Nous étions dans la salle d'attente stérile du Dr. Rousseau, notre obstétricien. La pièce sentait le désinfectant, une odeur qui, d'habitude, m'apaisait. Aujourd'hui, elle me rappelait la pureté que je devais protéger, mon enfant.
Zack, assis à côté de moi, lisait les nouvelles économiques sur sa tablette. De temps en temps, il levait les yeux et me souriait. Un sourire vide.
« Tu te sens bien, mon cœur ? » a-t-il demandé, posant sa main sur mon ventre. Son toucher était étranger.
« Oui, parfait, » ai-je répondu, ma voix aussi douce que possible. « Juste un peu fatiguée. »
Il a hoché la tête. « Normal. Tu portes notre futur. »
Le Dr. Rousseau est apparu. Un homme affable, la cinquantaine, avec des yeux chaleureux. « Éléonore, Zack, entrez. »
Dans le cabinet, Zack a joué son rôle à la perfection. Il a posé des questions sur la santé du bébé, sur mon alimentation, sur les précautions à prendre. Le docteur, visiblement charmé, l'a félicité pour son implication. « C' est rare de voir des futurs pères aussi investis, Monsieur Ducharme. Votre femme a beaucoup de chance. »
Zack a souri, un sourire de façade. « Elle est ma priorité absolue, docteur. Elle et notre enfant. »
Chaque mot était un coup de marteau dans ma tête. Je l'ai écouté, mon visage impassible. Mais à l'intérieur, une étincelle de rage grandissait.
C'est là qu'elle est entrée. La porte s'est ouverte sans frapper. Méline. Elle portait une robe d'été légère, un sac de marque à l'épaule, et un air de détresse feinte sur le visage.
« Oh, Éléonore ! Zack ! Je suis désolée de vous déranger, mais j' ai eu si peur pour toi, ma sœur ! » Sa voix était stridente, ses yeux fardés de larmes prêtes à couler.
Zack a bondi de sa chaise. « Méline ! Qu' est-ce que tu fais là ? » Sa surprise semblait sincère.
Méline s'est jetée sur moi, me serrant dans une étreinte qui manquait d'air. « J' ai eu des prémonitions horribles ! J' ai rêvé que quelque chose t' arrivait, à toi et au bébé ! J' ai dû venir m' assurer que tout allait bien. »
Mon corps était raide dans ses bras. Ses mains. Les mains qui caressaient Zack étaient maintenant sur mes épaules. Ma sœur, ma propre chair et mon sang, était là pour s'assurer que son plan se déroulait sans accroc. Le Dr. Rousseau a paru un peu mal à l'aise.
« Je vais très bien, Méline, » ai-je dit, ma voix un peu plus froide que je ne l' aurais voulu.
Elle a reculé, ses yeux brillants de fausse inquiétude. « Oh, tant mieux ! Dieu merci ! » Elle s' est tournée vers Zack, son regard s' attardant un peu trop longtemps sur lui. « J' étais si inquiète après notre conversation de ce matin... »
Conversation de ce matin. Mon cerveau a fait tilt. C'est donc ça. Elle venait le contrôler.
« Écoutez, » a dit le Dr. Rousseau, essayant de reprendre le contrôle. « Tout va bien pour Madame Ducharme et le bébé. Mais je dois terminer la consultation. »
« Oh, bien sûr, docteur ! » s'est exclamée Méline. « Je ne veux pas vous retenir. Je peux attendre dans la salle d' attente... ou peut-être avec Zack ? » Elle a jeté un regard insistant à Zack.
Zack a hésité une fraction de seconde. « Bien sûr, Méline. Reste là. » Il s'est tourné vers moi avec un sourire contraint. « Je vais t'attendre dehors, mon amour. » Il m'a embrassée sur le front, une caresse rapide, et est sorti avec Méline devant la porte du cabinet.
Je les ai regardés partir. Mon cœur battait la chamade, mais mon visage était une fois de plus impassible. Je savais ce qui allait se passer. Je devais les entendre.
« Docteur, » ai-je dit, ma voix soudainement plus faible. « Pourriez-vous me laisser quelques minutes seule ? Je... je me sens un peu étourdie après toute cette émotion. »
Le Dr. Rousseau, compatissant, a hoché la tête. « Bien sûr, Éléonore. Prenez votre temps. J' ai juste besoin d' aller chercher un dossier à l' accueil. Je reviens. »
Il est sorti. La porte n' était pas complètement fermée. Un mince filet sonore parvenait à mes oreilles.
« Tu vois, Zack ? Je savais qu' elle allait faire sa crise de jalousie. Elle est si... prévisible, » a murmuré Méline.
« Chut, » a répondu Zack, sa voix plus basse. « Le docteur... »
« Le docteur ne comprend rien, » a répliqué Méline, agacée. « Il faut que ça aille plus vite, Zack. Hugues commence à poser des questions sur la mère porteuse. Il veut des dates concrètes. »
« Je sais, je sais, » a soupiré Zack. « Mais Éléonore est fragile. Et puis, c'est notre enfant... »
« Notre enfant ? » Méline a ri, un rire sec et amer. « C' est mon enfant, Zack. Tu l' as promis. Il sera à moi et à Hugues. C' est le prix que tu paies pour que je garde le silence sur tes magouilles financières. Et pour que je continue de t' aider avec tes parents. »
Mon sang s'est glacé. Magouilles financières. Prix à payer. Aide avec ses parents. La toile se tissait, plus sombre et plus complexe que je ne l'aurais imaginé. C'était leur monnaie d'échange. Mon enfant, mon corps, ma vie.
« Je te l' ai dit, Méline. On va le faire. Bientôt, » a assuré Zack. « Je dois juste trouver le bon moment pour... la pousser. »
La pousser. Le monde autour de moi s'est de nouveau brouillé. Il parlait de me faire faire une fausse couche. Consciemment. Délibérément. Pour leur plan.
« Et les parents ? » a demandé Méline.
« Ils sont avec nous, » a dit Zack, sa voix pleine de confiance. « Ils veulent que tu aies un héritier. C' est bon pour la famille, pour l'image. Éléonore... elle n' a jamais été ce qu'ils attendaient. »
Leurs voix se sont éloignées. J'ai entendu un faible bruit de chuchotement, puis un baiser. Mes yeux se sont fermés. Je tremblais de tout mon corps. Mais cette fois, ce n'était pas de la peur. C'était une colère froide, pure.
J'ai ouvert les yeux. Sur la table d'examen, les instruments stériles brillaient sous la lumière. Mon regard est tombé sur un dossier ouvert. Un plan de suivi de grossesse. Mon plan de suivi.
Je me suis levée, mes jambes chancelantes. J'ai marché vers la porte, l'ouvrant juste assez pour voir Zack et Méline se tenir proches, leurs têtes penchées l'une vers l'autre. Zack lui tendait quelque chose. Une petite boîte, similaire à celle qu'il m'avait donnée. Méline l'a ouverte avec un sourire gourmand. Un collier de perles.
Mon argent. Mon travail. Mes sacrifices. Tout pour elle.
Je me suis reculée. J'ai regardé mon ventre, ma main protectrice se posant dessus.
« Nous ne leur donnerons rien, mon bébé. Rien du tout, » j'ai murmuré, ma voix pleine d'une promesse silencieuse.
Le Dr. Rousseau est revenu. J'ai essuyé mes yeux avec la manche de ma blouse. « Je suis désolée, docteur. J' ai juste besoin d'un peu d'air. »
Il m'a regardée avec inquiétude. « Éléonore, vous êtes très pâle. »
« C' est l' émotion, » ai-je menti, mon regard croisant celui de Zack à travers la porte entrouverte. Il me regardait avec une fausse sollicitude.
« Je crois que je vais faire un tour dans le jardin de la clinique, » ai-je dit. « J'ai vraiment besoin de prendre l'air. »
Zack s'est approché, l'air concerné. « Tu veux que je vienne avec toi ? »
« Non, mon amour, » ai-je répondu, ma voix ferme. « J'ai besoin d'être seule un instant. Je te rejoins tout de suite. »
Il a hésité, son regard allant de moi à Méline, qui se tenait un peu en retrait, les bras croisés, le collier de perles autour du cou. Finalement, il a soupiré. « D'accord. Mais ne tarde pas. »
Il s'est retourné vers Méline. Mon cœur a fait un bond quand j'ai vu leurs regards furtifs. Ils étaient en train de se demander s'il fallait me suivre.
Je suis sortie, mon pas assuré malgré mes jambes tremblantes. Quand j'ai atteint le couloir, j'ai entendu leurs voix se rapprocher du cabinet. Ils pensaient que j'étais partie.
J'ai marché jusqu'aux toilettes, mon esprit tourbillonnant. Devant le miroir, mon visage était celui d'une étrangère. Mes yeux brûlaient, mais pas de larmes. De feu. De détermination.
Ils ont signé leur arrêt de mort. Et moi, je serai l'exécutrice.
« Morvan. J'ai besoin de toi. Maintenant. » J' ai envoyé le message mental à mon vieil ami, le Dr. Morvan Leger, mon confident silencieux, le seul en qui je pouvais avoir confiance. Il était ma dernière carte.
Je devais agir vite. Avant qu'ils ne "me poussent".