Le soulagement avait été immédiat. Une bourse intégrale, disait la lettre, couvrant ses frais de scolarité, son logement et même une partie de ses dépenses quotidiennes. Elle avait relu plusieurs fois, comme si les mots allaient se rétracter, mais non. Tout était là, noir sur blanc. Qui aurait cru qu'elle, avec ses moyens limités, pourrait accéder à ce monde brillant et intimidant ?
Dès son arrivée sur le campus, elle avait senti le fossé entre elle et les autres étudiants. Les voitures de luxe qui déposaient des jeunes adultes impeccablement habillés devant des bâtiments historiques faisaient contraste avec sa valise cabossée et son jean élimé. Le dortoir qui lui avait été assigné n'avait rien de glamour, mais au moins, il était propre et fonctionnel. Ses colocataires, deux filles à peine plus âgées qu'elle, avaient l'air sympathiques, bien qu'un peu désinvoltes.
- T'inquiète pas, avait dit Lily, l'une des colocataires, en mâchant un chewing-gum. Les riches restent entre eux ici. Ils te calculeront même pas.
- Sauf si t'es jolie, avait ajouté Mia, la deuxième, avec un sourire en coin. Là, tu deviens une cible.
Elena avait souri poliment, mais l'idée d'être une « cible » ne l'avait pas rassurée. Elle avait toujours voulu passer inaperçue, fondre dans le décor. Ce n'était pas ici qu'elle comptait changer.
La première semaine avait été une succession de journées floues et fatigantes. Des cours exigeants, des professeurs austères, et une hiérarchie sociale si palpable qu'elle en devenait oppressante. Silvergate était un univers où les règles n'étaient pas écrites, mais bien réelles.
C'est à la bibliothèque qu'elle l'avait vu pour la première fois.
Un mercredi après-midi, alors qu'elle feuilletait un manuel d'économie, un mouvement avait attiré son attention. Un groupe d'étudiants était entré, parlant fort, riant sans se soucier de déranger. Parmi eux, un homme avait attiré son regard. Il ne riait pas, lui. Il marchait légèrement en retrait, observant, analysant.
Il avait ce genre de visage qu'on ne pouvait pas oublier. Des traits durs, mais fascinants. Une mâchoire dessinée comme au scalpel. Et ses yeux... D'un gris perçant, presque argentés, ils semblaient transpercer tout ce qu'ils regardaient. Il avait balayé la pièce du regard, et pendant une fraction de seconde, leurs yeux s'étaient croisés.
Un frisson avait parcouru Elena.
Elle avait baissé les yeux sur son livre, essayant de se concentrer sur les lignes floues. Mais elle sentait son regard sur elle, ou du moins, elle en avait l'impression. Elle avait jeté un coup d'œil discret dans sa direction. Il ne la regardait plus, mais ses gestes, sa manière de parler avec les autres, trahissaient une certaine assurance. Une arrogance froide.
Le lendemain, elle avait entendu son nom pour la première fois. Damien Blackwell.
- Tu sais qui c'est ? avait demandé Lily, en désignant une photo dans un magazine étudiant posé sur la table du dortoir.
Elena avait haussé les épaules.
- Le roi de ce campus, avait répondu Mia avec une grimace. Famille milliardaire. Ils possèdent des entreprises dans tout le pays.
Lily avait éclaté de rire.
- Ouais, mais c'est pas juste un héritier. Apparemment, il est super brillant. Enfin, quand il daigne se pointer en cours.
Elena n'avait rien dit, mais une curieuse fascination l'avait prise. Elle s'était promis de rester en dehors de tout ça, de garder ses distances. Mais le hasard semblait avoir d'autres plans.
Quelques jours plus tard, dans cette même bibliothèque, il s'était approché. Pas seul. Avec deux de ses amis, visiblement habitués à faire du bruit dans un lieu pourtant dédié au silence. Elena était plongée dans un exercice difficile et espérait qu'ils ne viendraient pas déranger son coin.
- Excuse-moi, avait dit une voix.
Elle avait levé les yeux, prête à répondre, mais les mots étaient restés coincés dans sa gorge. Damien Blackwell, en personne, se tenait devant elle.
- Tu utilises ce livre ? avait-il demandé en désignant un manuel posé à côté d'elle.
Elle avait hoché la tête, incapable de parler.
- Dommage, avait-il dit avec un sourire à moitié amusé. J'en ai besoin aussi.
Il s'était assis à une table voisine, tournant les pages de son propre manuel avec une nonchalance exaspérante. Ses amis s'étaient éloignés, apparemment habitués à ses humeurs imprévisibles. Mais lui n'avait pas bougé, et Elena sentait encore une fois son regard peser sur elle.
Quand elle avait fini, elle avait rassemblé ses affaires en vitesse, espérant sortir avant qu'il ne dise autre chose. Mais alors qu'elle se levait, sa voix l'avait arrêtée.
- Elena Ravenswood, c'est ça ?
Elle s'était figée. Comment connaissait-il son nom ?
- Je crois qu'on a un cours en commun, avait-il ajouté avec un sourire énigmatique. Économie appliquée.
Elle n'avait rien répondu, préférant s'éclipser avant que cette conversation ne prenne une tournure encore plus étrange.
Mais ce soir-là, alors qu'elle repensait à leur échange, une question l'obsédait. Pourquoi quelqu'un comme Damien Blackwell s'intéressait-il à elle ?