Comme chaque matin, Pauline s'était réveillée au chant du coq.
Le réveil n'était pas difficile, les nuits étaient assez longues au village. On se mettait au lit peu après le coucher du soleil, non sans avoir rempli sa panse de tubercules de manioc et de sauce d'arachides.
Peut-être à cause de cette panse bien rebondie...ou peut être dû à la chaleur du feu de bois...n'empêche que le sommeil n'était pas difficile à trouver et que généralement la nuit de Pauline était faite de doux rêves.
Dès lors, à peine le premier coq avait il chanté que Pauline s'était levée, avait ajusté le pagne au dessus de sa poitrine, prête à commencer une journée dont les tâches étaient rythmées par les mouvements du soleil.
Sitôt le pagne attaché, Pauline ajustait les couvertures sur son lit de bambou, " enong miyeng" tout en remerciant encore dans son cœur son oncle , depuis peu contremaître dans une plantation française , de lui avoir ramené un bout de matelas en mousse pour adoucir la dureté des lattes en bambou. "Mine de rien, se dit- elle, les blancs ont de bonnes idées pour rendre la vie plus facile"!.
Les blancs! on ne parlait que d'eux depuis au moins deux années entières, depuis que des religieux venus de France avaient eu le courage de franchir les kilomètres boueux les séparant de la capitale, Libreville, pour enseigner la lecture, l'écriture, la couture et bien d'autres " bonnes manières " aux enfants de son village et ceux d'alentour.
Mais ces préoccupations étaient loin des pensée de Pauline ce matin, même si , après avoir longtemps traîné de pieds et proclamé à qui voulait bien l'entendre que jamais non J.A.M.A.I.S...kaaa...hummm...humm...il n'enverrait ses enfants apprendre le " foulassi", la langue des blancs, puisqu'il n'en voyait pas l'utilité, son père s'était décidé ( en réalité forcé par l'administrateur français) à lui permettre d'aller de temps en temps à l'école des filles, mais surtout lorsqu'il avait vent d'un contrôle par le chef du village.
Avant cela , il fallait qu'elle ait accompli les tâches des filles. Ce à quoi Pauline s'attelait après avoir fait une légère toilette, car à 15 ans, sa mère continuait à lui rappeler qu'elle était désormais une femme et qu'une femme ça peut très vite sentir mauvais, surtout aux endroits que tout le monde ne voit pas.
Du coup après avoir brossé ses dents avec le bois amère, Pauline faisait rapidement sa toilette intime du matin , nettoyait son visage et allait préparer le petit déjeuner de son père, composé essentiellement des restes du repas de la veille. Certains jours, on y ajoutait du manioc pilé et du café, qu' oncle Oyono avait appris à moudre dans la plantation où il travaillait comme contremaître.
Après avoir réchauffé les plats, elle servait le tout au corps de garde "abèè", où malgré l'heure matinale, presque tous les hommes de la famille étaient déjà réunis, attendant le concert de casseroles qui seraient déposées sur la table , dressée par les femmes de la famille. En effet , les hommes qui traînaient au lit, démontrant ainsi publiquement leur affection à leur épouse étaient vus comme des faibles, alors certains guettaient le lever du jour pour aller s'asseoir au corps de garde, jetant victorieusement un regard fier à ceux qui les rejoindraient progressivement.
C'était également l'occasion pour le hommes de s'enorgueillir devant tous des prouesses culinaires de leurs femme et de leurs filles et pour les femmes de la propreté de leurs casseroles. Le corps de garde était donc à fois un lieu de convivialité et le terrain propice d'une discrète compétition.
Pour Pauline, c'était surtout son premier rendez-vous du matin avec ses cousines qui étaient également ses meilleures amies et avaient le même nom : Avome. Ce n'était pas étonnant, dans la tradition on avait coutume de donner aux enfants le nom d'un ancêtre féminin, dans ce cas leur grand mère paternelle. Pour les différencier, Avome numéro deux était surtout appelée par son nom de baptême ,"eyuela bateme" ,Thérèse.
Les jeunes filles étaient liées par une solide amitié, confortée par le fait qu'au village, les enfants circulaient surtout par branche familiale et leurs pères étaient tous les trois frères : Oyono, le contremaître français était le père d'Avome -Thérèse et l'aîné de la fratrie, ensuite venait Nguema, le père de Pauline et enfin Essame, le cadet et géniteur d'Avome- Tout-Court. Elles avaient quasiment le même âge à quelques mois près, et le fait que les plantations maternelles soient assez souvent côte à côte faisait qu'elles passaient beaucoup de temps ensemble.
Ce matin là comme chaque fois que c'était à elles de servir le repas à l' "abèè", elles déposèrent tour à tour les repas sur la table et se regardèrent en souriant :
" - Pauline, mbolo, bonjour mognié, ma sœur, engagea Avome - Thérèse
- Mbolo Thérèse, comment ça va ? Et la nuit?
- Je vais bien, je suis bien contente que papa soit venu passer quelques jours avec nous , et un peu triste qu'il doive repartir bientôt;
- je te comprends, je suis bien contente aussi, le matelas qu'il m'a ramenée me sert vraiment beaucoup
- vous avez bien de la chance! renchérit Avome-Tout- court en rejoignant la conversation, mais malgré tout, moi je demanderai à Oncle Oyono quand il reviendra de me ramener un nouveau pagne. Bientôt ce sera la fête du village !
- moi aussi!
- moi aussi!"
Souriant et rêvant déjà au moment où elles pourraient danser l'"elone", danse traditionnelle rythmée par le tambour et racontant pour la plupart des histoires d'amoureux, elles finirent le service et débarrasserent, suivie par la cohorte de leurs jeunes frères et sœurs, guettant les restes des repas que les pères, conscients de ce second acte, consentaient à laisser plus ou moins conséquents.