La plupart de ceux qui la croisèrent préféraient garder leur distance, plein de questionnements. Puis les quelques-uns gagnés par la curiosité se jetèrent sur elle pour l'examiner de la tête au pied. Jennän, quant à lui, gardait ce regard grave et suspicieux. ※Ils n'avaient vraiment rien vu ?! Même pas un point rouge dans le ciel ?※
***
Le jeune homme était resté dans la crique jusqu'à l'arrivée d'un groupe de sa tribu. Une fois le monstre aux milles yeux rouges reparti et la lumière de l'aube revenue, il passa une bonne partie de la matinée à apprivoiser la jeune fille, qui restait là, à ses côtés, avec un regard perdu qui semblait découvrir un être humain pour la première fois. S'il était impossible de lui faire décrocher un mot, Jennän put cependant ramper jusqu'à elle. Après un temps d'hésitation, Il s'affaira même à lui enlever toute cette vase étrange qui engourdissait son corps. La petite ne faisait que le regarder, constatant de temps en temps ses grognements et vociférations quand la douleur le punissait d'un faux mouvement. Timidement, elle essayait parfois d'imiter les gestes du jeune homme avant de se résigner.
Les heures s'égrainèrent ainsi jusqu'à ce que le colosse enflammé* baigne toute la crique de ses rayons. Dans son sillage, la fraîcheur laissa place à une chaleur de plus en plus vive. Alors que Jennän commençait à perdre patience, un doux chant d'espérance s'éleva dans les airs. « Jennän, Jennän !! », répétèrent en écho des voix humaines.
– EEEEEEHHHH! EEEEH JE SUIS LÀ !! Cria de toute ses forces les jeune homme –La petite fille sursauta et recula d'un pas, plaquant ses bras en croix près du corps dans un geste de protection–.
« MAJOR ! On l'a retrouvé ! », Jennän reconnu la voix d'un éclaireur de sa tribu. Le Major Kirin Augüs et quatre de ses hommes rôdés à la chasse et aux aventures firent leur apparition au sommet de la crique. Le patriarche avait beau avoir dit à ses camarades qu'il allait achever Jennän lui-même s'il le retrouvait en vie, le soulagement prit le pas sur l'inquiétude et sur la colère dès qu'il l'aperçut.
Ils descendirent sans trop de souci les effondrements de roches jusqu'au ventre de la calanque. En apercevant la petite fille aux côtés de Jennän, ils se chuchotèrent leurs interrogations à son propos. Le Major n'avait pas défroncé les sourcils et ses derniers tendirent à se plisser davantage lorsque ses yeux se posèrent sur la chose frêle et humaine.
« Par tous les berceaux*, merci ! », jubila Jennän, soulagé de retrouver sa tribu. Il se rendit vite compte que les regards ne se posaient pas sur lui. Hébété, il fit les présentations comme il put :
– Je ne sais pas d'où elle sort, elle est apparue en même temps que quelque chose que vous ne pouvez pas avoir manqué...
– Tu devrais économiser tes forces Jennän, dit le Major Kirin Augüs d'une voix grave flairant la réprimande. Tu nous expliqueras comment elle a pu atterrir ici lorsqu'on t'aura ramené.
– Pas de nom, pas de parole, aucune idée de ses origines, je viens de vous le dire, rétorqua Jennän alors que deux hommes s'affairèrent à examiner la fillette.
– Décidément, tu es une tête de glazon* ! Je vais avoir du mal à laisser la main de ma fille si c'est pour l'imaginer avec un irresponsable pareil. Regarde-toi.
Jennän fut remis en face de sa réalité. Il n'arrivait plus à se lever et souffrait probablement de plusieurs fractures. Le Major se pencha sur ses blessures. De toute évidence, une jambe était en piteux état et le bassin fortement endolori.
Au bout de manipulations diverses qui parurent une éternité pour Jennän, il demanda une première fois s'ils avaient vu « ce qui était présent dans le ciel à l'aube, couvrant l'horizon de ténèbres et d'orbes rouges ». Sans mot dire, Kirin et ses hommes se regardèrent d'un air dubitatif : en plus d'être estropié, le pauvre Jennän avait dû recevoir un sacré coup sur la tête.
Le garçon comprit rapidement que parmi ce groupe de recherche, personne n'avait rien vu.
Les deux hommes qui observaient la fillette revinrent pour informer le Major Kirin Augüs d'une petite particularité : sur sa nuque, cachées sous ses fins cheveux châtains, deux petites cornes, d'une matière solide et inconnue, pointaient vers le bas. Est-ce que Jennän les a remarquées aussi ? Se demanda le Major, le jeune imprudent leur aillant juré ne rien savoir.
Il fallut bien deux heures pour que l'escorte parviennent à sortir le jeune explorateur hors de la crique. Ils avaient dû improviser un lit de vêtements tissés entre quatre ramures en bois. Quatre hommes supportèrent la construction de fortune sur leurs épaules et le chemin retour se fit ainsi, entre pics abrupts et rochers. La petite fille suivait le cortège dans les bras du Major Kirin Augüs en personne, regardant Jennän crier sur ses porteurs lorsque ces derniers manquaient de le renverser.
***
Après une lieue de marche éreintante, l'escorte arriva dans un repaire de voyageurs plus au nord. Comme l'espérait Jennän, la première personne à venir s'enquérir de son état fut Jewesha. Les filles du groupe lui avaient tressé de longues nattes sur sa chevelure dorée et son visage comme sa silhouette resplendissaient sous le colosse enflammé. Par pudeur ou inquiétude, elle ne se jeta pas au cou de son amoureux, mais ne put dissimuler un sourire de soulagement. Jennän lui rendit son sourire et, tel un vainqueur, lui glissa un clin d'œil avant de disparaître de son champ de vision. Ses sauveteurs avaient accéléré la cadence pour rejoindre la hutte des premiers soins.
Des huttes, ces constructions tout de bois, feuillages, terre et fibres de Hou* -de longues tiges graminées poussant un peu partout dans la région-, les voyageurs passèrent la journée entière à en bâtir dans le domaine qu'avaient choisi le Major et ses conseillers. Les chefs avaient décidé de se poser ici le temps que tout le monde récupère de l'énergie et s'approvisionne en nourritures et vêtements. Les éclaireurs étaient entourés de cueilleurs et de chasseurs pour rapporter différents comestibles. On en profitait également pour former les enfants à la cueillette et aux constructions diverses, décrétant qu'ils étaient en âge d'apprendre dès que leur tête dépassait le bassin de leur mère. Pour la chasse et les expéditions, il fallait atteindre celui de leur père.
Cette journée très productive s'acheva à la nuit pleine. On avait réuni des gens du village dans la tente du Major qui, grâce au talent des meilleurs charpentiers, pouvait contenir jusqu'à une centaine d'individus, bien entassés. Un grand feu était allumé derrière le rond central pendant que de plus petits brasiers étaient disposés dans les huit coins de l'enceinte, surveillés par des gardes afin qu'ils ne se propagent pas sur les toiles.
Le Major tenait à montrer la trouvaille de Jennän, invité à regarder la présentation, dans l'ombre, depuis son brancard de fortune. Quelques vêtements roulés en boule furent placés dans son dos, lui permettant ainsi d'être redressé et de pouvoir pleinement observer la scène.
Un peu plus tôt dans la journée, des femmes avaient habillé la petite fille d'une robe en peau animal qu'elle trouvait fort odorante et désagréable à porter, au vu des grimaces qu'elle enchainait en se grattant. Elle fut amenée au centre de la tente par les hommes qui l'avaient inspecté sur la plage. Elle chercha Jennän du regard, comme pour lui demander de l'aide ou, à défaut, des explications. Lorsque leurs yeux se croisèrent, le jeune homme lui adressa un regard apaisant et lui fit un petit signe de la main. Pourtant, la frayeur commençait déjà à se faire de plus en plus présente sur le visage de la fillette. Si vulnérable au milieu de cette foule inconnue, elle adopta sa position de protection, les bras en croix près du corps. Tout lui paraissait trop grand, trop menaçant. Elle se sentait totalement incapable de faire face à ce monde dont elle ignorait tout. Le moindre bruit, la moindre lumière et toutes ces odeurs nauséabondes l'oppressaient tant qu'elle avait l'impression de se trouver au bord d'un gouffre sans fond.
Le Major Kirin Augüs et sa femme Tamara, siégeant sur des trônes ébènes qui dominaient l'audience, étaient vêtus d'un assortiment de tissus crème sous d'imposantes et majestueuses capes à poil brun. Kirin avait l'air fier des grands jours ; Tamara resplendissait avec sa longue chevelure enliassée et décorée de scintillements fleuris. Son teint juvénile ne souffrait pas du poids des terravolutions, tellement qu'on avait du mal à la reconnaitre comme mère d'une Jewesha déjà grande et belle. Le Major se redressa devant l'assemblée et s'éclaircie la voix. Le silence s'imposa dans le cercle, laissant raisonner le bruit d'un vent levant :
– Comme vous le savez certainement, la tempête d'hier nous a fait craindre le pire pour chacun d'entre nous, mais encore plus pour certains d'entre nous... tonna-t-il d'une voix grave et solennelle, dissipant les derniers grains d'agitation. L'un de nos plus grands espoirs a décidé de s'aventurer seul dans la nuit et ce, malgré la colère des trois colosses blancs. Vous pouvez admirer derrière moi le résultat...
Kirin marqua une pause et se tourna vers Jennän pour diriger le regard de la foule. Partagé entre honte et mécontentement, ce dernier leva les yeux au ciel et offrit à l'assistance sa plus belle moue déconfite. Il était rarement le clou du spectacle pour un mauvais numéro. Terriblement vexé, il ne vit pas la petite fille s'approcher et lui prendre la main.
Surpris, il lui adressa cette même expression hébétée et figée qu'elle avait tenu toute la matinée. Mais la fillette ne lui rendit pas son regard. Concentrée, elle inspectait les lignes de main de Jennän, ne semblant plus faire attention à tout cet attroupement dans la hutte du Major. Ou peut-être était-ce une manière de s'en cacher, de se sentir en sécurité. A quelques mètres de là, perdue dans la foule, Jewesha observait la scène avec incompréhension.
Elle portait une tenue similaire à son père, affublée d'une cape plus courte et d'une robe à l'instar de sa mère. Son apanage marquait son rang familial. À un autre recoin de la pièce, doté du même costume distinctif, son frère Karo, futur successeur du Major à la carrure déjà bien établie pour sa vingtaine de terravolutions et son visage poupon, posait le même regard songeur sur les évènements.
– ...Nous avons retrouvé Jennän ce matin, nous levant aux aurores pour le chercher dans toute la zone, reprit Kirin. Nous pensions vraiment qu'il n'était plus des nôtres, mais nos anciens nous ont appris que les hommes forts finissent toujours par revenir en vie. Toutefois, comme tout acte irréfléchi mérite sa punition, Jennän ne pourra plus marcher avant un peu de repos. Mais, comme vous pouvez le voir, il a profité de sa mésaventure pour nous ramener un petit quelque chose...
Comme si on leur avait donné l'autorisation, tous les regards de la foule se tournèrent vers la petite fille. Le Major Kirin Augüs s'approcha de Jennän et le questionna à voix basse :
– Mon garçon, quel nom as-tu décidé de lui donner ?
Jennän n'y avait pas pensé. Après tout, ce n'était pas non plus sa progéniture. Il la regarda droit dans les yeux, avant de sonder la foule à la recherche de Jewesha. Il sentait sa pression. « Si tu avais un enfant, comment l'appellerais-tu ? », l'avait-elle questionné un soir où la période des pluies se montrait clémente. « Que penses-tu d'Helorina ? » ; « T'as pas plus compliqué ? », ricanait Jewesha à l'annonce des premières propositions. « Et Lonka ? T'en penses quoi ? ; « ...moui, ça peut le faire, mais si je devais choisir, j'en prendrais un autre ». Il aimait bien ce nom...
Augüs entendit le nom que lui avait prononcé Jennän dans l'oreille et, après l'avoir répété dans sa tête, se redressa et se présenta de nouveau au centre de la tente :
– Je vous présente Lonka ! Comme vous pouvez le voir, elle est encore petite et chétive -La petite fille, devenue la petite Lonka, regarda le patriarche clamer son nom avant d'inspecter son propre corps, comme si elle prenait conscience d'elle-même. Elle agrippait sa robe qui la grattait, jetant un regard suppliant à son père adoptif pour qu'il lui enlève-. Qui plus est, elle ne vient de nulle part. Si Jennän ne l'avait pas trouvé, errante, ses jours auraient été comptés. Je vous demande alors de faire le meilleur accueil à cette survivante. Je dois cependant vous prévenir, Lonka n'est pas comme les autres petites filles de son âge. Elle ne sait pas encore parler, ne connait pas nos us et coutumes et pour ceux qui voudrait l'approcher de plus près, ils découvriraient quelques particularités physiques qu'on ne trouve chez aucun d'entre nous.
Jennän fronça les sourcils. Il ne voulait pas forcément que tous les gens du groupe viennent la harceler, mais surtout, il ne voyait pas de quoi le Major parlait, en termes de « particularités physiques ». Soudain, il se rappela de nouveau :
– Hm hm, excusez-moi !
Le silence s'empara de la grande hutte. Tout le monde, même chaque membre de la famille Augüs, se demandait ce que Jennän, depuis son brancard, allait dire.
– Lonka n'est pas la seule « chose » que j'ai trouvé sur cette plage. Ce n'est pas possible que je sois le seul à l'avoir vu, il était immense, aussi grand que le ciel qui nous couvre la tête. Est-ce que quelqu'un voit de quoi je parle ?!
Les gens se regardèrent, interrogateurs. Hébété, Jennän ravala sa salive et donna plus de précisions :
– C'était gigantesque. Il était noir comme la nuit et cachait le levé du colosse enflammé. Il avait d'innombrables yeux rouges ! Des yeux rouges monstrueux, un seul d'entre eux devait faire la taille du village entier. Je vous jure que je ne suis pas devenu fou. Autant que j'ai trouvé cette fille, je l'ai trouvé aussi, il était bien vivant... Il patientait à l'horizon, je suis sûr que j'aurais pu le toucher s'il avait décidé de s'approcher. J'aurai pu toucher un colosse !
Des voix s'élevèrent crescendo dans la foule. Certains se demandaient s'ils avaient vu quelque chose, d'autres s'interrogeaient sur quel coin de la tête Jennän était tombé. Un colosse vit dans le ciel et se retrouve sur terre une fois mort.
– Très bien jeunes gens, coupa Kirin dans un élan d'apaisement. Il me reste une dernière chose à vous dire. Comme vous pouvez le sentir, nous sommes en plein milieu de la période de floraison. Le colosse enflammé se montre plus que jamais généreux de ses rayons et nous devrions en profiter. Certains sont blessés, d'autres ont perdu des vivres. Selon nos meilleurs colocielos*, la période des pluies devrait arriver d'ici soixante nuits. Nous allons en prendre trente d'entre elles pour récupérer. Vous avez déjà commencé le travail des champs, vous avez déjà commencé la chasse, mais ce soir vous pouvez boire et vous reposer, car nous posons le camp !
Une clameur générale s'éleva haut dans le chapiteau. Même en dehors, ceux qui comprirent se mirent à crier et siffler de joie. On allait pouvoir reposer les pieds et remplir les gosiers. Quelques anciens ramenèrent des fûts remplis de plantes et racines fermentées. Coljaa, meezaa, les meilleures boissons étaient là.
Jewesha, les bras croisés, rejoignit Jennän. Lonka lui tenait toujours la main. Les deux filles se regardèrent, Jennän comprit qu'il faudrait du temps à Jewesha, beaucoup de temps, pour qu'elle accepte ce qui venait de se passer. Il espérait qu'avoir choisi « Lonka » allait la rendre heureuse, en souvenir de leur discussion secrète, mais maintenant, face à sa mine sérieuse et son regard froid dirigé vers la petite, il se rendit vite compte de son erreur.
– Bon, Jewee, je te présente...
– On a déjà fait les présentations. Tout le monde a eu droit aux présentations ! Je te laisse passer une bonne soirée avec ta fille, le coupa sèchement Jewesha en insistant bien sur le mot « fille ».
Avant que Jennän puisse rétorquer quelque chose, sa bien-aimée était déjà partie.
La soirée battait son plein. La plupart de ceux qui croisèrent la petite Lonka préféraient garder leur distance, plein de questionnements. Puis les quelques-uns gagnés par la curiosité se jetèrent sur elle pour l'examiner de la tête au pied. Jennän, quant à lui, gardait ce regard grave et suspicieux. En plus de se prendre la tête avec Jewesha, il allait maintenant devoir subir les mains baladeuses de tous les anciens sur sa... trouvaille. Et par-dessus tout, ces questions lui restaient dans la tête : ※Ils n'avaient vraiment rien vu ?! Même pas un point rouge dans le ciel ?※
***
La vie reprit doucement son cours dans le village, où les huttes devenaient plus élaborées chaque jour. Tandis que les champs se remplissaient, les stocks de vivres commençaient à manquer de place. Dans la forêt proche vivaient des sangiterres*, ces bêtes sauvages à la longue crinière dorsale et aux défenses pointant fièrement vers le haut, de chaque côté du museau. Leur viande était succulente, mais il fallait de bons chasseurs pour coucher ces bêtes pouvant atteindre la taille d'un homme.
Toutes les baies et graines comestibles que les voyageurs connaissaient poussaient aussi dans la région, en plus de toutes nouvelles espèces, demandant la réunion des sages et l'appel à un gouteur pour savoir si ces arrivages inconnus pouvaient être manger.
De son côté, Jennän se remettait doucement de ses blessures. Lonka restait la plupart du temps dans sa hutte, prostrée dans un coin, sûrement de peur d'être à nouveau l'attraction de tous les villageois. Elle mangeait sans rechigner ce qu'on lui donnait, regardant toujours avec des yeux ronds ceux qui lui offraient leur met et, globalement, se montrait assez docile pour tout ce qu'on lui faisait, de la toilette par les mères du village à la coiffure par les filles.
Jewesha revint une première fois au bout de cinq nuits, mais se trouvant de nouveau nez à nez avec Lonka, elle rebroussa chemin aussi vite, au grand désarroi de Jennän. Heureusement, Karo lui rendait régulièrement visite et tenter de le rassurer sur le litige avec sa sœur. Au final, Jewesha revint cinq nuits plus tard encore et, comme un air de défi, décida cette fois de dormir chaque soir à côté de Jennän, pendant que la petite Lonka attendait sagement l'aube, dans son coin.
Quelques nuits passèrent encore jusqu'au moment où une grande nouvelle arriva.
Jennän était enfin remis sur pied et fut convié au conseil du Major. Il entra de nouveau dans cette hutte où Lonka fut présentée, mais cette fois un petit comité l'attendait, rendant l'espace encore plus grand.
– Assis-toi maintenant que tu le peux mon garçon. Nous avons de grandes décisions à prendre, exposa Kirin en voyant Jennän approcher du cercle...
Jennän s'exécuta, s'installant entre Karo et un conseiller du Major. Ils n'étaient qu'une petite dizaine, les plus élevés dans la hiérarchie du groupe. Certes, Jennän comptait pour la famille Augüs, mais il ne voyait pas en quoi il devait intervenir dans un conseil de haute importance. Il commençait à craindre un traquenard.
– ...Nos éclaireurs nous ont donné une très bonne nouvelle ce matin. Ce que nous attendions depuis tant de temps est enfin là...
Le Major marqua une pause, comme il aimait tant le faire, histoire de garder le suspens. Jennän voyait bien que la plupart des invités étaient déjà au courant.
– Le fleuve ! S'exclama-t-il enfin. Plus au nord coule un fleuve et nous avons la certitude qu'il s'agit de celui qui pourra nous emmener vers le grand est, notre objectif ! Une nouvelle aube nous attend, dès demain pour certains...
Un sourire aux lèvres, il arrêta son regard sur Jennän. Ce dernier se montrait de moins en moins confiant. Karo lui passa sa main autour de l'épaule, sûrement déjà au courant de ce qu'on allait lui demander.
– ...Jennän. J'espère que tu t'es bien remis de tes blessures et que tu as récupéré tous tes esprits.
– Ah c'est donc ça ! Vous me prenez pour un fou en fait ! S'exclama-t-il en retirant la main de Karo.
– NON ! On sait que tu ne mentirais pas. Et vu ce que tu nous as ramené, c'est tout à fait possible que d'autres miracles se soient passés sur cette... plage. Mais comprend bien que même face à certains faits confirmés, les gens de notre groupe, chaque jour plus fourni, s'inquiètent et se questionnent.
– Et donc ?
– Ca peut être une aubaine. Tu l'as bien compris, cette Lonka n'est pas comme nous. Les deux cornes qui poussent derrière sa nuque font parties d'elle, et quasiment tout le monde s'en est rendu compte. Peut-être qu'elle aussi, un jour, deviendra ce colosse monstrueux que tu as vu. Après tout, il était derrière elle n'est-ce pas ?
Jennän se tut.
– Y aurait-il autre chose que tu ne nous aurais pas dit ? Ou qui te revient en mémoire maintenant ?
Jennän venait de se rendre compte qu'il avait omis le détail le plus important. Il avait « conversé » avec la bête, il avait compris son but, mais face à la suspicion dissimulée de son assemblée, son instinct lui criait de se taire.
– Quoiqu'il en soit Jennän, tu es maintenant considéré comme le père de cette chose adorable... Mais « chose » quand même. Tu devrais la garder auprès de toi pour entamer le voyage vers l'est et, si rien de catastrophique arrive, on se rejoindrait rapidement, je t'en fais la promesse.
– Qu'est-ce que tout cela signifie ?
– Avec mon père et le reste du groupe, on longera la rivière par le nord, tandis que tu la longeras par le sud, expliqua Karo sur un ton grave -rendant fier les anciens qui voyaient en lui le futur chef-. Jennän, j'aime beaucoup Lonka, mais il est vrai que l'on doit penser à tout le monde. Si cela est possible, je te rejoindrai dès que les discussions arrêteront de tourner autour de ta fille.
Jennän se tourna vers Karo et le regarda droit dans les yeux. Il eut comme un haut le cœur car il savait que le plus compliqué pour lui n'était pas de partir :
– Et Jewesha ? chuchota-t-il.
– Nous lui parlerons, répondit Kirin. Après tout, depuis que tu as décidé de partir en cette nuit de tempête, tu ne contrôles plus les évènements. Là aussi, tu ne l'auras pas choisi. Tu n'es pas obligé de partir demain à l'aube, mais dès que tu seras prêt, et tu seras prêt, nos éclaireurs te montreront le chemin.
※Quelle étrange humanité.※ Jennän était déçu, en colère, mais aussi inquiet pour sa relation avec Jewesha. Pour deux cornes sur une nuque, voilà que la petite Lonka allait de nouveau se retrouver coupée du monde, avec son soi-disant père adoptif comme seule compagnie. Pour la première fois depuis longtemps, Jennän se rappela où était sa place. Il n'était aucun chef, aucun sage. Il devait écouter.
*colosse enflammé : nom donné par les « néo-humains » à l'astre solaire. La chaleur de ses rayons fait penser à la chaleur d'une flamme, d'où ce surnom plutôt menaçant malgré tous les bienfaits qu'on lui trouve.
*colocielo : contraction de « colosse », « ciel » et « lelo » (argot désignant un homme). Les colocielos s'occupent de calculer l'arrivée des périodes de pluie et de floraison. Leur savoir permet de déterminer le passage d'une terravolution.
*Hou : Une espèce végétale qui pousse dans les forêts au climat tropical. Dans notre monde, le « hou » s'apparente au bambou et, comme le bambou, peut atteindre des tailles vertigineuses.
* «Par tous les berceaux» : expression relevant du miracle. Peut être comparé à "Dieu Merci" ou "par tous les dieux"
*Sangiterre : Une espèce animale présente sur beaucoup de territoire de Terre0. Que ce soit dans des forêts tropical, ou sur des plaines au climat tempéré, le Sangiterre s'adapte très bien à son habitat. C'est un gros phacochère, avec des défenses courbées vers le haut au niveau de la bouche. Le plus gros Sangiterre peuvent atteindre une masse de 900 kilos.
* «Tête de glazon» : expression comparable à "tête de mûle"