Chap 1 : Un titre
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Matadi, Bas-Congo, Rdc
Chap 1 : Un titre
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Matadi, Bas-Congo, Rdc
Assise sur un tabouret dans la grande veranda qui donne sur mon arrière-cour en ce matin froid du mois de juin, je ferme un moment les yeux en tirant mon châle en laine noir autour de mes épaules tandis que la femme debout derrière moi applique du savon sur mes cheveux mouillés au préalable. Trois autres femmes âgées toutes de noir vêtues sont assises tout près et conversent à voix basses en regardant faire celle qui s'applique sur ma tête.
J'ouvre paresseusement les yeux et regarde sans vraiment la voir la rangée des fleurs qui bordent l'allée menant à la grande paillotte où j'aime m'installer pendant les soirs chauds et écouter mes filles jacasser sur ci et ça. Leurs voix cristallines mêlées aux chants des cigales et les froufous des feuilles sous la brise du soir ont toujours eu sur moi un effet apaisant. Mon regard va ensuite se perdre sur la pelouse, je me fais la réflexion de demander à Loufi mon jardinier de la tondre car elle me paraît un peu broussailleuse, j'aime quand c'est bien taillé. Une fois que mes cheveux sont bien imbibés de savon, la femme derrière moi me demande de lui passer la lame de rasoir qu'elle m'a demandé de tenir quelques minutes plus tôt. Je m'exécute, appréhendant le moment où cette lame froide touchera la peau sensible de mon crâne. Le moment fatidique ne se fait d'ailleurs pas attendre, car juste après avoir débarrassé la lame de son petit emballage, ma coiffeuse improvisée s'attaque à la forêt mâte sur ma tête, me faisant frissoner.
- Ma fille, évite de bouger la tête sinon je risque de te blesser, conseille-t-elle en faisant lentement glisser sa lame de la naissance de mes cheveux à ma nuque, emportant une importante touffe qui va attérir silencieusement au sol.
J'ignore pourquoi mais les sons sinistres produits par la lame qui va et vient, dénudant au fur et à mesure mon crâne, m'est insupportable. Je prie que ça s'arrête le plus vite possible. Pourtant ce n'est pas la première fois que je me fais raser la tête. Les teignes tondantes m'ont fait la guerre durant une grande partie de mon enfance, ce qui eut pour résultat des incéssantes tondaisons afin d'arrêter la progression de ces plaques arrondies recouvertes de croûte et faciliter l'application des antifongiques.
Ô comme je haïssais les démangeaisons que me causaient ces horreurs! Et encore plus à quoi je ressemblais après que mes cheveux m'aient été enlevés.
« Covo lengou-lengou»
« Moukokoli»
« Tête-aéroport»
C'étaient-là les quelques énervants surnoms dont on m'affublait dans mon entourage. Je n'ai eu de répit qu'à l'époque de mes dix ans, lorsque l'on a enfin découvert ce qui provoquait ces ténaces, humiliantes et irritantes mycoses qui semblaient ne jamais vouloir me lâcher malgré les nombreuses crèmes et piqûres d'antibiotiques.
La raie.
C'était elle la coupable.
Ce poisson cartilagineux, aplati et aux nageoires étrangement developpées était en fait à l'origine de mes malheurs. Ma mère en achetait régulièrement en quantité considérable, chez une dame qui en vendait fumés. Elle en préparait avec de la mwambe, sans savoir que j'étais allergique à cette chose marine.
Le vent frais qui souffle maintenant librement sur mon crâne nu me ramène dans le présent. De ses mains habiles, ma coiffeuse applique maintenant de la vaseline sur mon cuir «dé-chevelu», ses doigts en parcourent souplement toute l'étendue. Lorsque du coin de l'oeil j'aperçois l'une des vieilles femmes avancer vers moi puis s'accroupir pour ramasser les cheveux tombés à mes pieds, je libére rapidement ma tête et me précipite pour ramasser ces bouts de moi avant que ses doigts ne les touchent.
- Je vais m'en débarrasser moi-même, merci, fais-je en ramassant chaque touffe.
- Que crois-tu que je comptais faire avec? dit la ramasseuse ratée en se redressant, l'air contrarié.
- Mam' Lupita, je ne me souviens pas avoir dit que tu comptais en faire quoi que ce soit d'étrange. C'est juste que je préfère disposer de mes cheveux moi-même, repliqué-je, prenant soin de ne pas sonner insolente.
- Je suis la tante de feu Georges et la grand-tante de ses deux enfants que tu as portés, quel interêt aurai-je à vouloir te nuire?
Tout de suite les grands mots. Mon geste l'a blessé, tant pis. Ma mère m'a toujours dit et redit de faire attention à qui touche à mes cheveux ou mes ongles, ce n'est pas aujourd'hui alors que je suis entourée de ces femmes dont certaines, je le sais, ne me portent pas dans leurs coeurs que j'oublierai ses précieux conseils. Je finis de ramasser mes cheveux, m'assurant de ne rien laisser sur le carrelage avant de tirer de la poche de mon boubou un sachet que j'ai placé là à cet effet. J'y mets mes cheveux et le remets ensuite dans ma poche.
- Donc tu me traites de sorcière? Moi Lupita? continue-t-elle
-...
Je choisis de ne pas répondre.
- Kissi, tu me traites de sorcière alors que je pleure mon neveu?
- Mam' Lupita, elle n'a rien dit de tel! intervient Mam' Liliane, la femme qui m'a rasé.
- Liliane, elle n'a pas eu besoin de le dire. Ses actes ont parlé fort et clair.
- Exactement, font les deux autres vieilles qui jusques-là ont observé la scène en silence.
- Mon neveu n'est même pas encore sous terre que sa veuve me traite déjà de sorcière. Pour qui te prends-tu Kissi? Pour qui te prends-tu?
Je garde silence, me contentant d'étudier mes pieds. Lui répondre serait jeter de l'huile sur le feu. L'animosité de cette femme envers moi m'a toujours sideré.
Moi, la veuve de son neveu.
Du haut de mes 29 ans, je suis déjà veuve. Fraîchement veuve. Un titre que la vie m'a collé dessus sans que je ne le veuille. Même celui d'épouse d'ailleurs, je n'en ai jamais voulu. C'est dur et frustrant lorsque vous naissez dans un monde où tout est décidé à votre place, où vos choix, vos désirs, vos rêves ne comptent pas, tout simplement parceque vous êtes une femme.
- Lupita, ça suffit! Tu la laisses tranquille.
- Mais tu...
- Il n'y a pas de mais qui tienne. C'est quoi ce comportement? Ne viens pas commencer tes drames dans le deuil-ci, tu comprends? Ais un peu de respect pour le défunt! intervient Mam' Liliane.
Mam' Lupita se tait mais me lance un regard noir. Les quatre femmes me conduisent ensuite dans la salle de bain où attend un grand seau d'eau chaude dans lequel flottillent des feuilles.
Sous la consigne de Mam' Liliane, je me débarrasse de mon châle, mon boubou et de mes dessous que je vais poser sur la cuvette avant de revenir me replacer toute nue devant elle, me sentant terriblement exposée. Je pose pudiquement une main sur mon pubis car je n'aime pas comment Mam' Lupita détaille_l'air mauvais_ mes seins maintenant un peu lourds mais encore beaux bien qu'ils aient nourri deux enfants, mon ventre légèrement bombé, souvenir de mes grossesses puis mes hanches larges sur les quelles se dessinent quelques vergetures. J'aurais aimé qu'une ou deux femmes de ma famille soient présentes pendant ce rituel mais mes tantes m'ont dit qu'il devait être officié uniquement par les femmes de la belle famille. Ce fameux rituel de purification consiste des rasages et d'un bain symbolique afin de couper tout lien spirituel avec mon feu mari.
- Ma fille, lève les bras, dit Mam' Liliane
Je m'exécute. Comme avec mon crâne, la lame va lécher mes aisselles où il n'y a d'ailleurs presque pas de poils vu que je m'épile régulièrement. Délicatement, Mam' Liliane recolte les peu des poils qui pointent dans ces zones tendres en entonnant de sa voix riche une chanson que reprennent les trois autres femmes présentes. À l'aide d'un mouchoir hygienique, elle essuie la lame avant de se baisser et d'attaquer ma flore pubienne qui comme celle de mes aisselles est presqu'inexistante. Georges...feu Georges abhorrait toute pilosité sur ces parties de moi où il aimait passer et repasser ses doigts. Mes yeux s'embuent à cette pensée.
Georges. Mon mari. Le père de mes adorables filles.
L'ai-je aimé?
Non.
Pendant ces douze années où j'étais son épouse, je n'ai pu ressentir pour lui qu'un grand respect, de la crainte et un sentiment s'apparentant à de l'affection. Mais de l'amour? Non. Pourtant c'était un homme bien...avec ses quelques défauts. Dans mes vingt-neuf ans de vie sur terre, je n'ai ressenti ce que j'ai identifié comme de l'amour seulement une fois. Ce n'était pas un béguin, oh non. C'était de l'amour dans toute sa pureté et sa puissance. Je me souviens comme si c'était hier de la première fois que j'ai posé mes yeux sur l'homme qui fit battre mon jeune coeur différemment. Je me rappelle au détail près de sa tenue, son sourire, sa voix grave, son regard, du temps qu'il faisait...
À l'époque, j'avais à peine seize ans mais déjà promise à Georges qui était de dix ans mon ainé. Condamnée j'étais à devenir la femme d'un homme pour qui_à part de la crainte_ je ne ressentais rien et à observer de loin celui que mon coeur avait choisi.
La tradition n'avait que faire de mes choix.
Jusqu'à ce jour, cet homme, je l'aime encore bien qu'il soit loin, inaccessible. Lorsqu'il m'arrive encore de regarder sécrètement ses photos, je suis à chaque retraversée par les mêmes sensations. Je me perds toujours dans son regard toujours aussi expressif sur ces papiers glacés un peu décolorés, me demandant ce que ça fait d'être la femme de l'homme qu'on aime.
Je suis soudain saisie par une grande culpabilité pour avoir permis à ces souvenirs d'émerger. Ils n'ont pas lieu d'être en ce moment de tristesse. Ce moment où je pleure l'homme qui était mon époux, bien que contre mon gré mais mon époux quand-même. Je reporte mon attention sur Mam' Liliane qui de nouveau est entrain d'essuyer le rasoir dont elle n'aura plus besoin vu que maintenant mon crâne, mes aisselles ainsi que mon triangle sont totalement imberbes.
- Tu peux entrer dans la baignoire, me dit-elle alors que les autres femmes continuent de chanter à voix basse.
Je m'exécute et m'accroupis tandis qu'elle trempe sa main dans le grand seau pour s'assurer que l'eau n'a pas refroidi. Je ferme les yeux lorsqu'à l'aide d'une petite calebasse elle receuille un peu d'eau chaude du récipient et m'en verse lentement sur la tête. Le liquide me rechauffe en coulant sur mon visage, mon cou, mes épaules, mon dos, ma poitrine, mon ventre, mes jambes... Avec un frotteur fait de racines et des feuilles, elle entreprend de me frotter la peau avec douceur, s'assurant de n'en rater aucune parcelle. Je suis sûre que si c'était Mam' Lupita à sa place, elle serait entrain de me frotter comme on fait avec un côchon. Elle s'arrête de temps en temps pour me verser plus d'eau avant de reprendre sa besogne. Leurs voix mélodieuses me bercent malgré moi et la douce chaleur de l'eau qui coule sur ma peau m'englue dans une légère somnolence.
Lorsque la nouvelle de la mort de mon mari m'a été annoncée, j'ai sincèrement pleuré sa perte et dans ma douleur, j'ai maudit le chauffeur maladroit qui a causé l'accident de circulation qui a reclamé la vie du père de mes filles. Mais tout au fond, une petite partie égoïste de moi s'est senti soulagée, car avec Georges parti, je pouvais enfin vivre, j'étais enfin libre de poursuivre mon rêve qui a toujours été d'étudier pour devenir infirmière.
Un rêve que Georges de son vivant ne m'a pas permis de réaliser. La tristesse que je ressentais de voir ma vie me passer sous le nez était de taille. Je me disais déjà qu'au jour de ma mort, le monde ne se souviendrait de moi que comme Kissi, fille de Philémon Alexandre Touta, puis épouse de Georges Vambili et mère. Mais jamais comme Kissi l'infirmière, l'intelletuellement épanouie ou Kissi qui a su s'établir socialement de ses propres mains. Comme mon père, Georges était de ces hommes «vieille école» pour qui le rôle de l'épouse ne se limitait qu'à prendre soin de son mari, tenir sa maison et lui assurer une progéniture. Point final.
Mam' Liliane me tire de mes pensées lorsqu'elle m'invite à sortir de la baignoire. Sous les regards des autres femmes, elle m'essuie avec une serviette et m'aide à mettre en place une garniture indigène faite des feuilles dont le but serait d'empêcher à l'esprit de mon défunt mari de reconnaître mon odeur et de revenir toutes les nuits rechercher ma compagnie. Toutes ces histoires, je n'y crois pas trop mais lorsque hier j'ai refusé que le rituel soit performé sur moi, poussant en avant mon obédience catholique, les tantes m'ont dit plutôt durement que j'étais folle de fouler aux pieds nos traditions et que je ne devais pas courir pleurer dans leurs jupes lorsque le fantôme de Georges m'apparaîtrait toutes les nuits pour me faire des choses. La pétoche de ma vie j'ai eu.
Je me rhabille et vais enterrer mes poils et cheveux dans un coin de la parcelle avant de regagner mon poste dans l'un des deux grands salons où est exposée la dépouille de Georges. Le double-battant en chêne donnant sur le jardin où ont été élevées des tentes est laissé grand ouvert, pour permettre aux personnes qui viennent payer leurs derniers respects à mon feu mari d'entrer librement et de faire le tour de l'estrade décorative sur laquelle répose le cercueil, avant d'aller s'asseoir. La famille de Georges a decidé contre la location d'une salle.
- Pourquoi pleurer notre fils dans un endroit impersonnel alors qu'il y a sa grande proprieté à Ciné palace (quartier de matadi)? ont-ils dit.
Je dois avouer que c'est mieux ainsi, même si je n'aime pas trop comment les oncles de Georges se pavanent autour de la villa comme en pays conquis, lançant des ordres aux domestiques comme si c'étaient eux les nouveaux maîtres des lieux. Je ne contrôle rien, ils décident de tout. Le fait que_à part quelques tantes et cousines_ma mère soit présente pour me soutenir est un vrai baume au coeur dans cet environment qui commence à m'étouffer.
Je m'asseois sur les couvertures destinées à la veuve et me remets à pleurer, entourée des femmes de la famille qui sont là pour me réconforter. Autour de 9h, la proprieté est de nouveau noire de monde comme c'était le cas la veille. À un moment, Mama s'éclipse et revient avec de la nourriture pour moi, mais avec mon ventre qui est noué depuis le jour où mes oreilles ont entendu la nouvelle du décès, je peine à me nourir.
- Mange Kissi, tu dois être forte pour tes filles. Mange, me supplie-t-elle
- Plus tard mama.
- Kissi, mange, encourage une tante.
- Tu dois manger. Kissi, c'est maman qui te parle. Tiens.
Je prends le plat qu'elle me tend et m'efforce de manger pour ne plus lire cette lueur de tristesse dans ses yeux. Je sens une inquiètude monter en moi lorsque depuis l'endroit où je suis assise, j'aperçois les oncles en pleine conciliabule sous l'une des tentes. Les mines graves, ils se parlent en sécouant leurs chasse-mouches.
Que mijotent-ils?
C'est aussi à ce moment que je me rends compte que je n'ai pas vu mes filles depuis qu'on m'a réveillé pour mon bain de purification. Je regarde autour de moi un peu paniquée, fouillant des yeux les alentours.
- Où sont Prima et Diana? demandé-je
- Elles sont à Soyo 2 (quartier de Matadi) chez leur tante Gaëlle. Toute cette atmosphère n'est pas bien pour elles, me répond l'une des cousines de mon feu mari.
QUOI?????
- Qui les a emmenées là-bas? Avec la permission de qui? fais-je, fâchée.
- Oh, tout doux! Les oncles ont demandé au chauffeur de les déposer là-bas pendant qu'on performait le rituel.
- Depuis quand décident-ils des choses sur mes enfants sans même me consulter? dis-je en essayant de me lever, mais maman et une de mes cousines présentes me bloquent par les épaules, en m'exhortant de rester calme.
- Ah! Donc les enfants-là sont pour toi seule? Han Kissi? s'énerve la cousine de Georges
- Que crois-tu que Gaëlle va leur faire chez elle là-bas? Qu'insinues-tu en réagissant comme ça?
- Je pleure mon mari et je veux mes enfants qui elles aussi pleurent leur papa près de moi. De quel droit les prenez vous pour aller les balader dans tout Matadi? De quel droit? répliqué-je en essayant de me libérer de l'emprise de mama.
Toutes les femmes de la belle-famille qui sont assises tout près regardent dans ma direction avec les yeux ronds et les bouches en O, genre je dis des bêtises. Elles sont sérieuses ou elles font semblant? Seraient-elles contentes si pendant qu'elles pleurent leurs conjoints, une bande des vieux envoyaient leur progéniture quelque part sans les consulter au préalable?
- Kissi, je te rappelle que Gaëlle c'est la petite soeur propre à défunt Georges, s'indigne une tante.
- Je dis que je veux mes enfants!
- Tchieeeeee! À l'entendre parler on dirait qu'elle est la seule à pouvoir pousser des enfants par ici.
- Je te dis.
-Maintenant que leur papa n'est plus, je parie que tu ne voudras même plus que nos nièces nous rendent visite, lance une autre
- Je veux mes enfants tout de suite! Je veux mes enfants près de moi.
- Mam' Lupita est où? s'enquiert la cousine
- Dans la cuisine, répond une tante
- Elle doit venir voir comment la veuve de son neveu ménace déjà les gens comme boko haram par ici.
- Kissi, calme-toi, me conseille mama
Je respire de plus en plus vite tellement je bous de rage, je suis convaincue que l'action que ces vieux oncles viennent de poser cache quelque chose. Les yeux plein de colère, je regarde vers la tente où ils tiennent leur réunion et découvre qu'ils sont tous entrain de regarder dans ma direction avec sur leurs visages des airs décidés.
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