avait quelque chose de... rauque. Il disait maîtriser notre langue grâce à son apprentissage personnel, il mettait un point d'honneur à me faire entendre ça. Bref, sa peau était brunie et ses cheveux, sa barbe, noirs comme une nuit sans étoile. Du moins ce que j'en ai vu puisqu'il était capuchonné. De mes souvenirs il arborait une tunique venue d'une autre contrée, rien qui ne fut déjà tissé en nos lieux. Tuniques que je retrouve portées par des hommes du cortège ici présent, je n'ai aucun doute.

 – Et arborait-il des symboles ? Qu'était-il venu chercher ?

 « Des anges et des démons !! », s'écria une voix. Une voix sombre et rauque, qui raisonna dans tout le dôme. Karo tourna dos à l'amphithéâtre pour voir, crispé et chauffé par l'appréhension, d'où venaient ces paroles.

 Et il apparut là. D'abord une main se plaquant au rebord, puis deux. Et d'une force maitrisée, il fit basculer tout son corps sur le toit. ※Il vient de grimper toute la façade arrière du palais ?!※ Se demanda Karo, abasourdi.

 L'homme ressemblait aux descriptions du chef de Roa. Grand, puissant. Ses cheveux, sans capuche pour les camoufler, brillaient en plus de quelques reflets rouges à la lueur du colosse enflammé. Une cape était accrochée à son épaule gauche à l'aide d'une fibule, le tout cachant sa tunique. Hilare d'avoir réussi une nouvelle prouesse d'escalade, il resta allongé le temps de reprendre son souffle. ※Il y avait pourtant des gardes en bas※, pensa l'aîné des Augüs, horrifié d'imaginer ce qui avait pu se passer en contrebas.

 L'inconnu se releva lourdement, sans que personne ne l'approche, impressionné et circonspect de son débarquement. Dégageant sa cape dans son dos, il laissait enfin distinguer sa tunique arrivant à mi-cuisse, bordée d'étoffes et de garnitures métalliques spécifiques, complexes, d'un éclat obscur. Tout ceci représentait en effet des symboles, son appartenance. Son regard, noir, plissé et ancré sous un front marqué, se plongea dans celui du No Gata.

 – Pouvez-vous vous présenter, cher visiteur ? Demanda de la voix la plus accueillante possible le No Gata.

 – Kalah – Il sonda alors l'assemblée, attentive –, Deikh Kalah Oberzheim. Je vois que certains des miens m'ont devancé.

 Lorsque son regard se posa sur Oberztaz et ses conseillers, ces derniers furent pris de nausées. ※Que fait-il ici ? Pourquoi lui ?※ Oberztaz se leva de sa tribune et descendit fébrilement les marches jusqu'à la scène. Les ducs et chefs de village restèrent muets, observant les évènements dans l'incompréhension générale.

 – Kalah, mon enfant, pourquoi l'as-tu choisi ? Questionna le magistrat avazen d'une voix accablée.

 « Grand-père, j'ai bien grandi depuis notre dernière rencontre vous savez », Kalah honora son prédécesseur en posant ses mains sur ses épaules. Aussitôt, deux miliciens armés de lance s'opposèrent à ces salutations, repoussant Kalah en joignant leurs armes contre lui. « Wooh, donc c'est comme ça qu'on me traite ici ! », s'exclama-t-il d'un air moqueur.

 – Vous qui pénétrez dans ce dôme sacré, avec quelles intentions vous présentez-vous devant le conseil des chefs de village ? Interrogea le No Gata, ragaillardi.

 – Des nombreux voyages que j'ai fait sur les terres primitives, j'ai rarement vu de peuple désarmé aussi évolué et organisé que le vôtre. Je vous félicite !

 Le No gata regarda les lances pointées sur le jeune homme :

 – Détrompez-vous, nous sommes en mesure de nous défendre.

 – Comme je le pensais, nous ne parlons pas des mêmes armes.

 – D'où venez-vous ?! Renchérit Tamara, soulevant l'admiration de ses voisins qui n'osaient jusque-là parler.

 Kalah sortit de sous sa fibule une roche taillée en forme de losange. Celle-ci émettait des points lumineux qui se mouvaient en son sein. Le Deikh s'approcha de Karo et du No Gata. L'instinct du chef de l'escadron volant le poussait à chercher une arme, mais le souverain de Nygönta accepta le pas en avant de Kalah. Lorsqu'il arriva au niveau du grand chef, il lui tendit la pierre :

 – Je ne viens pas d'une terre, mais de « l'océan » –Les ducs et chefs du village se regardèrent. Ceux qui n'avait pas écouté le discours du magistrat Oberztaz ne savait toujours pas ce que ce mot signifiait-. Mes intentions n'avaient rien de mauvaises en arrivant sur... Comment vous l'appelez déjà ? Nygönta ? Mais voyez-vous, votre terre abrite des êtres qui ne peuvent pas coexister avec la race humaine. Je ne sais pas si vous êtes au courant de leur présence parmi vous, mais n'ayez crainte, je suis venu ici pour les éradiquer.

 – Mensonge ! Rétorqua le duc de Xo. Notre terre vient de retrouver la paix. Qui êtes-vous pour vouloir y apporter la mort à nouveau ?

 – Vous le savez, vous – Avec un large sourire, Kalah plongea son regard dans celui du chef de Xo –, et vous aussi devez le savoir -Regardant cette fois le No Gata, qui inspectait la pierre-. Vous savez tout de ce monde n'est-ce pas ? Et ce n'est pas les anciens qui vous l'ont appris. Dites-leur, cher No Gata.

 Le No Gata se tourna alors vers son assemblée. Il comprenait ce qu'il se tramait, il comprenait l'utilité de la roche, un sonar, qu'il avait dans les mains. Et tout devint limpide dans sa tête. Ce qui arrivait à l'extérieur de la muraille était quasiment impossible à endiguer. Mais s'il y avait quelque chose à tenter, il avait déjà pris les devants. Il comptait sur Jennän pour une mission de premier ordre et ne s'était pas trompé dans ses ressentiments. Ce jour-là, il avait senti que la brise était différente. Le vent lui avait apporté un message.

 « Gardes ! Saissisez-vous du Deikh Kalah Oberzheim ! », cria-t-il finalement. À cette annonce, Karo resta bouche bée. L'angoisse s'immisça dans ses entrailles. Le No Gata n'avait jamais paru aussi grave dans son ton. Les miliciens entourèrent le Deikh qui n'offrit aucune résistance. Il se contentait de rigoler pendant qu'Oberztaz, son grand-père, vociférait pour qu'on le relâche aussitôt.

 – Magistrat Oberztaz, j'ai compris votre innocence, aussi une escorte vous raccompagnera dès à présent aux frontières.

 – Non ! Vous signez votre fin en faisant ça. Je vous le jure.

 – À ne pas avoir achevé les ennemis du passé, vous nous avez donné l'occasion de vous trouver, dit le Deikh assez fort pour que l'amphithéâtre puisse entendre. Notre seigneur Kommogüs a besoin de sang frais, ça tombe bien.

 Il ria à pleine gorge devant la stupeur générale des ducs et chefs de village.

 – Kalah ! Pourquoi l'as-tu choisi ? Demanda de nouveau Oberztaz, cette fois sur un ton de reproche.

 – Je ne compte tout simplement pas attendre que mon père meurt pour récupérer son rang. Toi ou tes frileux de conseillers, vous pourrez lui transmettre ce message.

 Le No Gata rangea dans une poche la roche au clignotement épileptique que lui avait transmis le Deikh. « Ne vous inquiétez pas, je viendrai vous la reprendre cher souverain de Nygönta », provoqua ce dernier alors que quatre miliciens commençaient à le transporter à l'extérieur de l'amphithéâtre. La cohue générale devenait intense. Tous les ducs et chefs de village souhaitaient partir au plus vite, sûrement pour prévenir leurs sujets d'une menace imminente. Karo aida sa mère à descendre des gradins, s'interposant lorsque la chef de Nyön manquait de se faire bousculer.

 Dans un dernier sursaut, le magistrat Oberztaz se rapprocha au plus près de son descendant, lui jetant un regard mêlé de tristesse et d'incompréhension.

 – Je t'en conjure, Kalah, reviens-nous. Ta présence dans l'armée de Kommogüs peut déclencher une guerre au sein même de l'Empire !

 Kalah toisa une dernière fois son aïeul. Il semblait heureux d'entendre ces mots à son égard, son sourire en coin en attestant :

 – Ainsi nous pouvons commencer.

            
            

COPYRIGHT(©) 2022