Elle le sait, mais elle a cédé aux supplications de Sophie. Une invitation en or, un accès au cercle des puissants. L'occasion de décrocher une interview qui pourrait booster sa carrière. Elle, elle s'en fiche. Ces types blindés de fric lui filent la nausée. Elle préfère de loin un bar crasseux, une bière tiède et une conversation honnête. Ici, tout pue l'hypocrisie.
- Je te promets, on reste une heure, murmure Sophie en lui serrant le bras.
Ella soupire. Elle a enfilé une robe noire, simple, élégante. Juste assez pour ne pas détonner sans pour autant se fondre totalement dans la masse. Les talons lui cisaillent les pieds. Elle attrape une coupe de champagne sur un plateau qui passe et en boit une gorgée. Beurk. Trop sec.
Elle est sur le point de fuir vers un coin tranquille quand elle sent un regard sur elle. Un poids, une brûlure sur sa peau. Quelqu'un l'observe.
Elle tourne légèrement la tête et le voit.
Lorenzo Knight.
Pas besoin qu'on le lui présente. Son visage s'étale sur tous les magazines économiques, les rubriques mondaines, les pages scandales. Un milliardaire impitoyable, adulé et détesté à la fois. Les affaires, la finance, le pouvoir, il maîtrise tout. Un prédateur dans un monde de requins.
Et là, il la fixe.
Pas un regard anodin. Pas un simple coup d'œil distrait. Non, une lame qui s'enfonce. Un intérêt brut, sans détour. Elle soutient son regard, juste une seconde, puis détourne les yeux. Elle n'a aucune envie de jouer à ce jeu-là.
Elle se faufile dans la foule, direction le bar. Un whisky, peu importe lequel, juste de quoi oublier qu'elle est coincée ici. Mais avant qu'elle n'atteigne le comptoir, une voix la cloue sur place.
- Vous n'aimez pas le champagne ?
Elle se fige. Le timbre est bas, légèrement rauque, avec cette pointe d'assurance qui frôle l'arrogance.
Elle pivote lentement.
Il est là, juste derrière elle. Grand, sûr de lui, les épaules larges sous son costume sombre. Pas un sourire. Juste un regard qui fouille, qui dissèque.
Elle relève le menton.
- Il y a pire, mais ce n'est pas mon truc.
Un éclat amusé traverse son regard.
- Je peux vous offrir autre chose ?
Elle hésite. Une part d'elle veut dire non, tourner les talons, disparaître. L'autre... l'autre est inexplicablement attirée.
- Whisky, finit-elle par lâcher.
Il hoche la tête, fait un signe au barman. En quelques secondes, deux verres sont posés devant eux. Il l'invite à trinquer.
- À quoi ? demande-t-elle.
Un rictus étire le coin de ses lèvres.
- À cette rencontre inattendue.
Elle fronce les sourcils mais trinque malgré tout. L'alcool brûle sa gorge, mais la chaleur qui s'étend dans son ventre n'a rien à voir avec la boisson.
- Vous êtes ?
Il arque un sourcil, légèrement amusé.
- Vous ne le savez pas ?
Évidemment qu'elle sait. Mais elle refuse de lui donner cette satisfaction.
- Devrais-je ?
Il prend une gorgée de son whisky, la regarde avec une intensité dérangeante.
- Lorenzo.
Pas de nom de famille. Pas besoin.
- Ella.
Il répète son prénom, lentement, comme s'il voulait le savourer.
- Joli prénom.
Elle reste de marbre.
- Merci.
Un silence. Pas gênant. Plutôt... chargé. Il y a quelque chose dans l'air. Quelque chose de lourd, de magnétique.
Il penche légèrement la tête.
- Vous êtes venue seule ?
Elle secoue la tête.
- Avec une amie.
- Elle vous a traînée ici contre votre gré ?
Un sourire en coin, furtif. Elle n'a pas envie de se prêter au jeu. Mais il est doué. Trop.
- Ça se voit tant que ça ?
Il se rapproche, juste un peu. Juste assez pour réduire la distance à un niveau inconfortable.
- Vous ne ressemblez pas aux autres femmes présentes ce soir.
Elle arque un sourcil.
- Et à quoi je ressemble, selon vous ?
Un battement. Son regard descend sur elle, lentement. Pas un regard lubrique. Plutôt analytique. Il la jauge. Il joue.
- À une femme qui ne cherche pas à plaire.
Elle ne sait pas si c'est un compliment ou une provocation.
Elle pose son verre et croise les bras.
- Vous draguez souvent comme ça ?
Un éclat de rire discret.
- Seulement quand la personne en face le mérite.
- Et qu'est-ce qui vous fait croire que je mérite quoi que ce soit venant de vous ?
Il la fixe. Longtemps. Puis un sourire. Presque imperceptible.
- Je crois que vous allez me le montrer.
Sa voix est un défi. Son regard, une promesse.
Elle devrait partir. Claquer son verre, tourner les talons, disparaître dans la foule. Mais ses pieds ne bougent pas. Son cœur bat trop vite.
Et elle sait.
Elle sait qu'elle vient de mettre un pied dans quelque chose d'incontrôlable.