Prisonnière de son désir

Le campus bourdonnait d'activité en cette fin d'après-midi. Le soleil déclinait lentement, projetant une lumière dorée sur les allées pavées, tandis que des groupes d'étudiants riaient, débattant sans doute de leurs derniers cours ou de la soirée à venir. Parmi eux, je me fondais dans la masse, mon sac jeté sur l'épaule, les écouteurs enfoncés dans les oreilles. Mon monde était simple, prévisible. Un enchaînement de cours, de révisions et de quelques sorties entre amis. Rien d'extraordinaire, et c'était exactement ce que je voulais.

J'avais grandi dans l'ombre d'un père absent, un homme dont je ne savais presque rien, hormis qu'il était parti un jour sans explication. Ma mère évitait le sujet, et avec le temps, j'avais cessé de poser des questions. Ce vide dans ma vie, je l'avais comblé autrement : en travaillant dur, en cherchant à construire un avenir stable, loin des mystères et des drames familiaux.

Mais ce jour-là, quelque chose était différent. Une sensation étrange me suivait depuis le matin. Cette impression d'être observée, comme si un regard pesait sur moi à chaque instant.

Je levai les yeux en marchant à travers le campus, balayai les alentours du regard. Rien d'anormal. Des étudiants accoudés aux tables de la cafétéria, un couple enlacé sous un arbre, un professeur en pleine conversation avec un groupe d'élèves. Tout était parfaitement ordinaire... sauf lui.

Un homme, debout près d'un lampadaire, habillé d'un costume sombre qui tranchait avec l'atmosphère détendue du campus. Il ne bougeait pas, se contentant de regarder dans ma direction. Nos regards se croisèrent, et un frisson remonta le long de ma colonne vertébrale. Il ne détourna pas les yeux. Son expression était impassible, mais il y avait quelque chose de troublant dans sa présence.

Je forçai mes jambes à continuer d'avancer, le cœur battant un peu trop vite. Ce n'était rien. Juste un homme d'affaires en pause, ou un professeur invité pour une conférence. Pourtant, l'inquiétude me rongeait. Pourquoi avais-je l'impression que ce n'était pas une coïncidence ?

En arrivant à mon appartement, je jetai un dernier coup d'œil par-dessus mon épaule. L'homme n'était plus là. Peut-être que j'étais simplement paranoïaque.

- **Ça va pas, toi**, murmurai-je en déverrouillant la porte.

L'intérieur de mon studio était tel que je l'avais laissé ce matin : un canapé couvert de livres ouverts, une tasse de café froide sur la table basse, et un silence réconfortant. Je laissai tomber mon sac à dos, retirai mes chaussures et me laissai tomber sur le canapé en soupirant.

Quelques minutes plus tard, mon téléphone vibra.

**Maman.**

Je fronçai les sourcils. Elle m'appelait rarement en journée, préférant m'envoyer des messages.

- **Allô ?**

Sa voix tremblait légèrement.

- **Chérie, on doit parler. C'est important.**

Je me redressai aussitôt, alertée par son ton inhabituel.

- **Qu'est-ce qui se passe ?**

Elle hésita, et je sentis une tension grandir à travers le combiné.

- **C'est à propos de ton père.**

Le silence tomba entre nous.

- **Mon père ?** répétai-je lentement, comme si le mot lui-même était étranger à ma bouche.

Elle prit une inspiration tremblante.

- **Il n'était pas l'homme que tu crois.**

Une boule se forma dans ma gorge.

- **Qu'est-ce que ça veut dire ?**

- **Je... Je ne sais pas par où commencer.**

Je me levai, faisant les cent pas dans mon petit salon.

- **Commence par le début, maman. Pourquoi tu me parles de lui maintenant ?**

Elle hésita à nouveau, et cette hésitation me fit plus peur que tout le reste.

- **Parce que... quelqu'un t'a retrouvée.**

Mon estomac se noua.

- **Qui ?**

- **Un homme du passé de ton père.**

L'image du mystérieux inconnu en costume surgit immédiatement dans mon esprit, et mon sang se glaça.

- **Maman, je veux des réponses. Tout de suite.**

Elle expira longuement, comme si elle portait un poids bien trop lourd depuis trop longtemps.

- **Ton père...** Sa voix se brisa. **Il n'était pas un simple homme d'affaires. Il était à la tête d'un empire criminel. Une mafia.**

Un rire nerveux m'échappa.

- **Tu plaisantes, c'est ça ?**

- **Non. Et j'ai essayé de te protéger de cette vérité toute ta vie. Mais ils savent qui tu es maintenant, et ils vont vouloir te récupérer.**

Ma respiration s'accéléra, mon cœur tambourinant contre ma poitrine.

- **Ils ? Qui ça, ils ?**

- **L'homme qui t'a trouvée aujourd'hui. Et surtout... Adrian.**

Ce prénom sonna comme une menace, même si je ne l'avais jamais entendu auparavant.

- **Adrian ? Qui est-ce ?**

Un silence pesant s'installa.

- **L'homme qui dirige l'empire de ton père aujourd'hui.**

Je sentis mes jambes flancher, et je me laissai tomber sur le canapé.

- **Et qu'est-ce qu'il veut de moi ?**

- **Je ne sais pas exactement. Mais une chose est sûre : il ne te laissera pas tranquille.**

Mon esprit tournait à toute vitesse, tentant d'assimiler ce que je venais d'apprendre.

- **Et maintenant ?** demandai-je d'une voix faible.

Ma mère inspira profondément avant de dire :

- **Tu dois être prudente, chérie. Ils sont dangereux. Et une fois qu'ils ont décidé que tu leur appartenais... ils ne lâchent jamais prise.**

Un frisson d'effroi me parcourut.

Et si tout ce que j'avais cru savoir sur ma vie n'était qu'un mensonge ?Le matin arriva trop vite. Après la conversation de la veille avec ma mère, j'avais à peine dormi, hantée par cette révélation insensée. Mon père, un chef de la mafia ? Un homme si dangereux que sa simple mémoire suffisait à me mettre en danger ? J'avais envie de croire que tout cela n'était qu'une erreur, une exagération, mais l'inquiétude dans la voix de ma mère était bien réelle.

Je me traînai hors du lit, encore embrumée, et me dirigeai vers la cuisine de mon petit appartement. La cafetière mit une éternité à se remplir, et je me laissai tomber sur une chaise, le regard perdu à travers la fenêtre.

C'est là que je la vis.

Une enveloppe.

Posée devant ma porte, comme si quelqu'un l'avait glissée discrètement sous le battant.

Mon cœur rata un battement.

Je me levai lentement, l'appréhension nouant mon ventre. En ouvrant la porte, je jetai un coup d'œil dans le couloir. Personne. Pas le moindre bruit, juste le silence du matin.

Je me baissai pour ramasser la lettre. Le papier était épais, de couleur crème, et mon prénom était écrit à l'encre noire, d'une écriture nette et élégante. Je fermai la porte derrière moi, retournai à la table et déchirai l'enveloppe avec des doigts tremblants.

**"Tu es en danger. Ce que ton père a construit lui a survécu, mais ses ennemis aussi. Et maintenant qu'ils savent qui tu es, ils viendront pour toi. Tu as deux options : courir et mourir. Ou accepter ta place et être protégée.**

**Nous te retrouverons bientôt."**

Il n'y avait pas de signature. Juste cette menace déguisée en avertissement.

Une bouffée de panique monta en moi. Je relus la lettre encore et encore, espérant y trouver un indice, une faille qui prouverait que ce n'était rien d'autre qu'une mauvaise blague. Mais tout en moi savait que ce n'en était pas une.

Je jetai la lettre sur la table comme si elle pouvait me brûler et attrapai mon téléphone.

- **Maman...**

Elle décrocha après la première sonnerie.

- **Tu l'as reçue, n'est-ce pas ?**

Mon souffle se bloqua.

- **Tu savais ?**

- **Je m'en doutais. Ils n'attendent jamais longtemps.**

- **Mais qui est-ce, "ils" ?**

Un silence.

- **Les ennemis de ton père. Et ceux qui veulent te garder sous leur contrôle.**

Je passai une main tremblante dans mes cheveux.

- **Qu'est-ce que je suis censée faire ?**

- **Partir. Loin. Et ne jamais te retourner.**

Une peur froide s'infiltra dans mes os.

- **Tu crois vraiment que ça marchera ?**

Sa respiration trembla légèrement.

- **Non. Mais je ne veux pas que tu sois prise au piège.**

Je fermai les yeux un instant, essayant d'étouffer la panique.

- **Je vais réfléchir. Je te rappelle plus tard.**

Je raccrochai avant qu'elle ne puisse protester et laissai tomber mon téléphone sur la table.

Mon regard se posa à nouveau sur la lettre.

Que faire ? Courir et vivre avec la peur constante d'être retrouvée ? Ou affronter cet Adrian, cet homme dont ma mère m'avait parlé la veille ?

Un frisson me parcourut.

Non. Pas question. Je ne voulais rien avoir à faire avec ce monde.

Mais il semblerait que ce monde n'attende pas mon consentement.

Un bruit.

Un grincement à peine perceptible.

Je relevai la tête, l'estomac noué.

La porte venait de s'ouvrir.

Je n'avais même pas entendu de clé, pas de coup frappé. Juste le son du battant qui pivotait lentement sur ses gonds.

Et puis, il apparut.