Son bras part vers la droite, je le savais avant même qu'il ne termine son mouvement. Je pivote sur la gauche en évitant son coup avant de donner une impulsion dans ma jambe qui se soulève pour le percuter en plein torse. Il se plie sous l'impact. Son souffle se bloque. Il ne pensait probablement pas que je pourrait l'atteindre si facilement. Pourtant, je lis en lui comme dans un livre ouvert.
La moindre de ces postures alors qu'il se relève en crachant un peu de sang. La grimace qui lui fait froncer les sourcils en sentant la douleur de ces côtes cassées devenir plus intense. Il ne s'en sortira pas vivant. Pas maintenant que je lui ai mis la main dessus. Après des semaines de recherche. De planques. D'approche furtive afin de me rapprocher de ma proie.
Ma main glisse sur mon mollet dans un geste fluide que j'ai répété des milliers de fois. La lame brille sous l'éclat de la lune, reflétant son regard qui comprend que rien ne le sauvera. Un long frisson me parcours. J'aime cette sensation. Cet instant où je me fais l'effet d'être un prédateur féroce. Ce moment où je sais, où je vois qu'il réalise que je suis loin d'être une pauvre petite victime incapable de se défendre.
Un sourire naît sur mes lèvres. Je suis dans mon élément. J'aime ce que je fais, cette chasse, cette traque jusqu'à l'anéantissement de ma proie. Le métal touche sa joue, s'enfonçant à peine mais suffisamment pour entailler sa peau, en laissant une traînée d'un rouge si foncé qu'elle en paraît presque noir.
-Une chasseuse, dit-il en grimaçant un peu plus.
Il n'aurait jamais dû céder à mon petit numéro de charme. Il n'aurait jamais dû m'emmener dans cette ruelle mal éclairée. Ces yeux changent de couleur. Passant au doré en oubliant le vert qui a dû ensorceler bien des femmes et des hommes avant cette soirée.
-Je n'ai rien fait, dit-il pour se défendre. Je n'ai brisé aucune lois.
C'est probable mais je m'en fou. Il pense que je suis une chasseuse, un être qui fait régner la lois sur les créatures surnaturelles. Il croit que je suis là pour le faire juger, pour répondre à un ordre qu'on m'aurait donné. Mais il se trompe. Je ne suis pas une chasseuse, pas dans le sens où il l'entend. Je me fou de ce qu'il peut bien faire. Seule sa marque m'importe. Celle que je vais arracher sur son cadavre et qui va me rapporter une petite fortune.
Mes mouvements s'enchaînent, rapidement. La lame passe dans mon autre main. Mon bras se plie avant de se déplier dans un geste puissant. Cet enchaînement. Je le connais par cœur. C'est l'un des premiers que j'ai appris. L'un de ceux que je maîtrise le mieux. Sûrement parce qu'il m'a permit de tuer mon premier ennemi. Mon père. Cet être si néfaste que le diable lui même pourrait en rougir.
La lame s'enfonce dans son torse, perforant un poumon au passage ce qui va le ralentir un peu plus. Il ne comprends pas. Il ne saisit pas ce que je fais. Il faut dire que nous savons nous faire discrets dans notre profession. Tout le monde nous connaît, tout le monde sait qu'on fait appel à nous mais personne ne veut nous voir, personne ne veut croire qu'on existe vraiment, personne ne veut se mêler à nous.
Le métal remonte en déchirant sa chemise alors qu'elle ressort de son corps recouverte de son propre sang. Mon autre main se referme, s'arme déjà pour venir le percuter de plein fouet.
-Tu n'es pas une chasseuse, déclare t-il en posant ces mains sur sa plaie béante. Aucune chasseuse ne ferait ça.
Il a raison, je lui concède sans le moindre problème. Je ne suis pas une chasseuse, je suis bien plus dangereuse que ça. La marque se dévoile sur son torse. Brillante, comme à chaque fois dans ce genre de cas. Il réagit à ma présence sans même le réaliser. Son instinct lui hurle de fuir, mais il est trop tard. J'ai dû attendre trop longtemps pour lui mettre la main dessus.
-Pourquoi, tente t-il comme si j'allais lui donner un quelconque réponse.
Je n'ajoute rien, ne prononce pas le moindre mot mais ma lame elle, continue de bouger au grès de mes mouvements. Un autre coup perfore son second poumon. Dans quelques secondes, il aura du mal à respirer correctement. Il aura du mal à se tenir debout sans voir trouble. Malgré ma victoire assurée, je ne baisse pas la garde. Ces créatures peuvent être capable du pire dans les derniers instant de leur vie, je ne compte pas en faire les frais. Il pousse un soupire empli de douleur, mon bras se rétracte en changeant d'angle, je connais parfaitement la suite de cette parade, ce qu'il va découler de mon prochain geste et pourtant, je n'ai aucune pitié, pas même l'once d'un seul sentiment de culpabilité.
Il n'a pas d'enfant, il est incapable d'en avoir et même si quelqu'un partage sa vie, ça ne change rien pour moi. Il n'est qu'un paquet de fric ambulant, un sorcier, dont une fois la marque retirée, me rapportera suffisamment pour garnir généreusement mon compte en banque. Si je dois être honnête, je n'ai pas besoin de cet argent, en revanche, j'ai besoin de ce shoot d'adrénaline, de ressentir ces sensations que me procurent la chasse.
Il bouge ces doigts dans l'espoir de jeter un sort mais c'est trop tard, bien trop tard car déjà, ma lame remonte en même temps que mon bras, l'angle est parfait, le coup net et précis et sa gorge s'ouvre dans un sourire grotesque, laissant ainsi jaillir un flot de sang qui annonce sa perte. Je n'ai à reculer que d'un pas. D'un seul pas afin de le regarder chuter, afin de voir son corps tomber sur le sol.
J'ai gagné, comme à chaque fois. Mon sourire s'agrandit, quand je pense qu'il a put croire que je suis une chasseuse. Mon corps sait ce qu'il a à faire. Je m'agenouille tout en sortant mon portable qui ne sonne que deux fois avant qu'il réponde.
-Je l'ai, dis-je en passant ma lame sur sa marque.
-Parfait. Tu peux être là dans combien de temps ?
-Plus vite que tu ne le penses.
-Très bien. Je t'attends, ainsi que ta récompense.
En raccrochant, je donne une légère impulsion dans mon bras. Aussitôt, ma lame s'enfonce dans sa peau en effectuant un contours grossier de sa marque. Je n'ai pas besoin de faire dans le détail. Tout ce qui compte c'est que je lui ramène. Je me pose rarement de questions sur ce qu'il fait avec tout ça, avec toutes ces marques de différentes créatures. Mais je me doute qu'au prix où il me paye, il doit en tirer profit. Après tout, il est le grand vendeur, celui qui peut tout avoir, qui peut tout obtenir, du moment que d'autres comme moi sont capable de lui fournir.
Je range mon portable avant de récupérer ce lambeau de peau, cette infime partie de lui qui représente pourtant tellement, pour nous deux. Enfin plus pour lui, plus maintenant. En la retirant, je perçois l'énergie de sa force, de sa puissance, qui me picote le bout des doigts. Décidément, il va me rapporter un max, peut-être même assez pour que je puisse m'offrir ce tableau que j'ai découvert la semaine dernière dans une galerie d'art qui vient d'ouvrir au coin de ma rue.
Je replace mon gagne pain dans la pochette en plastique qui n'est sur moi que pour ça sans me retourner vers ce corps sans vie. Dans quelques heures, j'aurais oublié son visage, sa voix, son odeur. Je retourne dans le club en souriant. Je peux bien m'accorder un verre avant d'y aller, un seul verre avant de passer à la caisse. C'est comme après le sexe, ce petit moment, cet instant une fois qu'on a accomplit son objectif, de la satisfaction à l'état pur, des sensations si puissantes que rien ne peut rivaliser.
Le serveur me reconnaît instantanément. Il s'approche de moi en souriant avant de demander,
-Alors, il n'a pas été la hauteur.
-Décevant, je dois bien l'avouer mais je suis certaine qu'un petit cocktail me fera me sentir un peu mieux.
-Tu veux quoi ?
-Surprends moi.
Je flirte volontairement, il ne se passera rien, je n'ai pas le temps. Mais j'apprécie ce regard qu'il pose sur moi, cette manière dont ces yeux glissent sur ma personne sans aucune gêne. Je pourrais succomber, sans la moindre hésitation. Il est plutôt beau gosse et ça fait un moment que je n'ai pas eu un mec dans mon lit. Un bon moment que je n'ai pas vraiment eu de contact corporel avec une autre personne et surtout un bon moment que je ne me suis simplement pas accordé un instant de plaisir.
Si seulement j'avais le temps. Si seulement je n'avais pas ce morceau de peau dans ma poche. Je bois mon verre tout en croisant son regard à plusieurs reprise, lui aussi à envie d'un peu plus, je peux le sentir de là où je suis et malgré ça, une fois mon verre vide, je me lève pour quitter l'établissement. Je reviendrais, à un autre moment, quand j'aurais moins de travail quand j'aurais un peu de temps pour respirer.
J'emprunte cette même ruelle, celle dans laquelle il m'a emmené et dans laquelle il est mort. Je fais quelques pas avant de m'arrêter, je connais le sort, comme tout les miens, comme tout ceux qui n'existent pas aux yeux des autres. Les mots sortent de ma bouche sans même que je ne force et presque instantanément, un portail s'ouvre devant moi. Un portail qui va me conduire jusqu'à une montagne de billets.
Il ne me faut que quelques secondes pour parcourir des centaines de kilomètres, pour arriver à ma destination. Une maison luxueuse, ornée d'or et d'œuvres d'arts qui auraient probablement plus leur place dans un musé qu'accroché dans une demeure que si peu on l'occasion de visiter. Je me permets d'observer les tableaux, les vases si rare que certains payeraient jusqu'à leurs âmes pour le avoir.
Il sait que je suis là, une créature comme lui ne pourrait l'ignorer. Si il ne se présente pas devant moi c'est que je suis juste arrivée plus rapidement qu'il ne l'espérait. Il me connaît pourtant depuis longtemps, depuis très longtemps même et il sait que je suis plus rapide que la plupart des miens.
Mes doigts s'approchent de cette surface, de cette encre tracée il y a des centaines d'années. Je n'ai même pas le temps de les effleurer que sa voix retentit.
-Je ne te le conseil pas, ils sont trop âgés pour être touchés.
-Un des nombreux paradoxe de la vie que je ne suis pas prête de comprendre. Une telle œuvre, une telle merveille, si proche tout en étant inaccessible. On pourrait même se demander quel est l'intérêt de la posséder.
-Au moins je peux la contempler autant qu'il me plaît. Douce compensation dans ce monde qui sait à peine reconnaître la valeur exceptionnelle d'un objet.
-C'est une façon de voir les choses.
-Tu as la marque ?
-Bien sûr que je l'ai mais tu pourrais au moins prendre la peine de m'offrir un verre après tout, on va tout les deux se faire paquet de fric ce soir.
-Tu as raison, toutes mes excuses. Tout ça m'a rendu un peu nerveux, je l'avoue. Je manque à tout mes devoirs Lily. Est ce que tu veux un verre ?
-Avec plaisir. Je ne dirais pas non à de tes petits cocktails dont tu as le secret.