Chapitre 1 1

« Aux mariés ! » lança mon père en levant sa coupe, l'air fier, sa voix résonnant dans la salle pleine d'éclats de rires. Son geste englobait ma demi-sœur, Corinna, et son futur époux, Ashton.

« À leur bonheur ! »

J'aurais eu besoin d'alcool pour faire passer la brûlure dans ma gorge. Je vis mon ex embrasser tendrement sa fiancée, et je me tassai aussitôt contre le mur, dissimulée derrière un pilier, les poings serrés au point que mes ongles s'enfoncèrent dans ma peau. Ils n'avaient même pas pris la peine de m'envoyer une invitation. Ce n'était pas seulement humiliant ; c'était pire. Le coup porté n'était pas tant l'exclusion, mais cette révélation brutale qui avait fini d'achever ce qui restait de mon cœur.

Et, pour couronner le tout, il y avait cette histoire de brevet qu'il convoitait... J'écartai la pensée, incapable de la supporter. Quand j'avais appris la nouvelle, je n'y avais pas cru une seconde. J'étais encore à LAX, valise en main, attendant mon embarquement pour New York où un rendez-vous m'attendait. Sur tous les écrans des salons, la même chaîne passait en boucle les infos. Une présentatrice, sourire figé et brushing parfait, annonçait :

« Ashton Steyn, plus jeune représentant élu du premier district du Nevada, a officialisé ce soir ses fiançailles avec Corinna Hildebrand. La réception se déroule actuellement au Caesars Palace. »

Je m'étais sentie glacée. J'aurais dû monter dans ce maudit avion, filer à New York comme prévu. Mais non : j'avais annulé et pris un billet pour Las Vegas, persuadée que tout cela n'était qu'un mauvais canular. Et voilà que j'étais plantée ici, dehors, incapable de franchir la porte pour lui cracher ma colère au visage.

« Tu comprends, ma carrière ne doit pas pâtir de notre histoire. » Voilà ce qu'il me répétait toujours pour justifier notre relation gardée secrète. La veille même, il m'avait encore appelé « chérie » avant de raccrocher. Et moi, idiote, j'y avais cru. J'avais voulu voir en lui autre chose que ce qu'il était réellement.

Aux yeux du monde, nous n'étions rien, juste deux familles vaguement liées par de vieilles amitiés entre grands-parents. Et si j'avais fait irruption dans la salle, je n'aurais récolté que la honte. Alors, je m'étais contentée d'observer Corinna. Rose de bonheur, auréolée d'attention, elle resplendissait. Ses boucles blondes impeccables et son sourire d'héroïne de magazine étaient l'image parfaite de la fiancée idéale. Ashton l'enlaça devant les caméras.

Un feu m'embrasa de l'intérieur. Il brûla si fort qu'il sembla consumer jusqu'à ma poitrine, me laissant vide, desséchée. Tout ce que j'avais partagé avec lui se réduisait désormais à des braises mortes.

Je saisis au vol une coupe de champagne sur le plateau d'un serveur, ignorant le regard noir qu'il m'adressa. Je remontai mon masque pour boire à grandes gorgées, avalant d'un coup la boisson pétillante comme si c'était de l'eau. En même temps, j'avalais ce qu'il me restait de dignité.

Je jetai un dernier coup d'œil plein de rancune vers le couple rayonnant, puis tournai les talons. J'allais me réfugier dans les toilettes pour reprendre contenance quand je percutai de plein fouet un homme. Je perdis l'équilibre et m'écrasai douloureusement sur les coudes.

« Non mais ça va pas ! » protestai-je en me redressant vivement, les bras endoloris.

Face à moi, un inconnu aux yeux noirs intenses me fixait. Ses cheveux sombres en bataille, son costume froissé et entrouvert sur une chemise blanche laissaient deviner une carrure solide. Les deux premiers boutons défaits révélaient une peau dorée. Une minuscule tache sombre, sous son œil droit, attira mon regard malgré moi.

« Désolée... » grommelai-je, à contrecœur, en époussetant mes vêtements. J'ajustai mes lunettes de soleil, priant qu'il ne m'identifie pas. Je voulus le contourner, mais il me barra le passage. J'essayai à nouveau : il se remit devant moi.

Je perdis patience. « Écartez-vous. »

Il eut un sourire léger. « Un petit mot magique, peut-être ? »

Mon poing me démangea, mais je pris sur moi et répondis d'un ton sec : « S'il vous plaît. »

« Avec plaisir. » Il s'écarta d'un geste théâtral.

Je n'attendis pas qu'il se rétracte : je m'élançai. Mais sa main me saisit brusquement au poignet. Je poussai un cri, tirée en arrière. Une paume chaude se posa dans mon dos pour m'empêcher de tomber.

« Qu'est-ce que tu fous ? Lâche-moi ! » Je me débattis, en vain. Sa poigne était trop forte. Et, sans prévenir, il arracha mes lunettes de mon visage.

Il me relâcha enfin, un sourire moqueur accroché aux lèvres, mes lunettes tournoyant entre ses doigts.

« Même pas un bonjour, Addie ? Je suis vexé. »

Mon cœur se serra. « Rends-les-moi, Damon ! »

Quelques convives se retournèrent. Je baissai la voix, honteuse d'attirer l'attention. Damon Steyn. Le demi-frère d'Ashton. Celui qui m'avait pourri la vie depuis l'enfance. On nous forçait à jouer ensemble, mais lui ne trouvait son plaisir qu'à me ridiculiser.

Ses yeux noirs me passèrent au crible. « Tu débarques à une réception de fiançailles habillée comme pour un entretien ? »

Je rougis malgré moi, baissai les yeux vers mon tailleur sobre, prévu pour New York. « Je n'étais pas invitée, » lâchai-je, acide.

Il haussa les épaules. « Moi non plus. Mais je ne ressemble pas à un comptable, au moins. »

Je grinçai des dents. « Tu étais au courant, pas vrai ? Tu savais ce qu'ils tramaient. »

Il haussa un sourcil, faussement surpris. « Et comment aurais-je deviné que mon frère allait me souffler ma petite amie ? Je tombe des nues, crois-moi. »

« C'est marrant, » rétorquai-je sèchement, « tu n'as pas l'air si étonné. »

Il se pencha, son souffle chaud glissant contre ma joue, prêt à répliquer... quand un éclat de voix féminine nous coupa. Trois jeunes femmes apparurent, flûtes de champagne à la main.

« Damon ! » piailla l'une d'elles, vêtue d'une robe verte trop courte. « Tu étais là et tu n'es même pas venu me saluer ? »

Il se redressa, leur adressant un sourire de façade. « Leila, Veronica, Mélanie. »

Veronica s'accrocha aussitôt à son bras, minaudant. « Tu m'as oubliée ? »

Je tirai sur mon masque, prête à filer avant qu'elles ne me remarquent. Trop tard.

« Adélaïde ? Mais c'est toi ! » s'exclama Mélanie, hilare.

Je me figeai, dos droit, les bras croisés.

« Oh mon Dieu, mais qu'est-ce que tu portes ? » gloussa Leila en me dévisageant de haut en bas.

« Laisse-la, » renchérit Veronica avec un sourire cruel. « Elle a sûrement cru à une soirée déguisée. Dommage que son costume fasse plus "bibliothécaire frustrée" que gala officiel. »

Je souris avec calme, bien que j'aie eu envie de les gifler toutes les trois d'un revers sec. « Ça te plaît ? » répliquai-je en pivotant légèrement sur mes ballerines. « J'ai choisi de venir en femme accomplie. Un rôle que toi, Veronica, tu ne connaîtras jamais. »

Leurs rires s'étranglèrent. Derrière moi, Damon étouffa un ricanement.

Rouge de colère, Veronica s'avança. « Toi, t'es juste jalouse de ta sœur. Tout le monde le sait. »

« Exactement, » appuya Leila.

Mélanie ajouta, venimeuse : « C'est bien pour ça qu'Ashton a choisi Corinna. Elle a tout ce que toi, tu n'auras jamais. »

Je sentis ma dernière barrière de sang-froid céder. Sans réfléchir, les mots m'échappèrent. « Je n'ai aucune envie d'Ashton. J'ai déjà un fiancé ! »

Le silence qui suivit fut brutal. Les trois femmes me fixèrent, sidérées.

« Ah oui ? » ricana Veronica. « Alors montre-nous ce fiancé imaginaire. »

J'eus chaud, mon regard papillonna de tous côtés. Et tomba sur Damon. Ses yeux noirs brillaient. Je m'élançai.

Je lui pris le bras et le tirai contre moi. « C'est lui. Damon est mon fiancé. »

Leurs bouches s'ouvrirent, incrédules.

« Et figurez-vous, » ajoutai-je dans un élan désespéré, « qu'on fête nos fiançailles aujourd'hui aussi. »

Les trois se tournèrent vers Damon, attendant une confirmation. Je lui lançai un regard suppliant. Il me fixa longuement, et un éclat amusé passa dans ses yeux. Puis il sourit, narquois.

Et dit un seul mot.

« Non. »