Chapitre 4 -3 : Une histoire de lutte des nations

Les landes au sud de la forêt présentaient un magnifique paysage, mais elles étaient abruptes et manquaient d'eau –ou cette dernière n'était pas potable, même filtrée par des baka-baka*–. Jennän et Jewesha chassaient des petits mammifères à défaut de trouver des végétaux comestibles. La nourriture se faisait plus rare, mais les repas à la brochette de viandes plus festifs.

 Pour éviter de traverser les zones escarpées où des bêtes féroces pouvaient se terrer, le groupe de Jennän restait à la lisière de la forêt. Ils avaient déjà subi une attaque de raùrs* et seul le feu avait permis de les faire fuir. Bo fut blessé à une patte arrière, ce qui ralentit fortement la cadence.

 Jennän ressentait la pression d'une présence humaine hostile, il fallait rejoindre Java au plus vite. Les anciens avaient fait la promesse d'y trouver une civilisation prête à les intégrer, pour ne plus avoir à subir les affres de la nature ou les rencontres néfastes. Combien de jours restait-il à marcher ? Pourraient-ils arriver au bout du chemin ? Jewesha paraissait la plus inquiète, elle qui n'avait pas revu son groupe et sa famille depuis des lustres. Elle priait chaque matin qu'il n'arrive rien à Karo, dont le rôle de nouveau Major lui conférait d'immense responsabilité.

 À la nuit tombée, elle se consolait dans les bras de Jennän, alors que Lonka avait pris l'habitude de construire sa propre cabane, à quelques mètres de celle de ses parents. Bo préférait protéger le domaine de la petite fille plutôt que celui du couple.

 Et malgré les pluies, les orages, les sécheresses, la chaleur du colosse enflammé ou la froideur des colosses blancs, il fallait avancer, encore et toujours. Après quatre terravolutions de survie dans la nature, les jambes devenaient lourdes et les corps maigres.

 – Jewee ! Jewee !

 Ce jour-là, Lonka s'adressa directement à Jewesha. Le crépuscule pointait le bout de son nez et la femme eu d'abord du mal à discerner ce que la petite voulait lui montrer. Elle fut rejointe par Jennän et, depuis le sommet du rocher au flanc aiguisé comme une lame, ils aperçurent des ombres en approche.

 Le doute et l'effroi s'emparèrent d'eux. Etaient-ce les tribus des forêts qui les avaient contournés pour les piéger de face, ou un écueil plus terrible encore ? Plus ils s'enfonçaient dans l'est, plus le risque de trouver des individus peu cléments grandissait.

 Ils entendirent un cri au loin, comme un signal pour attaquer ! Ils décidèrent de prendre la fuite. Sans même se préoccuper de Bo ou de leurs affaires, la petite famille partit à la hâte en recherche d'une cachette. Au milieu de ces rocs hérissés comme des pics, il fallait trouver la tanière parfaite, celle qui les dissimulerait dans la pénombre.

 Les cris s'intensifiaient. Les lueurs de flammes s'approchaient.

 Jennän vérifia si le dessous d'un rocher particulièrement effilé n'était pas déjà le territoire d'insectes dangereux ou de bêtes sauvages. Cette opération relevait du défi -sans ustensile et par peur de se faire repérer, Jennän ne pouvait pas allumer de feu-. Au fil des minutes, Lonka se montrait de plus en plus agitée. Jennän la tenait fermement dans ses bras, mais à mesure qu'une présence humaine se rapprochait, la fille se débattait de plus en plus, répétant « Pa' » à tue-tête. A bout de force, l'homme finit par lâcher prise et Lonka accourut en haut d'un roc qui obstruait leur champ de vision.

 Elle se mit totalement à découvert.

 – JEWEE ! tonna-t-elle en montrant l'horizon du doigt.

 Cette dernière restait effarée. Que pouvait-il bien se passer ? Elle s'était pourtant rendu compte que l'instinct de Lonka était toujours juste, alors pourquoi ne se cachait-elle pas ?

 Jennän comprit aussitôt lorsque les voix parvinrent distinctement à ses oreilles. « JENAAAAAAN ! JEWESHAAAA ! », il reconnaissait ce ton, c'était celui de ses proches camarades. Il accourut au côté de Lonka pour se rendre compte de ses propres yeux ; ils n'étaient alors qu'à quelques mètres, bien visibles. Banaji, Maluna et d'autres éclaireurs de la tribu étaient venus à leur rencontre.

 Ils les avaient retrouvés.

 – Banaji ! On est là !

 Passée la frayeur, Jennän et sa famille accoururent auprès des sentinelles du clan Augüs.

 Les retrouvailles furent chaleureuses. Agatha et les femmes du cortège s'enquirent aussitôt de l'état de Jewesha, pendant que les hommes entourèrent Jennän et lui flanquèrent à tour de rôle de grande claques amicales sur l'épaule en riant. On mit aussitôt en place un camp, pot de glaù à chauffer, pour fêter la survie des trois exilés. Jennän regardait Banaji et ses comparses avec des yeux pleins d'admiration. Le grand homme à la peau brune avait pris quelques rides, mais son regard restait vif comme aucun autre. C'était Banaji qui avait mené le Major Augüs à Jennän dans la crique ; lui qui avait trouvé le lit du fleuve permettant le départ vers l'est ; et lui encore qui avait retrouvé Jennän et sa troupe dans ces landes perdues au milieu de nul part. Comment faisait-il ? Un être exceptionnel.

 Maluna, femme de Banaji et exploratrice tout aussi chevronnée, accompagna Lonka à la recherche de Bo. Pendant ce temps, l'heure des explications était arrivée entre Banaji et Jennän :

 – Comment ? Mais comment avez-vous fait ? Nous étions si loin... Perdu au milieu de ces terres infinies, j'ai cru qu'on allait terminer notre vie ici, dit Jennän, une larme de joie coulant le long de sa joue.

 – En effet, pour vous être perdus, vous vous êtes perdus, mais avant de t'expliquer, j'ai une très, très bonne nouvelle à vous annoncer...

 Jennän et Jewesha furent tout ouïe. Banaji posa une main chaleureuse sur leur épaule, large sourire aux lèvres.

 – Karo a assumé sa mission. Nous avons rallié la nation de Java ! Nous avons réussi.

 Face à une telle nouvelle, Jennän et Jewesha ne purent se retenir plus longtemps. Le premier laissa couler quelques larmes de bonheur quand la seconde pleura sans interruption. Surpris, Banaji préféra cacher son émotion.

 – Alors c'est bon ? Nous sommes arrivés au bout du chemin ? Demanda Jewesha, sanglotant.

 – Quasiment. Nous ne sommes pas pour autant à l'abri. Java n'est pas la seule grande communauté à l'est.

 – D'où nous venons, nous avons croisé des hommes et des femmes qui n'avait pas l'air d'apprécier notre venue. Java est en guerre contre eux ? Demanda Jennän.

 – Pas encore... Selon les miliciens de Java, nous aurions frôlé le territoire d'Athana en longeant le fleuve par le nord. Donc vous deviez être en plein dedans...

 – Nous avons dû le contourner.

  Banaji prit une expression sérieuse et un ton plus grave :

 – Et vous aviez bien fait. Ton instinct a bien fonctionné Jennän. Une fois qu'ils se seraient rendu compte que vous n'étiez pas des leurs, ils vous auraient sûrement fait rôtir ou découper en morceau. Leur but est que les nations de l'est ne deviennent pas plus influentes en intégrant de nouvelles populations.

 – Mais c'est horrible ! S'exclama Jewesha. Pourquoi ne nous auraient-ils pas intégrés eux même ?

 – Ce n'est pas leur but. Nous avons appris que la tribu Athana vient d'un seul et unique berceau*. Et ils comptent rester et se développer entre eux. Tout ce qui rentre dans le territoire d'Athana n'est pas censé en sortir...

 – Nom d'un glazon** !

 – Ce que tu en as appris des choses, ajouta Jennän.

 – En effet, avant que nous reprenions la route, je dois vous expliquer un peu dans quoi nous avons mis les pieds.

 Il y eu un instant de pause, le temps que Banaji réfléchisse à la tournure de ses phrases :

 – Notre groupe a pénétré le territoire de Java à la fin de la dernière période des pluies. Les protecteurs ont reconnu notre insigne et nous ont emmené tout droit à Gata No Java.

 – Gata no quoi ? Questionna Jewesha en essuyant de sa manche son visage humide.

 – Gata No Java, la plus grande et belle cité de Java. Si tu pouvais voir l'endroit, des maisons partout, de grands champs, des structures gigantesques pouvant abriter tout notre clan. L'endroit de nos rêves... Malheureusement, tout n'est pas si simple là-bas...

 Banaji occupa ses mains en ravivant le brasier. Le feu attirait de gros insectes bourdonnant tout autour. Il reprit :

 – Java est en guerre depuis la dernière terravolution. Le No Gata*, qui règne sur les lieux depuis le début de l'humanité selon les dires de ses habitants, nous a expliqué très brièvement la situation. Une nation plus au nord, répondant au nom de Xo, a décidé de prendre la totalité du territoire connu. Cela fait suite avec une rencontre venant de l'extérieur.

 – La nation de Xo ??

 – De l'extérieur ?

 – Bon, je vais vous faire un petit point sur comment est vu notre monde selon les populations de l'est. Vous m'avez l'air un peu perdu. Nous sommes actuellement sur une vaste terre surnommée Nygönta. Selon la langue des anciens, je crois que ça signifie « terre du sud », ce qui signifie que nous nous trouvons juste sur une petite terre située au sud d'un espace gigantesque...

 Jennän et Jewesha se regardèrent hébétés. Eux qui venaient de passer tant de terravolutions à arpenter le tour de « leur » monde, ils avaient du mal à se faire à l'idée que ce dernier était un endroit minuscule à l'échelle du « vrai » monde.

 –... Sur Nygönta, les populations humaines qui s'y sont « éveillées » se sont concentrées vers l'est, autour des fleuves. Celui que l'on vient de longer se nomme l'Athän*, qui donne son nom au territoire dans lequel vous auriez pu disparaitre. L'Athän se sépare en deux autres fleuves, à environ cinq jours de marche si l'on connait le chemin.

 – Donc on se rend à cinq jours de marche ? Demanda Jewesha.

 – Non mais écoute, c'est intéressant –sans qu'il ne le remarque, son interlocutrice leva les yeux aux ciel dans une moue blasée–. En ayant longé l'Ahtän par le nord, nous avons débouché en pleine nation de Xo, nous avons traversé des plaines où des hommes s'entretuaient, nous n'avions jamais vu ça, aussi... –Banaji coupa sa phrase dans l'élan– Heureusement, nous avons pu atteindre en vie ce fameux croisement des fleuves, marquant la frontière avec la nation de Java. Des centaines et des centaines d'hommes avaient battit des « lignes de défense » sur l'autre rive, nous étions enfin hors de danger, mais je ne sais pas pour combien de temps.

 – Où vous ont-ils mis alors, après Gata.. No Ga.. Comment c'est déjà ? Balbutia Jennän.

 – Gata No Java, la capitale de Java. Mais le No Gata...

 – Le quoi ?!

 – Le No... Le prétendu chef de toute la région, répondit Banaji, à son tour blasé. Bon pour le moment il n'a plus que Java, mais c'est déjà pas mal son territoire est aussi grand que celui de Xo. Bref, à force d'explications je m'égare...

 – Oui, tu m'as perdu...

 – Il y a tellement de choses à dire tu sais... Déjà, Java est bordée par le territoire de Naga à l'ouest et à l'est.

 – Je ne viens pas de dire qu'il m'avait perdu ? Se demanda Jennän en cherchant le regard de Jewesha.

 – Le sud appartient à la nation d'Onok, continua Banaji comme si de rien n'était, fasciné par ses propres explications. Mais dernièrement Java et Onok ont trouvé un accord pour s'allier. L'Athän se sépare en Nygönnaga au sud et Philesïs au nord, marquant donc la frontière avec Xo, et le Philesïs se sépare encore en deux avec...

 – Abrège ! Coupa Jewesha. Où est-ce que l'on va retrouver Karo et les gens de notre tribu ?

 – Bon... Pour l'instant nous sommes un peu éparpillés à Gata no Java, nous devons trouver notre place... Et c'est là qu'il était important pour nous de vous retrouver...

 La fille du clan Augüs fronça les sourcils.

 – ...Karo a proposé au No Gata de former une cohorte d'explorateurs qui pourrait rendre des services à la nation en menant des recherches sur les territoires de l'est. Car encore plus à l'est se trouve la nation de Roa, dont seul le No Gata a vent de son existence... Enfin, à ce qu'il parait si on écoute les gens de la cité. Il est dit que Roa recélerait de somptueux trésors qui pourraient mettre fin à cette guerre en un rien de temps. Mais pour mettre en place cette expédition, nous avons besoin d'un leader et Karo a directement pensé à toi, Jennän. Avec l'aide d'un « régiment », je crois qu'ils disent ça comme ça, nous avons pénétré le territoire d'Athana et réussi à récolter des informations sur votre emplacement, preuve que vous étiez en effet poursuivis... Et vu le nombre de gardes pour nous protéger, vous n'étiez pas poursuivis par des innocents... Mais au moins, ça nous a permis de nous rendre ici.

 – Donc, si je comprends bien, à peine arriverai-je à Gata No Java que je devrais repartir ?

 – Il s'agit de la survie de notre groupe, Jennän. Nous n'avons pas de place dans ce monde, nous devons donc la créer, mais le No Gata nous permettra de le faire si on l'aide à achever cette guerre.

 – Il a l'air d'être aimable par intérêt ton « no gaga » là.

 – Sache tout de même que tu ne seras plus seul, expliqua Banaji sur un ton plus sec, vérifiant du coin de l'œil les réactions de Jewesha. Le mieux et que tu te présentes de toi-même au No Gata, tout te semblera plus clair d'un coup.

 – Et comment ce No Gata sait autant de chose ?

 – Je te l'ai dit, il existe depuis des générations, depuis le début de l'humanité...

 Jennän se sentit bizarre à cette annonce. Ses yeux se tournèrent vers le sentier qu'avaient emprunté Lonka et les autres. ※Et si...※

 – Et t'y crois, à ça ? Retorqua Jewesha.

 – Tout est possible. Nous ne connaissons rien de notre monde, nous en découvrons chaque jour un peu plus, alors pourquoi pas. En tout cas, je n'ai pas écouté plus sage parole que la sienne, ni vu un visage plus marqué par les terravolutions. À côté, ton père était encore dans la plénitude de ses forces.

 Jewesha baissa les yeux, entre tristesse et colère. Ce n'étaient sûrement pas les mots qu'elle avait envie d'entendre. Jennän lança un regard sanguin à Banaji, qui par sa soudaine moue semblait s'excuser de sa maladresse, mais la jeune femme releva rapidement la tête :

 – Dans tout ça, il y a une question à laquelle tu n'as pas répondu Banaji.

 – Je t'écoute.

 – J'ai compris que la nation dont nous devions avoir peur se nomme Xo... mais tu nous as aussi dit qu'elle avait décidé d'agir, initier cette guerre, suite à une rencontre avec l'extérieur. De quoi est-ce que tu parles ?

 – Ah ça... Comme vous avez pu le voir, nous n'étions finalement pas les seuls humains sur cette terre. C'est encore plus vrai pour le reste de notre monde. À l'est, Nygönta est entourée d'une gigantesque muraille blanche qu'on peut voir à des lieues à la ronde, et par-delà cette muraille se trouve la terre bleue*, à perte de vu. D'autres hommes et femmes, dans ce monde, ont trouvé le moyen de vivre sur la terre bleue et ils ont déjà posé le pied sur Nygönta... Je n'en sais pas forcément plus, mais jusqu'à maintenant, les seuls contacts avec l'extérieur furent via la nation de Xo. Ils ont sûrement appris quelque chose qui les ont poussés à vouloir absorber toutes les populations de Nygönta, mais personne ne fait confiance au souverain de Xo, qui semble réfléchir pour ses intérêts personnels.

 – Et si Java gagne cette guerre ?

 – J'imagine qu'elle fera la même chose que Xo. Notre but est de se retrouver du bon côté lorsque le verdict tombera. Depuis des générations, nous avons parié sur Java.

 Jennan observa le feu crépiter. Baigné dans la chaleur, il réfléchit à ce que Banaji venait de lui confier. ※No Gata ? C'est le Major de l'intégralité de ces terres alors ? Non, c'est au-dessus du Major du coup... Il y a d'autres nations que Java donc ?※ Il ne savait pas par quel bout commencer. S'il n'avait pas tout compris, son esprit fusa entre toutes ces informations et son imaginaire se mit en branle. Il songea à des batailles réunissant des milliers d'hommes, à des cités aux architectures toutes plus belles les unes que les autres. Tant d'esquisses s'encraient dans sa tête. Il imaginait le début d'une nouvelle vie, bien plus exaltante que cette mission originelle imposée dans sa tribu, la traversée vers l'est.

***

 Au bout de trois jours de marche, la petite troupe commençait à discerner une large bande scintillante au loin. Banaji expliqua qu'il s'agissait de la fameuse grande muraille. Dans la nation de Java, personne ne l'avait jamais vu de près et les idées les plus folles germaient autour de cette structure monumentale.

 Maluna guidait la marche, prenant soin d'éviter les possibles zones de rencontre. La principale appréhension était de tomber au milieu d'un champ de bataille. L'idée excitait toutefois l'imaginaire de Jennän, lui qui s'était habitué au grand air de l'aventure et du risque.

 Un jour plus tard, ils durent traverser le fleuve Nygönnaga pour pénétrer le territoire de Naga, dernière frontière avant la nation de Java. La petite horde mit une journée entière pour construire deux solides radeaux. Le premier transportait entre autres Banaji, Jennän et Jewesha ; Lonka et Bo embarquaient sur le second, sous la protection de la courageuse Maluna. Cette dernière s'était attachée à la petite Lonka et avait remplacé Jewesha pour faire sa toilette.

 Même s'il s'était fait à l'idée, trois terravolutions durant, que ça présentait un trop gros risque, Jennän regrettait de ne pas avoir eu ces embarcations lors de sa traversé vers l'est. Il aurait peut-être dévalé les courants de l'Athän plutôt que subir chaque lieue à la force de ses jambes. Maintenant que le chemin se terminait, ces suppositions ne subsistaient qu'en faibles regrets.

 Une fois sur le territoire de Naga, Banaji souffla dans un bout de bois creusé en entonnoir : un bruit rauque s'en échappa pour raisonner à des lieues. La troupe de Jennän découvrit l'objet pour la première fois, Banaji expliqua alors qu'il s'agissait d'un artefact donné par les protecteurs de Java afin de pouvoir être repérés. Le plan de Banaji fonctionna très rapidement : des troupes de Java les retrouvèrent avant la tombée de la nuit.

 Leur attirail vestimentaire se constituait d'une jupe et d'un haut en cuir animal, brunis et griffés d'une craie grise, sanglés par des anneaux et des armatures taillées sur mesure dans la pierre. Les articulations étaient à l'air libre, permettant une bonne mobilité malgré les protections. Ils parlaient la même langue, mais avec un accent tranchant que Jennän et Jewesha avaient parfois du mal à comprendre. Les protecteurs de Java étaient transportés par des glazons tirant des chariots. Les animaux ressemblaient au bobön, mais, hauts sur patte, ils étaient bien plus élancés et parés pour des longues distances à bonne allure. Ils avaient de quoi impressionner, faisant la taille d'un homme et demi à deux hommes en hauteur.

 Alors la question de garder Bo se posa. La bête avait du mal à se remettre de sa blessure, qui devenait plus purulente chaque jour et, de toute évidence, allait ralentir tout le cortège, qui n'était pas en mesure de le faire transporter par ses cousins les glazons.

 Jennän réfléchit la nuit entière. Il finit par aller voir sa fille à l'aube, pour lui expliquer qu'elle devrait dire aurevoir à son compagnon préféré. Elle comprenait les mots de son père, mais ne semblait pas comprendre pourquoi, d'autant qu'on n'osait pas lui donner de franches explications. Pour la première fois, Jennän vit les larmes couler sur les joues de sa fille. « Je ne veux pas que Bo parte », « pourquoi vous voulez qu'il parte ? », c'était également la première fois qu'il entendit des phrases aussi bien construites de la part de Lonka. Son cœur se souleva lorsqu'il vit Bo s'approcher d'elle pour la réconforter. Même Jewesha, qui regardait non loin de là, fut émue par la scène.

 On attendit le lever complet du jour pour escorter la bête dans un bois non loin du sentier, ce fut la dernière fois que Lonka vit Bo.

***

 Quelques jours plus tard, l'escorte arriva enfin à Gata No Java. De grandes cultures entouraient la ville où ses fameuses « structures » accueillaient les voyageurs : De gigantesques blocs de pierres creusés de petites fenêtres sur tout leur pourtour. Certains respiraient la vie, des vêtements séchant aux fenêtres et des habitants regardant l'arrivée des voyageurs au travers. Aussi haut que cinquante hommes, ces bâtiments -qui cachaient le colosse enflammé si on les approchait de trop près-, étaient surnommés les colosses terriers*.

 Hommes, femmes, enfants, animaux, champs, vêtements, nature verdoyante, Java No Gata s'étoffait de mille et unes vies et couleurs. Tout semblait à la fois énergique et rassurant. Lonka, qui peinait à se remettre de la disparition de Bo, reprenait goût à la vie en ressentant toute cette présence positive.

 D'autant qu'autre chose attirait l'attention de Lonka. Elle était la première à avoir remarqué que le ventre de Jewesha changeait, abritant lui aussi quelque chose qui aiguisait son excitation.

 Sous un triomphe chaleureux -Jennän reconnaissait même certains membres de sa tribu, maintenant bien intégrés à la vie de la capitale-, l'escorte arriva devant le plus prestigieux des colosses terriers. Plus bas que les autres, mais plus large, la bâtisse pyramidale présentait des coulures dorées, des jardins sur chaque toit, des étendues d'eau à ses pieds. Une vision magique.

 C'était le palais du No Gata.

 Jennän allait enfin le rencontrer.

*baka-baka : Un baka-baka est un filtreur d'eau artisanale composé de plusieurs besaces percées de petits trous à leur fond. Les besaces sont compactées les unes dans les autres et l'eau traverse les différentes couches en se débarrassant de certaines impuretés.

*« berceau » : Le « berceau » a une connotation particulière sur Terre0. Les berceaux sont des lieux bien particuliers où « l'humanité s'est réanimé ».

*colosse terrier : héritage de temps immémoriaux, les colosses terriers sont des ruines d'anciens grands bâtiments, remises au goût du jour par les néo-humains.

*glazon(s) : le glazon est un mammifère bovin très présent dans les régions du sud. Son corps est plus élancé et haut sur patte qu'un bonön, lui permettant d'atteindre une bonne vitesse de course et d'être plus endurant sur de longues distances. Les glazons sont très utilisés pour l'agriculture et le transport.

*No Gata : Le souverain de la nation de Java. Des rumeurs le dépeignent comme un sage et un immortel.

*nom d'un glazon ! : expression courante sur Nygönta, où cette espèce bovine est très présente. Cette expression traduit la stupéfaction, le mécontentement ou encore l'incrédulité face à une situation particulière.

*Raùr(s) : Un raùr est un mammifère de la famille des ursidés. Boule de poil de petite taille, le raùr est un prédateur féroce, qui chasse en meute lorsqu'il s'agit de s'attaquer à des bêtes plus imposantes comme le bonön ou le glazon.

            
            

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