Kay, qui connaissait les circonstances difficiles dans lesquelles Arya se débattait, l'avait convaincue de le suivre. Il lui avait promis qu'une rencontre pourrait tout changer. Elle n'avait rien à perdre, lui avait-il dit.
La femme détailla Arya du regard, sans se presser, puis déclara simplement :
- Elle fera l'affaire.
Elle les invita d'un signe du menton à prendre place en face d'elle. Arya s'assit, droite, tentant de dissimuler le tourbillon de questions qui tournait dans sa tête.
- Je m'appelle Rita, dit la femme, la voix posée, presque douce.
Elle devait avoir la vingtaine, pas plus. Derrière son maquillage impeccable et ses vêtements élégants, elle dégageait une autorité glaciale, comme si elle avait appris à contrôler la pièce sans jamais hausser le ton.
Rita se lança dans une explication détaillée de ce qu'elle attendait d'Arya. Au fil des mots, les sourcils de la jeune femme se haussaient de plus en plus. L'offre semblait irréelle - des conditions presque trop parfaites.
- C'est quoi, exactement, ce travail ? Ce que vous me proposez semble sorti d'un film. Ce n'est pas... illégal, au moins ? demanda-t-elle enfin, la gorge un peu serrée.
Rita se contenta de sourire. Un sourire glacial, sans vraie chaleur.
- Tu dois juste exécuter une tâche précise. Rien de criminel. Tu n'as pas besoin d'en savoir plus.
- Mais... pourquoi faire tout ça ? Pourquoi moi ?
- La question du pourquoi ne t'appartient pas. Ce qui importe, c'est que tu acceptes.
Arya jeta un regard incertain à Kay. Il comprit immédiatement son désarroi.
- Tu n'as pas beaucoup de portes ouvertes en ce moment, lui dit-il, la voix pleine de douceur. Tu ne vas blesser personne. Tu n'as qu'à suivre les instructions. Rita se chargera du reste.
Elle inspira lentement. Dans sa situation, cette proposition était peut-être la seule voie possible.
Sept jours plus tard.
Debout devant le restaurant, Arya s'essuyait les paumes sur sa jupe. Son cœur battait à tout rompre. Un dernier soupir pour calmer ses nerfs, puis elle poussa la porte.
*Sois naturelle. Fais comme si de rien n'était*, se répéta-t-elle comme un mantra.
Dès qu'elle entra, les regards convergèrent vers elle. Elle le savait d'avance. Ce n'était pas la première fois. Depuis l'université, elle avait l'habitude de ces yeux qui la suivaient, envieux ou admiratifs. Elle portait sa beauté comme une armure, même les jours où elle se sentait vide à l'intérieur.
Mais aujourd'hui, ce n'était pas une apparition qu'elle devait faire. Elle avait un rôle à jouer. Un rôle délicat.
Son objectif était là, à quelques mètres à peine. Ryu Ken. PDG tout-puissant de Ramada.com, figure légendaire du monde numérique. Seul à sa table, concentré sur son écran, il semblait n'avoir même pas remarqué sa présence.
Elle s'installa à l'endroit prévu, en vis-à-vis de lui, mais à une table séparée. Il ne leva pas les yeux.
Il émanait de lui une froideur autoritaire, un détachement presque inhumain. Elle en fut troublée. Peu d'hommes avaient eu cet effet sur elle.
La serveuse s'approcha et elle commanda sans retenue. Elle aimait manger. Ce n'était pas un vice, simplement une gourmandise assumée, une des rares joies qu'elle ne s'était jamais refusée.
Kay lui avait dit d'être elle-même. Alors elle l'était.
Elle entama son repas, le cœur toujours un peu noué. C'est alors que son téléphone vibra sur la table. Elle regarda l'écran : un numéro inconnu. Mais elle savait déjà qui c'était.
Jim.
L'ex. Le traître. Le lâche.
Elle avait mis fin à leur relation après l'avoir trouvé dans les bras d'une autre. Et tout ça pour une raison qu'elle n'arrivait pas encore à digérer : il la trouvait « trop réservée ». Il avait dit qu'elle était frustrée, coincée. Elle, qui pourtant respirait la liberté dans ses vêtements et ses manières. Mais sous cette allure moderne, Arya avait ses limites, ses frontières.
Elle annula l'appel. Mais le téléphone vibra à nouveau. Il insistait.
Pensant que c'était peut-être un appel important, elle décrocha... pour entendre la voix qu'elle aurait voulu oublier.
- Je t'ai dit de m'oublier, Jim. De ne plus appeler, jamais. Tu n'as plus ta place dans ma vie, tu entends ? Tu as tout gâché. Je m'amuse, maintenant. Je profite. Je bois, je ris, et peut-être que ce soir, je donnerai à quelqu'un d'autre ce que tu n'as jamais su mériter.
Elle avait parlé d'un ton calme mais ferme, sans attirer les regards. Puis elle coupa court et posa le téléphone, frustrée.
Sa colère était vive. Elle appela une seconde bouteille de vin. La première était déjà vide.
Elle avait momentanément oublié pourquoi elle était là.
Quand elle releva les yeux, elle croisa le regard de Ryu. Il la fixait. Droit dans les yeux. Un regard soutenu, implacable. Elle soutint l'échange.
Un duel silencieux.
Il ne clignait même pas des yeux. Elle décida de faire pareil.
Mais c'était lui qui dominait. Il avait ce genre d'aura qui déstabilisait, qui écrasait.
Alors elle posa son menton dans sa paume, soutenue par son coude sur la table. Et haussa un sourcil, malicieuse.
- Alors ? Tu veux me dire ce que tu regardes comme ça ? Je suis si irrésistible ? lança-t-elle, un sourire en coin, espiègle.
Il esquissa un sourire, presque imperceptible. Puis il se leva, récupéra ses affaires, et quitta la salle sans un mot.
Elle resta bouche bée.
*Je viens de le faire fuir ?*
Une angoisse glaciale lui serra l'estomac. Elle se mordit la lèvre, furieuse contre elle-même. Et contre Jim.
Pourquoi l'avait-il appelée aujourd'hui ? Pourquoi fallait-il qu'il vienne hanter sa journée, encore une fois ?
Elle sortit son téléphone et composa le numéro de Kay.
- Dis-moi que je peux faire autre chose. Je crois que j'ai tout foutu en l'air, souffla-t-elle.
Elle lui expliqua rapidement la scène.
Au bout du fil, Kay éclata de rire.
- Tu es parfaite. Crois-moi, ça se passe mieux que tu ne l'imagines.
- Tu plaisantes, j'espère. J'ai fait fuir Ryu Ken. Il doit me prendre pour une folle.
Il rit de nouveau, puis ajouta, plus sérieusement :
- Arya, tu es exactement la personne qu'il nous faut. Continue comme ça. Ne change rien. Et si tu as besoin d'être rassurée, parle à ta mère. Elle est au courant. Rita a tout organisé.
Arya ferma les yeux, soupira longuement, et murmura :
- Très bien. On va faire comme tu dis.